En juin dernier, nous vous parlions des SASPE (Services d’Accueil Spécialisés de la Petite Enfance), plus connus jadis sous le nom de « pouponnières ». Ce trimestre-ci, l’équipe du CALepin aborde le sujet des institutions accueillant les enfants et adolescents (3-16 ans)[0]. Quelle est la trajectoire de ces jeunes qui grandissent sans parents ? Quel est leur quotidien en collectivité ? Quels rapports entretiennent-ils avec l’école ? S’il est impossible, comme vous le lirez, de faire des généralités au sujet de ces enfants et adolescents placés, voici quelques éléments de réalité, sur base de nombreuses lectures et interviews réalisées auprès de deux institutions.
En 2016, les chiffres officiels faisaient état de 7.500 enfants placés en Belgique tous azimuts : 3.500 en famille d’accueil et 4.000 autres en institution. Des chiffres conséquents qui nous montrent que passer son enfance ou adolescence en institution est loin d’être un phénomène rare ou anecdotique. Si, comme nous l’avons abordé lors de notre dernier CALepin[1], les Services d’Accueil Spécialisés de la Petite Enfance (SASPE) ont pour mission d’accueillir les nourrissons et jeunes enfants (0-6 ans), les Services Résidentiels Généraux (SRG) prennent le relai en accueillant de manière collective des enfants et jeunes âgés de 3 à 18 ans. En parallèle, les SRG accompagnent également des jeunes en résidence autonome (dès 16 ans, on parle alors de pré-autonomie) et déploient le cas échéant des actions afin que le jeune puisse réintégrer la cellule familiale suite à un passage par la case institution. En FWB, 122 SRG existent actuellement et réalisent quelques 2.950 prises en charge[2]. En complément du travail quotidien des SRG, chaque SRU (Service Résidentiel d’Urgence) accueille et héberge au pied levé et de manière collective sept enfants âgés de 0 à 18 ans afin de réaliser des missions d’observation, d’investigation et d’aide à l’orientation de l’enfant ainsi que de sa famille. Le séjour dans un SRU est de 20 jours, renouvelable une fois. Onze SRU existent actuellement en FWB et réalisent près de 89 prises en charge[3]. Les SRU sont susceptibles d’accueillir tous les profils d’enfants et de jeunes (problèmes de santé mentale, handicaps…) car il s’agit ici de séjours court terme. Les SRG n’étant pas habilités à accueillir des enfants et jeunes nécessitant une aide et un encadrement spécialisé (cf troubles et comportements graves), ces derniers seront donc renvoyés vers des SROO (Service Résidentiels d’Observation et d’Orientation). Enfin, il existe également des services spéciaux destinés à héberger des enfants ayant été victimes de maltraitances : les SROO EVM (Service Résidentiels d’Observation et d’Orientation au bénéfice d’Enfants Victimes de Maltraitance). Vous suivez toujours ?
Dans ce nouveau dossier spécial, nous nous intéresserons en particulier aux deux premiers types d’institutions (SRG et SRU) de par leur aspect plus généraliste. Les placements en institution sont décidés par la justice et sont basés sur des rapports de l’Aide à la Jeunesse, dans l’optique de protéger les jeunes concernés. Les causes de ces placements sont diverses[4] et vont de la violence conjugale à la négligence, en passant par la maltraitance, les assuétudes, les carences éducatives ou encore la précarité. Plus surprenant, il existe aussi des cas où les parents aiment « trop » leurs enfants – ou du moins pas de manière adéquate – puisque, dans ces cas-ci, la relation parent-enfant est d’ordre fusionnel et peut conduire à la déscolarisation du jeune, à un manque de vie sociale… Il y a également des jeunes qui se retrouvent en institution suite au décès brutal du parent qui s’occupait d’eux, le second ayant disparu de la circulation ou étant inapte à le faire. « Chaque cas est unique en son genre »[5], rappelle à juste titre Stéphanie Mortier, directrice pédagogique du Logis, un Service Résidentiel Général implanté à Genval. Dans certaines configurations, le projet de l’enfant peut être de réintégrer la cellule familiale lorsque la famille se montre collaborante. « Il faut alors aider, soutenir, préparer la famille », poursuit Stéphanie. La vie en institution n’est alors qu’« une » étape pour l’enfant. Parfois, le projet de l’enfant – qui est toujours décidé par le mandant[6] – est la vie institutionnelle. Dans ce cas, il faut préparer l’enfant à la semi-autonomie puis à l’autonomie, dont l’apprentissage débute à 16 ans et s’achève à la majorité.
(Re)questionner le placement
Au moins une fois par an, le projet de l’enfant est revu pour (re)questionner la pertinence du placement et voir si le projet envisagé est toujours adapté à sa situation. « Parfois, en cours de prise en charge, le projet évolue. On peut passer d’un cas où le but était la réintégration du noyau familial à un projet de vie en institution car la famille n’a finalement pas les ressources nécessaires. Cela se voit aussi dans l’autre sens, d’où le fait de réinterroger le placement qui a de toute manière une validité d’un an », indique Mme Mortier. Lorsque le jeune arrive en SRG, les options de la famille d’accueil ou de l’adoption ne sont plus envisageables, « car si elles étaient réalisables au stade de la ‘pouponnière’, l’enfant n’arriverait pas jusque chez nous, même si la porte n’est pas pour autant fermée », poursuit celle dont la prise en charge moyenne dans son institution dure entre deux et trois ans. « L’âge de l’enfant joue évidemment et si ce projet n’a pas pu être déployé en SASPE, il ne le sera pas plus en SRG. » Une autre alternative pour les enfants placés est celle des familiers (tante, grands-parents…) chez qui le jeune peut retourner parfois le temps d’un week-end.
SAJ ET SPJ, QUELLES DIFFÉRENCES ?
SAJ[7] : le Service de l’Aide à la Jeunesse est une autorité publique intervenant uniquement dans le cadre protectionnel, c’est-à-dire que c’est un service qui propose une aide aux jeunes en difficulté ou en danger ainsi qu’à leurs proches. Un des objectifs du SAJ est de trouver en collaboration avec le jeune et sa famille, une solution aux problématiques afin d’éviter l’intervention de la justice, c’est-à-dire que rien ne pourra être fait ou décidé sans l’accord des jeunes d’au moins 14 ans et des parents concernés après échanges et négociations. On parle alors d’aide négociée ou collaborante. Qui peut y faire appel ? Les mineurs en danger/difficulté, les familles, les services de 1e ligne (CPAS…), les écoles et les hôpitaux. SPJ : S’il est constaté qu’un enfant ou un jeune est en état de danger, si sa santé ou sa sécurité sont menacées, si soit lui soit ses parents n’acceptent pas l’aide du SAJ ou ne mettent pas en œuvre les modalités du programme d’aide, le Tribunal de la Jeunesse peut être saisi et imposer une mesure d’aide contrainte. C’est le passage de l’aide négociée à l’aide imposée. Le Service de Protection de la Jeunesse est le service qui intervient une fois que le Tribunal de la Jeunesse a décidé de prendre une mesure d’aide. Son rôle est de mettre en œuvre cette mesure imposée par un juge. Le Tribunal de la jeunesse peut : soumettre l’enfant et/ou sa famille à un accompagnement éducatif ; décider de retirer temporairement l’enfant de son milieu familial et le confier à une institution ; permettre à un jeune à partir de 16 ans de vivre seul en autonomie. Le SPJ investigue, se renseigne sur la situation, rencontre les personnes concernées. Après la décision du Tribunal, le SPJ convoque les jeunes et/ou les parents concernés pour leur exposer la mesure applicable. Le SPJ intervient par exemple dans le choix d’une famille d’accueil ou d’une institution lorsqu’une mesure de placement est prise. Il est possible de repasser de l’aide contrainte à l’aide acceptée après homologation par le Tribunal de la jeunesse de l’accord trouvé ou bien le dossier peut être fermé s’il n’y a plus d’état de danger ou de difficultés.
Un secteur peu visible
Même si le paysage institutionnel de l’Aide à la Jeunesse a été optimisé il y a trois ans par Rachid Madrane (PS), Ministre compétent de l’époque, il reste difficile à visualiser et à comprendre par tout.e un chacun.e de par les nombreux acronymes qui y sont présents. En effet, plusieurs de nos interlocuteurs ont en effet attesté que les familles dont un ou plusieurs enfant(s) est/sont concerné(s) par l’Aide à la Jeunesse confondent les services entre eux (SRG, SRU…), voire ne cernent pas bien les missions de l’institution puisqu’un amalgame est fait avec les IPPJ (Institutions Publiques de Protection de la Jeunesse)[8] ou encore les prisons. Un amalgame et/ou une méconnaissance du travail des éducateurs ainsi que des directions d’institutions qui peu(ven)t être élargi(s) aux établissements scolaires que fréquentent les enfants placés où certains acteurs « pensent que notre quotidien, c’est de gérer des délinquants »[9], témoigne Stéphanie Mortier. « Notre mission première, c’est de faire du protectionnel. Après, on n’est pas à l’abri de basculer dans de la délinquance »[10], complète notre interlocutrice dont l’institution peut prendre jusqu’à 35 enfants en charge. Ce n’est pas nous qui dirons le contraire : il n’est effectivement pas simple de s’y retrouver dans l’Aide à la Jeunesse… « Les frontières n’y sont pas nettes. Faire rentrer des enfants dans des cases n’est pas aussi simple que ça », concède Stéphanie Mortier. « Certains acronymes peuvent porter à confusion, tandis que certaines populations de jeunes peuvent parfois se superposer alors que les pouvoirs subsidiants (l’Aide à la Jeunesse versus le Handicap ou la santé mentale) sont très différents. » Parce que la majorité de notre société n’est pas concernée ou intéressée par le « monde » des institutions, elle ne possède aucune connaissance de ce milieu tant celui-ci est – volontairement ou pas – rendu peu visible (invisible ?), notamment dans les médias. Et pour cause : « la souffrance des enfants placés n’intéresse pas les gens »[11], nous lâche de but en blanc Astrid Wautier, coordinatrice de l’Atalante, un Service Résidentiel d’Urgence situé à Nivelles. « Lorsque je parle de mon métier, de ce que je fais et des jeunes que je côtoie, on me demande de changer de sujet parce que je plombe l’ambiance. Quand j’accueille des stagiaires au SRU, je leur dis que ce qu’ils voient dans les séries policières américaines, où il y a des viols et des incestes, c’est en fait la vraie vie et qu’il faut s’accrocher pour travailler dans ce milieu. »
Bonnes (di)gestions et sens de l’adaptation requis
Comme l’explicite à juste titre Astrid Wautier, il faut effectivement avoir les épaules solides pour travailler de nombreuses années dans le secteur de l’Aide à la Jeunesse. Outre la fatigue physique et émotionnelle qu’implique le métier d’éducateur au quotidien, Emmanuel Wanty, coordinateur au Logis du groupe de vie de la « Fermette »[12] qui accueille des enfants de 3 à 15 ans, insiste sur la nécessité de bien se connaître, « à la fois pour avoir une proximité la plus juste possible avec le jeune, continuer à avoir une oreille attentive à ce qu’il peut nous dire et ne pas reporter sur lui des problèmes qui seraient d’ordre privé »[13].
Plus qu’un véritable « self-control » où il s’agirait de gérer ses propres sentiments, le métier d’éducateur requerrait surtout une bonne digestion « car notre métier implique de passer sans cesse d’un imprévu logistique, à une discussion où il y a eu de l’émotion à des tensions à gérer entre plusieurs jeunes… ». Faire la transition entre tous ces moments nécessite donc de bien les digérer individuellement afin de ne pas frôler l’overdose. Et revient alors la salutaire bonne connaissance de soi car chacun.e va avoir ses propres trucs et astuces pour se ressourcer entre chaque épisode. Emmanuel va dans ce sens : « ce qui est difficile, c’est de passer d’une chose à l’autre, de se remettre à 100% dans le mental (organisation) alors qu’on vient d’être plongé.s dans de l’émotionnel », « par exemple une famille nous hurlant dessus car elle est contre le placement », illustre Stéphanie. « On est en première ligne du placement, on le symbolise pour les familles et de temps en temps pour les jeunes, alors il faut parfois vivre avec cette image de ‘méchants ‘, même si finalement ce n’est pas nous qui décidons du sort de l’enfant car notre avis n’est que consultatif », relativise la directrice pédagogique. « Nous-mêmes nous pouvons être en désaccord avec le projet de vie décidé par le mandant, mais cela fait partie du système dans lequel on se trouve et nous n’avons pas d’autre choix que d’en accepter les contraintes. » Ce rôle de tampon, d’éponge, entre les mandants, les familles et les jeunes peut être « usant, fatigant », explique Emmanuel, « mais on ne doit pas prendre les choses personnellement ». Les années d’expérience aident également à « affronter » le quotidien avec plus de facilité. « Avec le temps, on apprend en effet à lâcher prise sur ce qui ne dépend pas de nous (la décision du mandant, les objectifs fixés, le manque d’implication de la famille ou du jeune) et à investir notre champ d’action (faire des propositions aux jeunes, co-construire avec lui son avenir, l’aider à acquérir de l’autonomie…) », développe Stéphanie Mortier. Et cette dernière de conclure : « C’est quand même dur ce qu’on leur fait vivre : vivre en collectivité tout le temps, avec des gens qu’ils n’ont pas choisis, avoir un nombre de règles important à suivre… L’institution ne devrait pas exister. »
Quand institution rime avec maison
La majorité des jeunes du Logis passent une grande partie voire la totalité de leurs week-ends entre les murs de l’institution. Une situation qui les pousse à dire : « ‘vous, les éducateurs, vous rentrez chez vous le soir. Nous on est là H24. Les règles, ce sont VOS règles.’ A nous ensuite de mettre du sens dans tout cela… », explique Emmanuel. Il revient alors à l’équipe de l’institution de reposer les balises. « Régulièrement, on doit replanter le contexte : ‘est-ce que tu sais pourquoi tu es ici ?’, car pour des enfants de 4-5 ans, les mots ‘juge”, ’délégué’ ne veulent rien dire », détaille Stéphanie. « Parfois, c’est la même démarche pour les ados de 12-13-14 ans, car on accueille quand même des jeunes qui, pour leur âge, ont un faible niveau de compréhension. Même si on est dans le secteur de l’Aide à la Jeunesse et pas du handicap, il y a toute une série de jeunes qui sont limités dans leurs moyens et ressources intellectuelles et on ne peut pas leur demander la même chose qu’à un autre jeune. »
Au SRU de Nivelles, le rythme adopté est proche de celui d’un foyer classique. « Les repas sont pris ensemble, sauf si nous accueillons des petits qui mangent plus tôt pour aller au lit ou à la sieste, mais c’est rarement le cas », détaille la coordinatrice de la maison. A la fin des 20 ou 40 jours passés sur place, « la plupart des jeunes retournent vivre en famille et un suivi intensif est fait avec eux. Lorsque le jeune doit être orienté vers un autre service, très souvent il n’y a pas de solution car les institutions sont totalement saturées. On peut alors les rediriger vers une AMO[14] ou un autre SRU[15] où ils passeront quelques jours, faute de mieux », regrette Mme Wautier. « Notre but est de semer des graines qui finiront, nous l’espérons, par germer à un moment. On est satisfaits quand on a appris et montré autre chose au jeune que ce qu’il.elle connaissait jusque-là. Souvent, la vie en institution leur fait prendre conscience d’une certaine ‘normalité ‘ à laquelle ils.elles sont peu / pas habitués. Le jeune a toujours un déclic à un moment, même si ce n’est pas dans nos murs. »
La scolarité : une priorité
Une partie des jeunes du Logis est inscrite dans l’enseignement spécialisé. Avec la difficulté souvent de devoir choisir entre deux types de l’enseignement spécialisé « alors que le jeune est concerné par les deux », témoigne Stéphanie. « La scolarité de nos jeunes est un défi quotidien », poursuit la directrice pédagogique. « Vouloir que nos jeunes se construisent une scolarité qui ait du sens, dans laquelle ils soient épanouis et qui continue pour se construire un avenir, c’est difficile. On met la priorité sur la scolarité car c’est aussi important pour leur socialisation, leur capacité à s’intégrer dans un groupe… Car la majorité des jeunes que nous suivons n’a pas de réseau sur lequel s’appuyer. »
Heureusement, l’équipe du Logis arrive à entretenir de bonnes relations avec le réseau scolaire local. « Nous travaillons avec quatre petites écoles primaires, avec lesquelles nous avons de très chouettes collaborations », développe Stéphanie. « Pour le niveau secondaire, nous nous sommes également construits un réseau. Cela prend beaucoup de temps et les échanges ne sont parfois pas aussi constructifs avec toutes les écoles. Par exemple, il nous est déjà arrivé d’apprendre trois mois plus tard qu’un incident avec un jeune était survenu, alors qu’on aurait aimé être informés tout de suite afin d’être très réactifs. » Concernant le « statut » des jeunes en institution, les écoles sont toujours au courant. « Nous travaillons en totale transparence avec tous nos partenaires, qu’il s’agisse des jeunes, de la famille, des mandants, des établissements scolaires… » Si les plus jeunes sont conduits à l’école par les membres de l’équipe, ceux inscrits dans le secondaire se déplacent en transports en commun pour rejoindre Bruxelles, Waterloo ou encore Nivelles. « Nous sommes par ailleurs attentifs à ne pas mettre tous les enfants de l’institution dans la même école / classe pour ne pas les stigmatiser davantage et dans le but qu’ils aient tous leur espace, leur classe, leurs copains… », indique Stéphanie. Pour le jeune, une décision de placement implique bien souvent un changement de lieu de vie mais aussi d’école. De par leur statut, les enfants placés ne sont pas assujettis aux règles du décret inscription et peuvent intégrer une classe à tout moment de l’année scolaire.
Du côté du SRU nivellois, les enfants scolarisés se rendent à l’école en transports en commun en toute autonomie. « Ceux qui ne le sont pas peuvent se rendre au centre de jour de l’Amarrage – l’ASBL qui chapeaute le SRU – où les éducateurs essaient de les occuper au travers d’activités culturelles, sportives et citoyennes », développe Astrid Wautier. Sport pour pratiquer le dépassement de soi, expositions, visite de musées, visionnage d’un film pour traiter d’une thématique précise… « Nous essayons de proposer des activités qui équivalent d’une certaine manière à ce qui est fait en classe pour ne pas inciter les jeunes scolarisés à abandonner l’école. » Les activités récréatives (cinéma, parc à thèmes…) sont quant à elles réservées aux week-ends et relèvent de l’exceptionnel pour coller au maximum à la réalité d’une famille. L’Atalante propose également aux jeunes des stages-actions. « Nous avons un partenariat avec une centaine d’entreprises à finalité économique ou sociale dans lesquelles les jeunes peuvent tester un métier, affiner une orientation pour une période de courte durée. Cela leur permet d’y voir plus clair dans leur orientation et c’est une belle expérience à valoriser par la suite. »
Travailler en flux tendu au quotidien
Une équipe composée de 10 éducateurs et d’une intervenante psychosociale qui travaille avec les jeunes et les familles, ce n’est pas de trop pour accueillir et accompagner les sept jeunes âgés de 3 à 17 ans qui résident dans la jolie maison de maître du SRU l’Atalante. « Notre personnel est plus important que dans un SRG car nous avons beaucoup de rendez-vous (CPAS, mutuelle, mandant, familles…) auxquels nous devons souvent nous rendre au pied levé aux quatre coins de la Wallonie »[16], explique Astrid Wautier, la coordinatrice des lieux. Les jeunes étant sur place entre 20 et 40 jours, les éducateurs n’ont pas le temps de mettre en place un accompagnement approfondi. « Notre métier consiste à observer le jeune, à investiguer et à proposer des pistes de solution d’orientation qui pourraient l’aider et que nous rapportons ensuite au mandant faute de pouvoir les déployer ici », complète celle qui en est à son 7e engagement depuis le début de l’année. Si les SRU accueillent des jeunes confrontés à toute une série de problématiques (maltraitance, déscolarisation, comportements violents…), ce type de structure existe également pour offrir une respiration à certaines institutions pour qui le quotidien avec un jeune devient compliqué. « Cela peut être le cas quand le placement dure depuis tellement d’années que le jeune met le placement à mal. Certains jeunes viennent parfois ici le temps de trouver un service vers lequel les orienter. Je pense par exemple à un jeune décrit comme étant agressif en famille alors qu’ici c’était une crème et qu’il n’avait aucun problème de comportement. » Un changement de contexte qui va générer une modification des comportements et des interactions. L’autre différence avec les Services Résidentiels Généraux ? C’est qu’un SRU ne comporte pas de thérapeute ni d’infirmier sur place, « alors qu’on peut malgré tout être amenés à réaliser un suivi psychiatrique et médicamenteux », souligne Astrid Wautier. « Notre métier requiert de pouvoir prendre un certain recul émotionnel et de savoir ‘couper’ quand la journée est terminée, même si l’éducateur.trice par nature s’évertuera toujours à vouloir trouver des solutions pour tel ou tel jeune. »
Au Logis, la notion de temps revient elle aussi à de nombreuses reprises au cours de nos échanges. « La gestion du quotidien prend globalement beaucoup de temps. A côté de ça, notre métier c’est d’accorder du temps aux jeunes, des moments privilégiés, en plus des imprévus organisationnels (un jeune qui se casse le pied), disciplinaires (un jeune qui pète les plombs à l’école et qu’on doit aller chercher en urgence), familiaux (une maman qui se suicide) qui peuvent survenir », précise Emmanuel. « Notre métier est riche d’imprévus, c’est ce qui en fait la beauté, mais il faut savoir réagir à chaque fois dans le calme, ce qui prend beaucoup d’énergie. »
LA MUE RÉCENTE DU SECTEUR DE L’AIDE À LA JEUNESSE
Depuis le 18 janvier 2018, le paysage institutionnel de l’Aide à la Jeunesse (AJ) a évolué puisqu’il est désormais régi par le Code de la prévention, de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse. Les outils et appellations des différents services ont été simplifiés afin de garantir une aide adéquate et rapide aux jeunes en danger. Le secteur de l’AJ se répartit depuis lors en trois secteurs : la prévention ; les mesures d’aide et de protection pour les mineurs en difficulté ou en danger et les mineurs en conflit avec la loi[17]. L’objectif visé est clair : rendre plus lisible le secteur de l’AJ pour le grand public, y compris les familles. Selon une étude réalisée par l’équipe de la Ligue des Familles, ce nouveau décret a permis de renforcer « les droits des enfants et des parents […] par une série de garanties spécifiques, notamment un accès élargi aux dossiers, la réduction des délais de transmission des écrits, l’assistance d’un·e avocat·e… La place du parent est désormais plus grande et la priorité absolue du maintien en famille est une évolution positive. »[18] Une réserve cependant : « le législateur aurait pu aller encore plus loin et considérer les parents du·de la jeune comme des partenaires obligés, et ce peu importe la situation de la famille et le type d’aide à la jeunesse mis en place. » A noter également que la prévention fait dorénavant l’objet d’une politique à part entière avec la création dans la foulée de nouveaux organes (le Conseil de prévention et le Collège de prévention) et acteurs (les chargés de prévention).
Des objectifs… mais pas de moyens suffisants
Au Logis, trois enfants sur les 35 pris en charge vivent 24h/24, 7 jours sur 7 au sein de l’institution. La majorité des jeunes sur place retourne une journée, un ou deux week-end(s) par mois dans leur famille, « ce qui fait qu’il y a beaucoup de monde le week-end ici », témoigne Emmanuel. Un paramètre non pris en compte dans le fonctionnement quotidien d’une institution car « la norme d’encadrement est liée au nombre de prise en charges et non au nombre de jeunes qui rentrent en famille », complète Stéphanie Mortier. Au Logis, cette norme est de 6.5 éducateurs temps plein pour 15 jeunes, 0.5 assistant(e) social, un coordinateur, un poste de direction et un poste technique. Curieusement, les mandants demandent un suivi thérapeutique aux institutions mais aucun poste de psychologue ou de thérapeute familial(e) n’est repris dans la norme d’encadrement. Ce type de prestations se fait alors à l’extérieur de l’institution. « C’est un vrai casse-tête en termes de logistique de devoir planifier les rendez-vous des enfants avec les horaires et les lieux où les déposer / aller les chercher », témoigne Stéphanie, « d’autant plus que cela mobilise un.e éducateur-trice qui ne sera du coup pas disponible pour réaliser son travail d’encadrement habituel. Nous devons parfois faire des choix difficiles : pour les jeunes arrivant en cours d’année scolaire, je n’ai plus de possibilités de mettre en place des prises en charge thérapeutiques car celles-ci sont organisées dès le mois de juin pour septembre avec les professionnels que nous connaissons. » Ces prises en charge – pourtant cruciales – sont alors reportées, faute de moyens humains suffisants… Le même type de dilemmes se posent également lors des visites organisées. « Nos locaux et notre personnel d’encadrement n’étant pas infinis, comment dois-je faire lorsque j’ai quatre visites d’affilée le mercredi après-midi et qu’un parent arrive avec 2h de retard ? », questionne celle qui a travaillé par le passé dans le milieu du handicap. A l’idée de solliciter des bénévoles, Stéphanie n’est pas contre mais « il faut que la personne soit fiable dans la durée, ce qui est difficile à prévoir. » Quant à celle de rémunérer des étudiants pour conduire/aller chercher les enfants à leur rendez-vous thérapeutique, elle est déjà d’application mais non prise en compte dans le budget d’une institution. « Ces frais extras, nous les payons grâce à notre trésorerie ou aux dons qu’on reçoit », souligne la directrice pédagogique. Emmanuel, coordinateur au Logis, ajoute avec amertume : « on aimerait aussi pouvoir offrir à ces jeunes l’occasion de découvrir une activité nouvelle ou dont il rêve, mais faute d’éducateurs présents en suffisance ce n’est pas possible. Ne pas pouvoir mettre en place plus de choses est très frustrant pour nous. » Et d’ajouter : « les jeunes ont besoin de stabilité mais ils n’ont parfois pas le choix que de composer avec beaucoup d’instabilité (éducateurs changeants, recours à des services extérieurs, échanges avec les mandants…). Certains jeunes vont jusqu’à demander : ‘c’est quoi ma vie ici ?’ »
« Quelque part, on nous demande d’atteindre des objectifs sans nous donner les moyens suffisants pour les atteindre », déplore Stéphanie. « Il existe deux réalités : celle que les mandants présentent aux jeunes, aux familles, avec ce dont ils ont besoin [de manière concrète], et celle dictée par l’administration de l’Aide à la Jeunesse. Il n’y a aucune communication entre les mandants et les services qui régissent notre secteur, ce qui est totalement absurde ». Et de suggérer : « II faudrait plus de transparence dans la communication envers les enfants et leurs familles, pour ne pas leur donner de faux espoirs. Chaque institution a aussi un mode de fonctionnement qui lui est propre. Les mandants décrivent parfois les institutions de manière idéale pour faire un peu ‘passer la pilule’ du placement parce qu’on sait que certains parents ont une réaction très forte lors de l’annonce du placement. » Que faudrait-il pour que votre travail soit un brin plus confortable ? A cette question, Stéphanie Mortier, directrice pédagogique, nous répond : « pouvoir bénéficier d’un.e psy ou thérapeute familial.e, qui travaillerait dans un espace neutre avec les jeunes, serait un gros plus. Quitte à rêver : pouvoir disposer d’un.e éducateur.trice supplémentaire nous permettrait de travailler moins en flux tendu, surtout lorsqu’il y a des malades, car ce n’est pas l’idéal de solliciter des étudiants payés sur fonds propres. Cela rajoute encore des adultes à tous ceux que les jeunes côtoient déjà. » Du côté de l’Atalante, « pouvoir contacter un pédopsy en urgence pour disposer de ses services » permettrait de combler un gros manque actuel, souligne Astrid Wautier.
La Laïcité se mobilise
A Charleroi. Lancé il y a quelques années, le projet « PhilGood » a permis de mener des ateliers avec différentes institutions. Ce projet visait à aller à la rencontre des enfants qui « sortent » des structures scolaires traditionnelles tels que les enfants hospitalisés ou placés en institution. Fragilisés par la vie, ils ont d’autant plus besoin d’être outillés pour le futur. L’idée : ouvrir une parenthèse pour leur permettre d’être pleinement eux-mêmes, proposer un espace d’ouverture propice aux échanges pour offrir un moment d’évasion par la réflexion. L’outil privilégié était la pleine conscience mais aussi la pratique philo ainsi que des ateliers artistiques. A la clé : cultiver ses atouts, travailler à la gestion de ses émotions, œuvrer à construire une image plus positive de soi afin de doper la confiance et l’image renvoyée aux autres. Ces activités ont été suspendues durant la période COVID. L’équipe du CAL Charleroi va prochainement reprendre contact avec les différents partenaires pour éventuellement relancer ce projet ou le réajuster afin de correspondre à une potentielle nouvelle réalité sociale et institutionnelle.
A Liège. Depuis 2014, le CAL de Liège est en relation avec le Service Résidentiel pour Jeune (SRJ) « La maison de l’enfant » à Seraing afin d’inscrire chaque année un voire deux enfants (si fratrie) aux ateliers organisés à Seraing. Une deuxième équipe du CAL s’apprête à développer le projet des ateliers sur Jupille. Un partenariat avec un autre centre de placement est envisagé. L’équipe envisage également de contacter un centre de la Croix Rouge afin d’intégrer des MENA (Mineurs Étrangers Non Accompagnés) au projet.
Dans le Brabant wallon. Depuis 2009, la Fabrique de Soi (FDS), l’école de devoirs tubizienne de Laïcité Brabant wallon, invite les jeunes, leurs familles et le réseau scolaire à s’investir dans l’Opération Boîtes à KDO. Le concept : récupérer une boîte à chaussures et la garnir copieusement d’une dizaine d’attentions (petit mot, friandises, jouets, livres, produits de soin, vêtements, le tout neuf ou dans un état impeccable) afin de l’offrir pendant les fêtes de fin d’année à un enfant fragilisé (enfant placé, vivant en maison maternelle, dont l’un des parents est en prison ou réfugié). Étalée sur quatre mois, l’Opération Boîtes à KDO a suscité en 2020 une mobilisation sans précédent puisque près de 1.400 boîtes ont été offertes à 1.100 jeunes fragilisés. Mais ce n’est pas tout ! Depuis 2005, le Pôle Philo propose des ateliers philo en dehors des milieux scolaires. En 2020-2021, c’est avec les adolescents placés à l’IPPJ de Braine-le-Château, mais aussi avec ceux qui fréquentent le Ponceau[19] à Ottignies et le SASSO à Louvain-la-Neuve, en collaboration avec l’école Escale[20] que les animateur.trices du Pôle Philo ont pu échanger et philosopher.
Conclusion
Si, au printemps dernier, nous avions déjà relevé les conditions de travail difficiles et les moyens limités mis à disposition des SASPE, la situation ne semble guère plus florissante du côté des SRG et SRU avec qui nous avons pu nous entretenir longuement. Ici encore, les dons émanant du secteur privé ont toute leur importance et les éducateurs essaient d’encadrer du mieux qu’ils peuvent les enfants qui leur sont confiés. Après le maternage reçu durant les premières années de vie au sein des “pouponnières”, les enfants qui grandissent en SRG doivent être écoutés, guidés, éduqués, motivés voire recadrés lorsque cela s’avère nécessaire. Une mission de longue haleine, parfois éreintante, qui mobilise au quotidien toute l’énergie des éducateurs et des directions. A cela vient s’ajouter le défi d’“accrocher” ces jeunes fragilisés à l’école, de leur en donner le goût, afin de leur offrir un maximum de chances pour l’avenir. Face à ces jeunes dont l’horizon s’avère chargé en “challenges”, la laïcité ne reste pas les bras croisés et se mobilise aux quatre coins de la FWB. Le but : égayer la vie de ces jeunes qui trimballent parfois derrière eux une batterie de casseroles en les considérant comme des enfants “lambdas”. S’il reste encore du chemin à parcourir pour cesser de stigmatiser ces enfants qui n’ont pas eu la chance « de naître au bon endroit », il relève de la responsabilité des pouvoirs publics de permettre aux professionnels du secteur de l’Aide à la Jeunesse de mener leurs missions dans des conditions humaines et dignes.
Bibliographie
[0] Les 16 ans et plus feront l’objet d’un dossier spécifique en décembre prochain.
[1] Voir notre dossier du CALepin n°102 : « Pouponnières : des réalités peu connues ».
[2] http://www.aidealajeunesse.cfwb.be/index. php?id=servicesagrs&no_cache=1
[3] Idem.
[4] Voir notre CALepin précédent (n°102) dont le dossier principal était « Pouponnières : des réalités peu connues ».
[5] L’ensemble des propos de cette intervenante sont issus d’une interview réalisée le 6 juillet 2021.
[6] Le « mandant » désigne les autorités en matière d’Aide à la Jeunesse, soit le Service d’Aide à la Jeunesse (SAJ) et le Service de Protection de la Jeunesse (SPJ).
[7] Définitions trouvées sur le site de l’AMO Inser’action et sur www.aidealajeunesse.be
[8] Nous aurons l’occasion de reparler plus en profondeur des IPPJ en décembre prochain.
[9] Propos issus d’une interview réalisée le 6 juillet 2021.
[10] Idem.
[11] Propos issus d’une interview réalisée le 9 juillet 2021.
[12] Le Logis dispose de 2 bâtiments ou “unités de vie” : le ”Moulin“ pouvant accueillir et accompagner au maximum 20 (pré-)adolescents de 10 à 18 ans ; la ”Fermette“ accueillant les plus jeunes (essentiellement de 3 à 12 ans) – maximum 15 garçons et filles – en particulier dans le cadre de l’hébergement des fratries.
[13] Propos issus d’une interview réalisée le 6 juillet 2021.
[14] Service d’actions en milieu ouvert dont le but est d’aider le jeune dans son milieu de vie (famille, école…). Les AMO sont une solution que les instances de placement envisagent quand il n’y a pas de solution à la fin de la période de prise en charge.
[15] Ce sont les instances qui mandatent les SRU qui vont prendre la décision d’un placement dans un autre SRU.
[16] Propos issus d’une interview réalisée le 9 juillet 2021.
[17] Voir détails sur le site de l’Aide à la Jeunesse : www.aidealajeunesse.cfwb.be
[18] « L’aide à la jeunesse : les nouveautés pour les parents », site de la Ligue des familles, 20 décembre 2019.
[19] Le Ponceau s’adresse à des jeunes de niveau primaire et secondaire sous certificat médical qui ne peuvent plus fréquenter leur école d’origine.
[20] Escale offre un enseignement spécialisé de type 5 fondamental et secondaire à l’intention de jeunes malades dans différents hôpitaux des régions bruxelloise et wallonne.