L’avortement en Belgique : le combat continue !

Mehdi Toukabri

Par 135 voix pour, 47 contre et 9 abstentions, le Parlement fran¬ais a définitivement adopté, ce mercredi 23 février 2022, la proposition de loi pour allonger la durée légale de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) de 12 à 14 semaines. En allongeant leur délai légal à l’avortement de deux semaines, nos voisins français rejoignent désormais le peloton de tête des pays européens où cette période est la plus longue du continent. En Belgique, le délai légal de l’IVG est fixé à 12 semaines. Cette limite aurait pu être étendue à 18 semaines au sein du plat pays. Mais malheureusement, c’est par un véritable marchandage politique, ainsi que par la formation du gouvernement fédéral « Vivaldi » que cette pro¬position de loi est restée à l’état embryonnaire.

Septembre 2020. Paul Magnette (PS) et Alexander De Croo (Open-VLD), alors formateurs royaux, enchaînent les négociations, bon an, mal an, en vue de doter la Belgique d’un nouveau gouverne¬ment fédéral, avant le 1er octobre. 7 partis sont pressentis au cas¬ting fédéral, dans le but de trou¬ver une majorité parlementaire : MR, PS, Ecolo, Open-VLD, sp.a (actuel Vooruit, NDLR), Groen et le CD&V. Mais pour les chrétiens-démocrates flamands du CD&V, la bonne poursuite des discussions, ainsi que leur hypothétique entrée au sein d’une coalition fédérale ne peuvent être réalisables qu’à une seule condition : la mise au frigo de la proposition de loi proposant l’extension de 12 à 18 semaines pour une IVG.

30 septembre 2020. Le verdict tombe : le rapport des formateurs (également appelé accord de gouvernement, NDLR) est présenté au roi et dans la foulée, le gouvernement est finalement formé, comme promis avant le 1er octobre. Au sein de cet accord, il est possible de lire : « En ce qui concerne le traitement des propositions de loi sur l’avortement pendantes à la Chambre, il convient de poursuivre leur examen en Commission Justice de la Chambre, et – après qu’un comité scientifique multidisciplinaire (désigné par les partis au Gouvernement) ait mené une étude et une évaluation de la pratique et de la législation – de continuer les travaux de manière constructive pour qu’un consen¬sus se dégage entre les partis du Gouvernement et dans l’attente, de ne pas procéder au vote. »

Mais, « ce n’est que très récemment que le groupe d’experts scientifiques multidisciplinaires (comme énoncé dans l’accord de gouvernement, NDLR) a commencé à se réunir », explique Diane Gardiol, chargée de projets « éthique et égalité » au Centre d’Action Laïque et membre de Abortion Right, une plate¬forme bilingue qui rassemble les Fédérations de centres de planning familial et d’avortement, ainsi que des associations de défense pour les droits des femmes et pour les droits humains, militant·es pour le passage de l’IVG à 18 semaines. « Clairement, comme le CD&V ne veut absolument pas que cette proposition de loi soit votée, tout sera mis en place pour retarder au maximum son adoption. Je ne pense donc vraiment pas qu’on aura un changement qui ira dans notre sens au cours de cette législature », exprime-t-elle.

12 semaines, ô douce hypocrisie

En Belgique, c’est donc la loi du 15 octobre 2018 qui encadre l’IVG. « Les femmes disposent de trois mois pour réaliser l’avortement. L’IVG ne peut être réalisée après cette échéance que lorsque que la grossesse met en danger la santé de la femme ou quand l’enfant à naître est atteint·e d’une maladie reconnue comme incurable. De plus, les femmes doivent respecter un délai de réflexion de 6 jours, entre la consultation et l’intervention. Ce délai ne peut être raccourci qu’en cas de situation médicale urgente. Les conditions sont cumulatives. Si elles ne sont pas toutes respectées, le médecin et la femme sont susceptibles d’être punis d’un mois à un an d’emprisonnement ainsi qu’à une amende pouvant s’élever jusqu’à 200 euros. Depuis 2018, pénal, mais sans vraiment être dépénalisé. »[1] Ambiance.

Pauline est psychologue et travaille dans un planning familial[2] qui pratique l’IVG. Cette loi régit son travail, tout autant que celui des médecins. Elle reçoit en consultation, depuis 2 ans, des femmes qui ont choisi d’interrompre leur grossesse. « Il y a autant de manière de vivre l’IVG que de femmes », débute-t-elle. « Il y en a certaines qui sont déjà tout à fait décidées et pour qui c’est très clair, d’autres pour qui c’est parfois plus difficile. Le plus important c’est de ne pas ‘psychologiser’ leur choix. Pour moi, lorsque les femmes arrivent au planning, elles y ont réfléchi avant. » Pour elle, la violence ne vient pas uniquement du fait que la loi incrimine encore les femmes, mais vient aussi du délai de réflexion de 6 jours obligatoire suite à la demande d’avortement. « Même si ce délai peut être outre¬passé lorsque le médecin justifie la démarche comme médicalement urgente, le délai persiste dans la loi. Obliger une femme à respecter une période de 6 jours entre sa demande et l’avortement est un non-sens. Les femmes ne sont pas des enfants. Au sein du planning, nous avons décidé de manière militante de ne pas respecter ce délai de réflexion de 6 jours. On considère que dès que la femme veut que ça se fasse en des¬sous des 6 jours, pour nous, c’est une raison urgente suffisante. » Il en va de même de la période légale des 12 semaines : « Chez nous, on calcule la date limite d’avortement en fonction de 12 semaines suite à la conception et de 14 semaines d’aménorrhée[3] . Mais si c’est 14 semaines et 6 jours, par exemple, on fait l’IVG. » L’interprétation de cette loi se fera, comme le confie la jeune femme, « toujours en faveur de la patiente. » Une situation qui n’est évidemment pas similaire dans l’ensemble des endroits où sont pratiqués les avortements. « Mais lorsque la patiente est à 15 semaines de grossesse, on ne peut pas pratiquer l’interruption, donc on redirige vers les Pays-Bas (où le délai légal de l’IVG est de 24 semaines d’aménorrhée, NDLR). Et ça, ça arrive très régulièrement. », dévoile-t-elle. « On redirige les femmes vers nos contacts en Hollande. Et les cliniques là-bas sont tellement habituées à recevoir des patientes belges qu’elles parlent même le français », conclut-elle.

Une IVG en Belgique coûte à la patiente 3,60€, si elle est en ordre de mutuelle. Lorsque le délai des 12 semaines est dépassé et que la patiente décide tout de même de mettre un terme à sa grossesse, « le coût peut dépasser très facilement les 1000€ », estime Diane Gardiol. « Et, évidemment, sans compter le coût du déplacement, de l’hébergement sur place si la femme en a besoin, etc. » Pour cette membre d’Abortion Right, le délai légal doit impérativement être augmenté à 18 semaines. « On peut considérer qu’environ 500 femmes vont, chaque année, se faire avorter aux Pays-Bas. Il y a énormément de situations différentes qui font que ces femmes arrivent au-delà des 12 semaines et donc trop tard. Je pense par exemple aux femmes qui font un déni de grossesse ou qui ont un échec de contraception. D’autres qui ont quand même leurs règles et qui ne constatent pas leur grossesse tout de suite. Je pense aussi à ces femmes qui subissent des violences dans leur couple. Des violences qui peuvent être déjà là avant ou même pendant la grossesse et donc les femmes changent d’avis finalement. Le manque d’informations aussi par¬fois. Il y a plein de raisons comme celles-là. Ce délai est vraiment beau¬coup trop court. »

Conclusion

Plus qu’une ‘exécutivatisation’[4] de l’État en ce qui concerne le vote (ou le non-vote) des normes, le fait qu’un groupe politique, en l’occurrence les chrétiens-démocrates flamands, décide unilatéralement du maintien stratégique de la situation en adoptant une posture conservatrice clairement affichée est tout simplement révoltant. Se faisant, les grandes perdantes sont notre démocratie, mais également et non sans surprise, les femmes et surtout les plus précarisées d’entre elles. Car oui, c’est encore une fois au détriment du droit des femmes à disposer librement de leur corps et par un maintien du statu quo, qu’un apaisement ‘temporaire’ à une énième crise institutionnelle belge fut négocié. Il faut que ce marchandage politique du corps des femmes cesse. 500 femmes obligées de se rendre aux Pays-Bas pour pratiquer une IVG, c’est 500 femmes de trop !

Ce 8 mars, Laïcité Brabant wallon sera aux côté des femmes pour défendre leurs droits. C’est par des projections de films lors du festival du film sur les droits des femmes de la troisième édition de Festiv’elles les 8, 9 et 10 mars à Nivelles, mais également par une projection de film #Female Pleasure et de la représentation théâtrale, Non Grata (voir interview de Laura Bejarano Medina), lors de la semaine thématique Women Wavre que LBW s’investit en faveur des droits des femmes. Le com¬bat continue ! N’en déplaise aux conservateurs, aux rétrogrades et aux misogynes.

[1] « Le droit à l’avortement, un droit fragile », Le Vif, 28/09/21.
[2] Pour garantir l’anonymat de cette personne, son nom, ainsi que celui du planning familial seront tus.
[3] L’ aménorrhée est l’absence des règles ou menstruations.
[4] Renforcement du pouvoir exécutif au détriment du pouvoir législatif.

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