Masculinisme : enjeux et réalités

Loin d’être le pendant du féminisme qui consiste à obtenir l’égalité hommes-femmes, le masculinisme incarne la volonté de certains hommes de conserver les privilèges liés à leur sexe. Présentation de ce mouvement dont on trouve différentes définitions sur la Toile dans le but de le rendre un peu plus fréquentable qu’il ne l’est en réalité…

Définition : « […] Le masculinisme est bel et bien un mouvement social dont les membres partagent des idées et valeurs communes, malgré des visées tactiques disparates et une certaine hétérogénéité interne qui s’incarne dans diverses tendances plus ou moins radicales » (M. Blais et F. Dupuis-Déri ; 2002)

Convaincus que les femmes sont devenues les égales des hommes – voire qu’elles seraient dorénavant supérieures à eux –, les masculinistes pensent qu’ils sont aujourd’hui dominés par la gent féminine. Pour eux, les féministes sont en grande partie responsables du mal-être des hommes et de la crise de la masculinité[1]. Ceux qu’on appelle “les mascus” craignent également que notre société finisse par indifférencier les hommes et les femmes où il n’y aurait finalement plus qu’une masse d’individus, sans distinction de sexe. Cet ensemble de croyances conduit les masculinistes à éprouver une misogynie extrême à l’égard des féministes.

Olivia Gazalé, philosophe : « Cultivant la nostalgie du héros viril et dominateur, la rhétorique victimaire des masculinistes dénonce un renversement du rapport de force entre les genres, regrette le bon vieux temps du patriarcat et souhaite le retour à la polarité traditionnelle des rôles sexuels. Depuis que les femmes, avides de revanche, ont dépossédé l’homme de sa suprématie pour prendre le pouvoir, tout se décompose et se délite, disent-ils. […] Les conquêtes féministes auraient privé l’homme de tous ses attributs phalliques. Soumis à la tyrannie féminine, il traverserait le trouble identitaire le plus profond de son histoire. […] Il serait donc urgent de restaurer la virilité, voire de rétablir le patriarcat ».

Le mouvement masculiniste contemporain a émergé dans les années 1980, en Occident. On ne peut pas nier que les hommes puissent souffrir… mais ce n’est pas de la faute des femmes et des féministes ! Olivia Gazalé : Depuis toujours, les hommes sont les agents de leur propre oppression, ou, selon l’expression de Marx, « dominés par leur domination ». L’étude de la construction de la virilité révèle en effet qu’elle est, depuis ses origines, un modèle en crise, assis sur des normes et des injonctions aussi coercitives que paradoxales.

Méthodes et sous-groupes

Les “mascus” utilisent différentes méthodes pour se réunir et se faire connaître du grand public : regroupements virtuels (forums, réseaux sociaux, jeux vidéos) ; chaînes YouTube; rédaction de manifestes ; événements spectaculaires pour attirer l’attention des médias ; lobbying dans les Parlements ; passages à l’acte…

  • Les pères grues : ce sont des papas divorcés / séparés qui se regroupent pour des actions parfois spectaculaires (ex : escalader une grue et dérouler une banderole). Ils se plaignent de devoir payer une pension alimentaire qu’ils perçoivent comme une exploitation. Ils se plaignent également d’avoir été dépossédés de l’autorité parentale et/ou de la garde alternée de leurs enfants. Certains membres de ces mouvements oublient de dire qu’ils ont parfois été condamnés pour violences conjugales, agressions sexuelles ou enlèvements d’enfants.
  • Les Incels : pour « Involuntary celibates », c’est-à-dire les « célibataires involontaires ». Leur point commun : ils sont célibataires malgré eux, et ont abandonné tout espoir de trouver l’amour un jour, ou d’avoir des relations sexuelles. « Leur analyse, c’est qu’ils sont célibataires parce qu’ils sont trop gentils, et que les femmes sont des « salopes » qui prennent plaisir à les maltraiter, les humilier et, crime suprême, à refuser d’avoir des rapports sexuels avec eux (alors qu’ils estiment y avoir droit)». (Tuaillon, 2019: 48) « Tous ont un rapport compliqué aux femmes et à leur sexualité. Le sexe féminin les effraie, les dégoûte parfois. Leur méconnaissance de la réalité des femmes et de leur vie est criante. La plupart n’en fréquentent pas, n’échangent pas avec elles ». (Madmoizelle, 2018). Les Incels  se réunissent sur des forums en ligne et représentent une communauté très fermée, autarcique, peu solidaire. Les plus radicalisés d’entre eux font l’apologie du viol, entretiennent leur haine des femmes, déshumanisent les femmes, lancent des appels au meurtre.
  • Les Pick-up artists: autrement appelés « les artistes de la drague ». Proches de la mentalité des Incels, les Pick-up vont plus loin en se structurant en une « communauté de la séduction » avec des formations en ligne et sur le terrain pour passer du statut de « pauvre type frustré » (le modèle repoussoir) à celui de Mâle Alpha (grand séducteur). Ces cours parfois basiques consistent à apprendre à s’alimenter ou s’habiller correctement et sont suivis d’exercices en live, dans la rue, comme de « rapporter dix numéros de téléphone ». Paradoxe : le séducteur, l’homme accompli, s’épanouit dans l’éloignement des femmes (ce ne sont pas les femmes qui leur donnent une valeur mais leur statut vis-à-vis des autres hommes de la communauté).
  • Les MGTOW (prononcer « Megto »): Littéralement « Men going their own way », c’est-à-dire les hommes qui choisissent leur propre chemin. Une « philosophie de vie » importée des États-Unis, qui a déjà conquis des dizaines de milliers d’hommes, et qui considère que s’engager dans une relation avec une femme est devenu défavorable pour l’homme. Les MGTOW se rencontrent toujours sur internet, rarement en vrai. Leur point commun ? Une rupture, un divorce, ou une perte de garde parentale. Le MGTOW comporte 6 niveaux : de l’homme marié et inconscient de la domination des femmes à celui qui rejette toute relation avec une femme. Les MGTOW ne se considèrent pas comme un mouvement et privilégient la responsabilité individuelle. Ils refusent d’interagir avec l’État jugé corrompu par les femmes (les MGTOW sont sensibles aux théories conspirationnistes), et préfèrent la discrétion des réseaux sociaux, ce qui leur permet de passer sous les radars des autorités.

Les masculinistes sont organisés pour harceler des femmes. Ils les menacent en allant jusqu’à découvrir leur adresse personnelle, en les surveillant de très près, allant jusqu’au harcèlement, voire au meurtre.

Quel rôle de l’éducation ?

Dès leur naissance, les petits garçons sont soumis à des regards, des comportements et des modèles qui leur enseignent qu’il y a une bonne manière d’être un garçon. Mais être un garçon, ce n’est pas juste “ne pas être une fille” : c’est être “mieux” qu’une fille. Dans de nombreuses cultures, ce qui est masculin est considéré comme étant supérieur au féminin. On valorisera ce qui est codé comme masculin : une petite fille qui joue au foot ou aux voitures sera donc généralement encouragée mais on verra souvent d’un mauvais œil le fait que des petits garçons fassent de la danse, jouent à la poupée ou encore se déguisent en princesse. Ce qu’on apprend aujourd’hui aux garçons, c’est qu’ils se dévaloriseraient en adoptant des activités perçues comme étant féminines.

Conclusion

Si l’on ne peut nier que la place des hommes dans notre société peut parfois être difficile à trouver (en tant que père, en tant qu’homme sensible, en tant qu’homosexuel…), il ne faut pas pour autant inverser la situation en disant que la posture masculine, quelle qu’elle soit, est de nos jours plus compliquée que celle des femmes (qu’elles soient mères, lesbiennes, rondes, âgées, racisées…), d’autant plus lorsque celles-ci additionnent les discriminations potentielles (par exemple, en étant lesbiennes ET racisées). Les femmes – et encore moins les féministes ! – ne peuvent être portées responsables des maux qui ont trait à la gent masculine. Oui, les lignes bougent, dans le bon sens, et nous ne pouvons que nous en réjouir ! Ce n’est qu’en visant plus d’égalité et de respect pour et entre toutes et tous – femmes, enfants, communautés LGBTQI+, personnes porteuses d’un handicap etc. – que nous réussirons à construire une société plus solidaire et fraternelle. Et cela commence dès le berceau.

Annabelle Duaut

[1] Cette expression désigne l’ensemble des doutes et des remises en cause du rôle traditionnel des hommes, par refus de l’égalité entre les genres. La « crise de la masculinité » est ancienne et récurrente et tend à se réactualiser depuis des siècles. (Wikipédia)

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