Pouponnières : des réalités peu connues

En 2020, près de 6.535 enfants viv(ai)ent hors de leur foyer familial (dans une institution ou une famille d’accueil) à l’échelle du pays[1]. Laïcité Brabant wallon – via son école de devoirs La Fabrique de Soi située à Tubize – organise depuis près de 15 ans l’opération Boîtes à KDO, dont l’objectif est d’apporter un peu de gaité, entre autres, aux enfants placés par le juge et vivant en institution au moment des fêtes de fin d’année. Une initiative à succès, forte en solidarité, qui a, aujourd’hui encore, toute sa nécessité. Sensibilisée à la question des enfants placés via l’opération Boîtes à KDO, l’équipe du CALepin a eu envie d’aller plus loin, de creuser le sujet et, de fil en aiguille, a découvert que les tout jeunes enfants – dont des bébés – étaient accueillis dans des SASPE, les Services d’Accueil Spécialisé de la Petite Enfance. Appelées « pouponnières » par le passé, que revêt le quotidien des SASPE ? Quelles sont leurs rôles, missions et réalités en 2021 ? Et comment s’inscrivent-ils dans le paysage – complexe – de l’Aide à la Jeunesse ? L’un d’entre eux a accepté de nous ouvrir ses portes. Lectures, interviews et témoignages à l’appui, nous allons essayer de répondre à ces quelques questions.

 

Il est 15h30. Tandis que les trois “petits” (2 ans – 2 ans et demi) finissent tout doucement de goûter, les “grands” rentrent de l’école. L’ambiance de la section devient tout à coup bruyante et pleine de vie. Tour à tour, ce ne sont pas moins d’une dizaine de bambins âgés de quatre à sept ans qui arrivent au pas de course dans les locaux colorés du Home Reine Astrid, à La Hulpe. Il pleut dehors alors Mélissa a son pansement qui s’est décollé de son mollet. Hugo quant à lui a brillé en classe lors de son exposé du jour. Au point que tous les camarades ont applaudi la prestation. « Alors les loulous, comment s’est passée la journée ? », demande avec douceur Dorothée[2], assise au centre du cercle de bambins et qui ne chôme pas une seule seconde. S’ensuivent des sorties et discussions entre les enfants, parfois cacophoniques au sein du groupe mais toujours modérées avec bienveillance par une des puéricultrices présentes. Autour du cercle d’enfants, Corine, la psychopédagogue de l’institution, observe le comportement d’une petite de deux ans et demi arrivée la veille.
« Elle sourit tout le temps, ce qui n’est pas normal quand on arrive dans un lieu qu’on ne connaît pas avec des inconnus », échange Corine avec un des éducateurs. « La petite est hyper adaptée, c’est-à-dire qu’elle nous montre que tout semble bien aller, mais au fond d’elle, elle a peur de montrer ses émotions. » On constate ce type de comportement chez les enfants dont les besoins n’ont pas été pris en compte. Une mère lambda donnera par exemple à manger à son bébé à 12h quand elle verra qu’il a faim. Une mère inadéquate ne le fera pas, ce qui enverra le message à l’enfant que quand il pleure, on ne prend pas en compte ses besoins. L’enfant cherchera alors à faire l’inverse pour qu’un adulte s’occupe de lui. En vain…

Une accumulation des difficultés

Des scènes de vie comme celles-ci, il s’en passe régulièrement au sein des murs de cette institution créée en 1952 à la Hulpe et qui accueille aujourd’hui 56 enfants âgés de 0 à 6 ans. Agréée par l’Office de la Naissance et de l’Enfance, il s’agit du seul SASPE[3] en Fédération Wallonie-Bruxelles qui est également organisé par l’ONE. Sa mission : accueillir, de jour comme de nuit, les jeunes enfants de parents qui ne sont pas aptes, de manière temporaire, à s’en occuper. Ce placement peut être volontaire (on parle d’aide consentie) c’est-à-dire à l’initiative des familles, mais il peut aussi être le fruit d’une décision de la justice, basée sur des rapports de l’Aide à la Jeunesse ou de la Protection de l’Aide à la Jeunesse.
On parle alors d’aide contrainte. Les SASPE accueillent également les bébés candidats à l’adoption qui, eux, n’y restent la plupart du temps que quelques mois, le temps que la mère
biologique ait confirmé sa décision. A l’origine des placements d’enfants, on trouve différents motifs : précarité, dépendance à l’alcool/ aux drogues, négligence ou encore maltraitance vis-à-vis de l’enfant, conflits familiaux, décrochage scolaire, carences éducatives, problèmes psychologiques, emprisonnement ou séjour à l’hôpital. Selon Magali Kremer, directrice du SASPE Reine Astrid, on assiste à une addition des difficultés au sein des familles. « Il y a de plus en plus de parents qui, malheureusement, combinent une série de facteurs qui rendent leur obligation parentale de plus en plus difficile à appliquer au quotidien et qui doivent être soutenus à certains moments. Malheureusement, c’est beaucoup plus difficile à travailler car quand on doit travailler sur un seul facteur, on sait comment on doit faire et sur quoi on doit se concentrer. Et puis il y a des facteurs qui ne dépendent pas de nous évidemment. Quand c’est une question de précarité – et malheureusement la précarité est de plus en plus grande et elle impacte de plus en plus les enfants -, c’est un problème de société et pas seulement un problème qu’on peut travailler ici. »[4]

Un « sac à dos » chargé à vie

L’impact de cette violence souvent multifactorielle chez les tout-petits est loin d’être anodin. Il est désormais connu et prouvé que les 1.000 premiers jours (du 4e mois de grossesse aux deux ans) sont cruciaux pour son développement. S’il ne reçoit pas l’attention dont il a besoin pendant cette période, il risque d’en subir les conséquences tout au long de sa vie, que ce soit au niveau du développement cérébral, de la stabilité émotionnelle ou de la capacité de résilience. Tels des éponges, les bébés sentent l’ambiance qui règne autour d’eux et l’absorbent, au point qu’il leur arrive de « se mettre en retrait lorsqu’ils sentent que les parents ne sont pas disponibles. Un bébé en retrait va se faire un peu oublier, car il comprend que, s’il demande trop, cela peut représenter un risque », développe Cindy Mottrie, psychologue, dans une interview accordée à nos confrères d’Alter Echos[5]. Dans d’autres cas, un bébé peut être très développé au niveau psychomoteur car il a été livré à lui-même et a dû apprendre à se débrouiller tout seul. En général, les équipes des SASPE considèrent qu’elles ont trois ans pour agir au niveau des troubles de l’attachement car c’est durant la petite enfance (0-3 ans) que l’enfant apprend ce qu’est un schéma relationnel qu’il sera lui-même amené à reproduire plus tard. Ce qui n’a pas été appris pendant cette période est ensuite difficile à rattraper. « On ne va pas complètement faire qu’un enfant sera totalement ‘sécure’ parce que son cerveau a mémorisé le traumatisme […], mais on peut l’aider à vivre normalement, à pouvoir avoir des relations normales avec les gens, être en confiance, à ne pas se méfier de tout le monde, à ne pas se mettre en danger »[6], explique Corine Bousquet. « Quand on voit par exemple les adultes toxicomanes, c’est souvent qu’il y a eu un trouble de l’attachement au départ. Et ce sont des gens qui se mettent énormément en danger. C’est cela que nous voulons éviter (avec ces enfants). »[7] Si le « sac à dos » des enfants ayant vécu de la maltraitance restera donc chargé à vie, les psychologues des SASPE leur apprennent à savoir le gérer. Et, surtout, leur montrent qu’il est possible de vivre autre chose par la suite. « Ce qu’on leur donne ici, c’est une sorte de protection pour l’avenir. C’est-à- dire qu’un enfant qui a confiance en un adulte parce qu’on peut avoir confiance en un adulte n’aura pas confiance en n’importe qui », développe Corine Bousquet. « On leur donne cette envie de se protéger, que n’ont pas eue leurs parents, qui ont soit été en institution aussi ou alors sont restés chez eux où ce n’était pas forcément l’idéal. On leur donne le moyen d’exprimer leurs émotions, de pouvoir dire ‘je n’ai pas envie de ça‘, ‘ je suis fâché.e’. Et de parler aussi. C’est [tout cela] qui leur permet d’être plus forts, beaucoup plus forts que ne le sont leurs parents et leur famille généralement. » Au Home Reine Astrid, on s’estime tout de même chanceux car le personnel qui y travaille est nombreux. « Il y a des institutions qui n’ont pas de psychologue ou un psy qui vient de temps en temps, alors que nous, nous sommes quand même trois », souligne Corine Bousquet. Vous l’aurez compris : il n’existe pas une même réalité pour les différents SASPE existants mais bien une réalité par institution.

Une véritable fourmilière

Outre l’objectif de devoir protéger au pied levé les enfants exposés à un danger, les SASPE sont aussi chargés de mener plusieurs autres missions : héberger les enfants dans un cadre collectif et résidentiel, les accompagner et les encadrer lors du retour dans leur famille, élaborer un « projet de vie » pour chaque enfant le temps de son placement en institution, offrir un environnement et un encadrement social et médical adaptés aux besoins des bambins et à leur âge. Des missions très larges comme on le voit, et qui nécessitent un éventail de professionnels pour accompagner au jour le jour les enfants. Au SASPE de La Hulpe, le personnel est nombreux et ne compte pas moins de deux psychopédagogues, neuf éducateurs / puéricultrices par unité de vie (soit 45 personnes en tout), trois assistantes sociales, une directrice, un pool de secrétaires, une équipe d’assistants ménagers, des cuisiniers ainsi qu’une équipe d’ouvriers pour réparer les petites casses du quotidien et entretenir la plaine de jeux. C’est une véritable fourmilière qui est à l’œuvre pour encadrer les 56 enfants accueillis sur place. Et qui fait quoi dans tout ce beau monde ? « Les éducateurs et les puéricultrices ne s’occupent que des enfants, de tout ce qui est lié à leur journée. Cela va des rendez-vous médicaux, aux sorties, car chacun d’entre eux est le référent d’un ou deux enfants. Ceux qu’on appelle les « responsables maisons » sont un peu des chefs éducateurs. Ils sont à la tête d’un groupe et sont chargés de voir si tout ce que les psychopédagogues mettent en place est bien suivi sur le terrain. Ils sont aussi chargés du pan médical (administration de traitements). Les psychopédagogues sont là en soutien aux éducateurs et puéricultrices. Ils mettent en place une pédagogie ainsi que des projets particuliers pour chaque enfant (avec leur personne référente en interne) selon les problématiques qu’il présente. Ils organisent aussi la vie du groupe au fil de la journée. Ils passent beaucoup de temps à observer les enfants et sont chargés de leur annoncer certaines nouvelles »[8] , comme, par exemple, son projet de vie (adoption, accueil dans une famille, poursuite en institution, réintégration de sa famille biologique) ou un départ dans une autre institution.

C’est en tout cas toujours le juge ou le conseiller du SAJ (Service d’Aide à la Jeunesse) qui décide de la suite du parcours de l’enfant. « Les psychologues de l’Espace Famille s’occupent quant à elles d’accueillir voire encadrer les parents lors des visites où cela est nécessaire, quand on estime que l’enfant est potentiellement en danger. Elles sont aussi chargées du suivi thérapeutique des parents qui l’acceptent. Les assistantes sociales, quant à elles, font le lien entre l’institution, les familles et le SAJ / le SPJ (Service de Protection de la Jeunesse) », aussi appelés les « mandants ». Les assistantes sociales coordonnent également le projet de vie de l’enfant. « Toute notre équipe n’a qu’un seul but : l’intérêt de l’enfant. »[9]

Pour quelle(s) issue(s) ?

Chaque année, seulement 5% en moyenne des enfants accueillis au Home Reine Astrid sont destinés à être adoptés. Mais les retours dans le giron familial sont encore plus exceptionnels nous explique Corine Bousquet, psychopédagogue de l’institution depuis 15 ans. « Quelques enfants partent en famille d’accueil mais très peu rentrent chez eux. »[10] L’an dernier, cela concernait une fratrie et un enfant. La plupart des bambins poursuivent leur chemin en institution. Un récent article de la RTBF avançait, lui, que seulement 10% des enfants placés en institution réintégrait ensuite leur famille[11]. En théorie, un placement ne doit pas excéder un an mais, dans les faits, un enfant peut passer plusieurs années de sa vie dans une même institution… voire en changer lorsque la tranche d’âge couverte par l’institution est atteinte, qu’aucune famille d’accueil n’est disponible ou que l’enfant n’est pas prêt – psychologiquement s’entend – à y aller. Un retour en famille n’est par ailleurs envisageable que lorsqu’un travail a pu porter ses fruits du côté des parents (entretiens avec un.e psychologue, accompagnement par un.e assistant.e social.e etc.). Par ailleurs, plus les enfants grandissent, moins ils sont susceptibles d’aller en famille d’accueil car la transition institution / famille d’accueil devient alors de plus en plus ardue. Si l’objectif premier des SASPE est la réintégration du noyau familial par l’enfant, nous venons de voir que seule une toute petite partie des enfants est en bout de course concernée. La cause ? Des familles qui donnent encore trop peu de garanties pour « récupérer » leur(s) enfant(s) à cause, notamment, de troubles de la parentalité. Certains auraient besoin, entre autres, d’un suivi psychologique mais « rien ne les y oblige », explique Corine Bousquet. « Parfois, avec certains parents, en un mois de visites, on sait que ça n’ira pas ». Et pourtant, nous sommes dans un système qui laisse six mois renouvelables aux parents inadéquats pour se ressaisir. « Mais partir en famille d’accueil à l’âge de six ans est quasiment impossible, car les familles préfèrent les tout-petits », avance Corine. « Pas parce qu’ils ont moins de traumatismes que les plus grands mais parce que leur adaptation sera plus facile ».

Au Canada, la loi laisse six mois aux parents pour se prendre en main et assainir leur situation. Si les progrès observés sont insuffisants, l’enfant part alors à l’adoption ou en famille d’accueil. « Cela évite aux enfants de rester six ans dans une institution puis d’aller dans une autre », reconnaît la psychopédagogue qui est envieuse de la loi canadienne pour cette raison. Une question nous taraude cependant : est-il mieux qu’un enfant vive dans les galères familiales ou qu’il parte en institution pour bénéficier d’un cadre de vie sûr et serein ? Ce à quoi Corine Bousquet nous répond : « Le mieux, c’est ses parents. Mais quand ce n’est pas possible, une vie de famille réelle [telle celle d’une famille d’accueil NDLR], c’est beaucoup mieux que de vivre à 12 dans un groupe de vie avec un manque de continuité, un groupe de neuf éducateurs qui se relaient… C’est beaucoup trop de visages pour les enfants. Ce n’est pas l’idéal, c’est pour ça qu’on essaie de mettre des choses en place pour que l’impact soit le moins fort possible sur les enfants. »[12]

Des files d’attente en pagaille

Depuis 10 ans, le nombre d’enfants pris en charge par l’Aide à la Jeunesse (AJ)[13] est assez stable et avoisine les 40.000 prises en charge annuelles. En 2019, le recours à l’aide consentie représentait 53% des situations, pour 47% relevant de l’aide contrainte[14]. Si le nombre de prises en charge par l’AJ est plutôt stable, les places au sein des institutions se font, elles, assez rares. « Dès qu’un enfant s’en va, un autre arrive quasiment tout de suite après », nous explique celle dont l’institution accueille des tout-petits venus de tout le Sud du pays. « Dans la majorité des cas, les juges essaient de placer les enfants près du domicile des parents mais il n’y a pas assez d’institutions la plupart du temps. » Un constat partagé par Bernard Bastin, directeur de la maison de l’Institut Michotte à Liège. « Il n’y a pas suffisamment de places parce que les demandes sont là. En plus, […] les placements deviennent longs. Le décret nous demande de faire des placements courts mais malheureusement les situations familiales font qu’il faut prendre le temps d’accompagner ces familles et de permettre une réinsertion familiale. »[15] Au point que la durée des placements s’allonge pour atteindre une moyenne de trois ans du côté de la maison de l’Institut Michotte. Résultat : le « roulement » entre les enfants qui entrent dans les institutions et ceux qui en sortent n’est pas suffisant, alors que la demande est toujours aussi forte. « Je pense qu’il existe des listes d’attente », avance Corine Bousquet. « Il y a aussi des enfants qui attendent à l’hôpital aussi pour avoir une place en institution. »

La question délicate des bébés dits « parqués » devait être résolue sous le mandat de Rachid Madrane, Ministre de l’Aide à la Jeunesse de 2014 à 2019, mais il semble que les professionnels du secteur aient reçu beaucoup de promesses sans que des actes suivent nécessairement…

Fin avril, l’ASBL SOS-Enfants, spécialisée dans la prévention et la prise en charge des enfants maltraités à différents niveaux, a en effet tiré la sonnette d’alarme : les signalements d’enfants maltraités sont en hausse, de sorte que les équipes de l’association ne sont plus capables de prendre soin correctement des enfants et des familles polytraumatisés, les
renvoyant à leur tour vers « un réseau de soins psycho-social saturé lui aussi »[16]. Et d’ajouter : « cette situation est insupportable à vivre pour les soignants que nous sommes »[17]. Les signalements ont atteint un pic particulièrement élevé dans les antennes de l’ASBL situées à Charleroi (+50%) et à Liège (+45%) durant le 1er semestre 2021. La situation des enfants victimes s’est donc aggravée de manière dramatique ces derniers mois car les délais d’intervention des services de santé mentale et éducatifs de première ligne sont rallongés et que les places en famille d’accueil d’urgence ou encore dans les institutions font défaut. S’il est parfois urgent dans certains cas de retirer un enfant de son foyer pour cause de maltraitance, il est également essentiel d’entamer une thérapie en parallèle avec les parents. Ayant souvent eux-mêmes été victimes de graves maltraitances, voire placés en institution étant enfants, les parents sont invités avec des thérapeutes à exprimer leurs difficultés à être parents, d’identifier les ressources disponibles et de travailler leur rôle parental (soins donnés à l’enfant, besoins de celui-ci…). Sans cet accompagnement psychologique et pragmatique, le cercle vicieux se poursuivra et les traumatismes continueront à se transmettre de génération en génération. Cette aide au long cours n’est cependant pas obligatoire pour les parents et relève en partie d’une initiative personnelle.
« Certains parents font le pas parce qu’ils ont vraiment envie de s’en sortir »[18], détaille Corine Bousquet. « Et puis il y a ceux qui disent ‘oui’ mais comme ils ne sont pas obligés ils ne le font pas. Au niveau des services de terrain, quand un enfant rentre chez ses parents, on met toujours un service en place (service extérieur). Pour certains services, il y a des listes d’attente d’un an – un an et demi. »

Un manque de familles d’accueil

A l’heure actuelle, 600 enfants seraient en attente d’une famille d’accueil. Quelques campagnes de sensibilisation menées par l’Aide à la Jeunesse ces dernières années n’ont visiblement pas suffi à résorber les besoins en la matière. En novembre 2020, la Fédération des Services d’Accompagnement en Accueil Familial (S.A.A.F) a lancé l’initiative familledaccueil.be afin de promouvoir l’accueil familial et trouver de nouvelles familles candidates pour les enfants en attente. Tous les profils conviennent, peu importe l’âge, l’orientation sexuelle, le milieu socioculturel et philosophique. « Il faut néanmoins un certificat de bonne vie et mœurs, et avoir certaines capacités, comme celle de pouvoir se remettre en question, d’être transparent, de collaborer, ou d’accepter l’enfant avec tout son passé… »[19], avance Jessica Cocquyt, porte-parole des S.A.A.F.

Au cours de nos lectures, nous avons lu les témoignages de certaines familles d’accueil qui se sont senties peu valorisées voire abandonnées par l’Aide à la Jeunesse (à retrouver sur notre blog : calepin.be). Pour Corine Bousquet, en ce qui concerne les familles d’accueil à long terme, le passage annuel devant un juge (pour savoir si l’enfant reste dans la famille d’accueil ou pas) est susceptible de décourager plus d’un.e candidat.e à franchir le pas. « Cela veut dire que pendant un an ces gens s’occupent d’un enfant, tout en sachant qu’il y a une espèce d’épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes. On n’a jamais connu d’enfants qui soient repartis chez ses parents mais la loi est là. Il y a des gens qui se disent ‘on va s’attacher. Et puis peut-être que cet enfant on va nous l’enlever dans un an’. Donc je peux comprendre qu’il y ait de la réticence. »[20]

Bonne nouvelle toutefois : une loi votée à la Chambre en mars 2017 a permis de clarifier le statut des familles d’accueil et de leur octroyer davantage de droits. Celles-ci peuvent désormais – entre autres – prendre toutes les décisions quotidiennes pour l’enfant accueilli durant la période de l’accueil. Les accueillants familiaux deviennent par ailleurs une entité légale dans le droit belge. Ce qui signifie que les documents officiels et les courriers scolaires peuvent leur être adressés directement.

Un refinancement nécessaire

Les SASPE sont soumis au décret relatif à l’Aide à la Jeunesse (1991). Si les normes d’encadrement et les conditions d’accueil en vigueur ont été légèrement revues en 2009, elles ne correspondent aujourd’hui plus aux réalités de terrain où les besoins en personnel sont extrêmement conséquents afin de pouvoir répondre aux besoins physiques et psychiques des enfants. Même l’ONE a reconnu l’inadéquation des normes SASPE dans un reportage récent réalisé par le magazine Médor[21]. Faisant partie de l’Aide à la Jeunesse, le Home Reine Astrid est cependant financé en grande partie par l’ONE, sur base du nombre d’enfants accueillis. « Nous avons aussi des dons, qu’ils soient structurels (par des entreprises, des particuliers) ou en nature (vêtements, jouets, aide bénévole) »[22], complète Magali Kremer, directrice du Home Reine Astrid. « Un SASPE est une grosse institution qui fonctionne 24h/24, 7j/7. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous arrêter de travailler, ne serait-ce qu’une journée car il faut toujours pouvoir répondre aux besoins des enfants, et ce quel que soit le contexte ou la réalité »[23], témoigne Magali Kremer. Et de conclure : « Le système de financement a été pensé il y a des années et doit être revu car il est insuffisant, notamment en termes d’encadrement. Pour pouvoir assumer l’encadrement, l’accompagnement et le soutien des enfants et des familles, dans un système 24h/24 et 7jours/7, le financement de base ne le permet pas. Ce n’est pas possible. […] Cela veut dire qu’on doit aller chercher des moyens complémentaires là où on peut en trouver. Les réalités ont changé, le contexte a changé. Il faut revoir ce financement pour permettre une meilleure qualité de l’encadrement des enfants, c’est primordial. »

Nos nombreuses lectures nous ont permis de nous apercevoir que ce manque criant de moyens financiers n’est pas une réalité isolée mais est bien propre à l’entièreté du secteur de l’AJ. Valérie Latawiec, conseillère de l’Aide à la Jeunesse à Bruxelles, va également dans ce sens. « Le nombre de jeunes pris en charge par les services d’aide à la jeunesse ne fait qu’augmenter et les moyens n’ont pas toujours suivi »[24]. « En réponse aux carences, le gouvernement sortant PS/CDH a ouvert 28 nouvelles places en 2017 et espère en financer 48 autres réparties sur l’ensemble de la Fédération Wallonie-Bruxelles », nous apprend un autre article réalisé en février 2019 par Camille Crucifix[25]. Plus récemment, en février dernier, à l’initiative de la Ministre Valérie Glatigny (MR), le gouvernement de la FWB a accordé un budget de 1,65 million d’euros qui permettra de financer deux services d’accompagnement afin d’intervenir directement et de manière intensive auprès des familles en crise. Cela représente une prise en charge de 24 enfants (0-6 ans)[26]. Leur mission : évaluer la situation et réaliser un travail allant de trois à six mois afin d’accompagner les parents et tenter d’éviter, à chaque fois que c’est possible, le placement de l’enfant en structure d’accueil. L’enveloppe budgétaire précitée permettra en outre de créer 15 places supplémentaires pour les Services d’Accompagnement de l’Accueil Familial d’Urgence et de court terme. Le but de ces services ? Eviter autant que possible les placements à long terme des enfants de tous âges en proposant un accueil d’urgence pour protéger l’enfant ou en soutenant une famille dépassée durant une courte période. Enfin, deux nouveaux services de parrainage vont être mis sur pied dans le but de soutenir les enfants, jeunes et familles en difficulté, en proposant par exemple une famille de parrainage aux enfants placés en institution[27]. Dans ce dossier, nous trouvions opportun de pouvoir interviewer Bénédicte Linard (Ecolo), la Ministre en charge de la Petite Enfance afin de l’interroger au sujet des SASPE, mais aussi des bébés « parqués ». Malheureusement, nos différentes prises de contact et relances sont
restées lettres mortes…

Comment s’investir ?

Quel que soit son profil, il est possible d’apporter sa pierre à l’édifice dans le but de faire bouger les lignes en ce qui concerne la question des enfants placés en institutions. Voici quelques pistes d’actions possibles :

> Réaliser des boîtes à KDO. A l’échelle individuelle mais aussi collective (par exemple, via l’école dans laquelle on travaille), on peut s’investir dans l’opération Boîtes à KDO que déploie chaque année la Fabrique de Soi, l’école de devoirs de Laïcité Brabant wallon située à Tubize. L’idée : garnir une boîte à chaussures de petits cadeaux (jouets, vêtements, confiseries…) qui sera ensuite offerte à un enfant placé ou immigré. Plus d’informations sur :
www.boitesakdo.be

> Soutenir financièrement. Il est possible de donner un coup de pouce financier mensuel aux ASBL soutenant les enfants vivant hors de leur bulle familiale. SOS Villages d’Enfants fait partie des quelques associations impliquées dans ce secteur, mais la liste est longue !

> Faire du bénévolat. Accompagner un enfant pour rendre visite à un parent détenu (via La Croix-Rouge) ou encadrer le travail scolaire d’enfants (via l’ASBL SOS-Enfants) font partie des quelques missions bénévoles qu’il est possible de remplir. Si cela vous intéresse, contactez ces associations ou encore les sites qui recensent des annonces de bénévolat près de chez
vous[28].

> Devenir famille relais. La famille relais offre une solution lorsqu’un parent ou une famille vulnérable (sans réseau social propre) est à bout (danger de violence intrafamiliale) ou se trouve provisoirement dans l’incapacité de s’occuper d’un enfant (hospitalisation…). La famille relais peut alors s’occuper de l’enfant pendant quelques jours ou plus si nécessaire. Un lien avec les organismes agréés est par ailleurs conservé. Mis sur pied au printemps 2020 par un groupe de citoyens, le Réseau solidarité enfants relais compte aujourd’hui près de 300 familles dont 20 sont mobilisables dans l’urgence. Intéressé.e ? Surfez sur la page Facebook du projet : relais-solidarité-enfants

> Être parrain/marraine. Quand un enfant réside à temps plein dans une institution, la famille de parrainage peut lui proposer de passer quelques grandes occasions (Pâques, Noël…), un week-end par mois et/ou quelques jours des vacances dans un foyer où l’enfant recevra l’attention et l’affection nécessaires pour bien grandir. Cela permet à l’enfant de vivre un moment privilégié dans une famille structurée, dans un environnement rassurant. Plus d’informations sur le site : www.familledeparrainage.be

> S’engager comme famille d’accueil.
Il existe trois types d’accueil possibles : l’urgence (15 à 45 jours), le court terme (3 à 9 mois), le moyen-long terme (un an renouvelable chaque année). Quelle que soit la durée d’accueil qui vous convienne, en tant que famille d’accueil, vous pouvez accueillir un ou plusieurs enfants, jeunes ainsi que des adultes qui présentent un handicap et/ou une fragilité psychique. Si vous souhaitez devenir famille d’accueil, vous devez répondre à quelques conditions : être majeur (18 ans minimum), pouvoir présenter un extrait du casier judiciaire Modèle II, posséder un logement suffisamment grand, être en mesure d’offrir structure et sécurité à un enfant. Si tel est le cas, prenez contact avec un service de placement familial et introduisez une demande. Après quelques séances d’information, vous devez suivre un trajet de préparation qui dure entre quatre et six mois. L’accueil familial n’est pas rémunéré mais des subventions[29] sont versées pour couvrir les besoins journaliers de l’enfant ainsi que certains frais (santé, scolarité). Dans le cadre d’un accueil temporaire, vous avez droit à des allocations familiales. La famille d’accueil à moyen long terme a droit à des congés – similaires au congé de maternité – pour accueillir l’enfant. La famille d’accueil à droit à six jours de congé /an pour remplir ses obligations d’accueil (réunion auprès de l’autorité mandante, avec le S.A.A.F, pour les rencontres enfant/ parents.). Plus d’infos sur le Site de la Fédération des Services de placement familial : www.familledaccueil.be

Conclusion

Si des efforts budgétaires ont été réalisés ces derniers mois et années pour alléger le travail intense des acteurs de l’AJ, force est de constater que ces « coups de pouce » ne sont pas encore suffisants – surtout par temps de pandémie – pour permettre aux équipes de travailler dans des conditions proportionnelles au cœur et à l’énergie qu’elles investissent dans leur métier. Le métier des puériculteurs.rices et éducateurs.trices en SASPE est très éprouvant, tant sur le plan physique qu’émotionnel. Mais pas que. Il est également complexe, requiert des épaules solides et exige des talents d’équilibristes pour élever ces petits bouts éloignés de leurs familles avec tout l’amour dont ils ont besoin mais sans confusion des rôles et dans le respect de chacun. Faire grandir et s’épanouir ces enfants polytraumatisés n’est pas un gagne-pain comme les autres, mais une véritable vocation comme nous l’ont dit à plusieurs reprises les différents employés avec lesquels nous avons pu discuter. Reste à savoir pourquoi ces métiers au cœur de l’humain ne sont pas aussi valorisés – tant socialement que financièrement – qu’ils le mériteraient. La société civile
(associations, citoyens) et le secteur privé (entreprises) compensent encore trop à l’heure actuelle les manques du secteur de l’Aide à la Jeunesse, que ce soit en réalisant des dons (conséquents) visant à financer des travaux indispensables, en prestant quelques heures de bénévolat ou en cédant quelques vêtements ou jouets. Il est grand temps que le monde politique ouvre les yeux sur les réalités des institutions et y investissent à hauteur des besoins nécessaires (matériel et encadrement humain) afin d’offrir une enfance la plus joyeuse et un avenir le plus serein possible à nos jeunes concitoyens. Tout doucement, le monde politique commence à entendre les cris d’alerte des acteurs de terrain de l’AJ. Récemment, une proposition de loi est passée pour ne pas séparer les fratries au moment du placement en institution. Si l’on peut se réjouir de cette nouvelle, on peut également s’étonner (s’offusquer ?) du fait que cela arrive seulement maintenant, en 2021. La question des enfants placés – dont font partie les SASPE – est, à tort, peu ou mal connue du grand public si l’on ne prend pas le temps et la peine de s’y intéresser. Elle est cependant passionnante. C’est pour cette raison que le CALepin se penchera jusqu’à la fin de cette année sur les différentes catégories d’âges des enfants placés. Après les « pouponnières », nous nous intéresserons de près aux institutions accueillant les six ans et plus.

Annabelle Duaut

[1] Chiffres issus de l’article de la RTBF « Placement d’enfants : sont-ils trop nombreux en Belgique ? », 20 avril 2021, Martin Caulier.

[2] Prénom d’emprunt.

[3] Service d’Accueil Spécialisé de la Petite Enfance.

[4] Propos recueillis dans le cadre d’une interview réalisée
le 11 mai 2021.

[5] « Contre la maltraitance infantile : agir au plus tôt », Cédric Vallet, Alter Echos, 3 mars 2021.

[6] Propos issus d’une interview réalisée le 11 mai 2021.

[7] Idem.

[8] Idem

[9] Idem

[10] Idem

[11] « Pouponnières : un environnement de détresse mais aussi beaucoup d’amour », RTBF, Fabienne Pasau, 11 mars 2019.

[12] Propos issus d’une interview réalisée le 11 mai 2021.

[13] En 2011, cela concernait 40.700 jeunes.

[14] Chiffres issus d’une interview réalisée auprès du cabinet de Valérie Glatigny, Ministre de l’Aide à la Jeunesse en FWB

[15] Propos issus de l’article de la RTBF « Placements d’enfants : sont-ils trop nombreux en Belgique ? », 20 avril
2021, Martin Caulier.

[16] Propos issus d’un communiqué paru en avril 2021.

[17] Idem.

[18] Propos issus d’une interview réalisée le 11 mai 2021.

[19] « Etre famille d’accueil, c’est donner une seconde chance à un enfant qui la mérite à 100% », La Ligue, 17 mars 2021.

[20] Propos issus d’une interview réalisée le 11 mai 2021.

[21] « Bébés placés : accrochez-vous, détachez-les ! », Médor, Alix Dehin, 4 décembre 2020.

[22] Propos issus d’une interview réalisée le 11 mai 2021.

[23] Idem.

[24] « Placements d’enfants : sont-ils trop nombreux en Belgique ? », 20 avril 2021, Martin Caulier.

[25] « Bébé placé, bébé abîmé », Camille Crucifix, Médor, 27 février 2019.

[26] Chiffres issus d’une interview réalisée auprès du cabinet de Valérie Glatigny, Ministre de l’Aide à la Jeunesse en FWB

[27] En savoir plus : familledeparrainage.be ou http:// parrainage.be/ (Hisser-Haut ASBL, le Service Laïque de Parrainage

[28] www.levolontariat.be ; www.volontr.be

[29] Elles varient selon l’âge de l’enfant et sont environ de 15 euros/jour.

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