Jeunes & emploi : un parcours semé d’embuches

Lorsqu’on est enfant ou adolescent, on imagine souvent, qu’une fois atteint l’âge adulte, on trouvera directement un emploi, si pas passionnant, au moins qui nous plaise et nous motive à nous lever le matin. A la sortie de l’école ou des études, c’est pourtant bien souvent la douche froide : si les futurs ingénieurs peuvent être approchés durant leur cursus universitaire, peu d’étudiants peuvent se targuer d’avoir été embauchés sans être encore diplômés. Pour tous ceux-là, et parce que le plein-emploi reste un mythe, nous avons décidé de nous pencher sur le thème des jeunes et de l’emploi. La conjoncture actuelle est-elle favorable aux natifs de la génération Z ? (1) Quels profils de jeunes trouvent plus facilement un travail ?  Décrocher un diplôme est-il devenu un sésame pour devenir professionnellement actif ? Existe-t-il des études qui permettent d’intégrer plus facilement, voire automatiquement, le marché du travail ? Autant de questions auxquelles nous allons tenter de répondre dans ce dossier spécial.

Si vous suivez un peu l’actualité, vous avez sans doute lu ou entendu ces derniers mois que le nombre de chômeurs complets indemnisés à l’échelle du pays est passé sous le seuil des 500.000, une première depuis 1981. Pour les moins de 25 ans, on parle d’une baisse de l’ordre de 49,3% en dix ans. Une excellente nouvelle me direz-vous ? Oui, si l’on se focalise sur le chômeur « lambda ». Non, car même si la conjoncture économique connaît une embellie, le sort du jeune demandeur d’emploi, lui, ne s’améliore guère de manière générale. En effet, selon les données que l’on trouve sur le sujet et la période qu’elles couvrent, « il y a à boire et à manger ». Selon Eurostat, l’office Européen des statistiques, le chômage des européens âgés de 15 à 24 ans a diminué de 2013 à 2017. En ce qui concerne la Wallonie, la situation s’est bel et bien détériorée à partir de 2017 d’après l’IWEPS (l’Institut Wallon de l’Évaluation, de la Prospective et de la Statistique) (3). En effet, en juin dernier, l’institut pointait du doigt le taux de chômage très élevé des jeunes wallons. Ce dernier « a augmenté de 1,1 point de pourcentage en 2017, après un recul en 2016, sans pour autant retrouver les niveaux très élevés de 2013 à 2015 ». ( 4)

Selon la majorité des statistiques compilées – que ce soit par l’OCDE ou Eurostat -, la Belgique apparaît dans le top 10 des pays où le taux de chômage des jeunes est le plus élevé. Avec un taux de 19,3 %, le plat pays est juste au-dessus de la moyenne de la zone euro (18,8 %) et de celle de l’Union européenne (16,8 %). (5) La Finlande, la France, le Portugal, Chypre, la Croatie, l’Italie, l’Espagne et la Grèce affichent des taux encore plus alarmants que la Belgique.

Toujours selon les données de l’IWEPS, en 2017, 29 % des jeunes se présentant sur le marché du travail wallon n’avaient pas d’emploi (voir le graphique ci-après). A noter que le dénominateur pour le calcul du taux de chômage ne prend en compte que les jeunes actifs et non l’ensemble des jeunes âgés de 15 à 24 ans. En Flandre, la même année, le taux de chômage s’élevait à 12,8% et à Bruxelles, à 33,2 %.  A titre comparatif, les taux les plus faibles en mai 2018 ont été observés à Malte (4,8%), en Allemagne (6,1%), en Estonie (6,8% en avril 2018) et aux Pays-Bas (6,9%), tandis que les plus élevés ont été enregistrés en Grèce (43,2% en mars 2018), en Espagne (33,8%) et en Italie (31,9%).

Autre statistique intéressante fournie par l’IWEPS : le taux de chômage de longue durée des 15-24 ans représente quasiment le double de celui des 25-64 ans en Belgique, sauf à Bruxelles (3,2 % contre 1,9 % en Flandre ; 10,5 % contre 5,6 % en Wallonie et 14,5 % contre 10 % à Bruxelles). En résumé : si le nombre de jeunes chômeurs a certes diminué dernièrement, il reste encore considérable.

Plusieurs facteurs d’explication

Le faible taux d’emploi des jeunes en Belgique – et en particulier en Wallonie – est la conséquence d’une série de causes. La première : le (faible) bagage scolaire des jeunes demandeurs d’emploi. Selon Olivier De Wasseige, l’administrateur-délégué de l’Union wallonne des Entreprises (UWE), l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles prépare encore peu les élèves et étudiants à être des travailleurs compétents.  « Nous considérons aujourd’hui qu’il existe un véritable problème d’inadéquation entre l’offre et la demande en termes de compétences », s’est exprimé Olivier De Wasseige sur RTLINFO. « Ce qui pose un problème aux entreprises dans leur recrutement ». (6) Au cœur des critiques :  les savoirs de base (maths, français, langues étrangères) qui sont et acquis de manière insuffisante. « Tous les entrepreneurs nous le disent. Ils ont aujourd’hui des candidats ou des collaborateurs qu’ils engagent qui ont vraiment des lacunes. Par exemple dans l’interprétation d’un manuel d’utilisation ou simplement dans la règle de trois. Et c’est évidemment capital que ces acquis de base soient les meilleurs, car il est illusoire de revenir en arrière plus tard », estime l’administrateur délégué.

Autre raison – en lien avec la précédente – qui peut expliquer le taux de chômage élevé des jeunes wallons : le système d’enseignement est inadapté. Avec un taux de redoublement record, une relégation des élèves en échec scolaire dans le professionnel et une faible combinaison étude-travail, le système d’enseignement actuel gagnerait à être réformé en profondeur. Une inadéquation qui est constatable de manière objective : à l’heure actuelle, il existe 30.000 emplois vacants en Wallonie – un chiffre qui a doublé depuis 2017 – alors que le pays compte 220.000 demandeurs d’emploi. « Ce problème vient du fait que les personnes qui arrivent aujourd’hui sur le marché de l’emploi n’ont pas les compétences requises par les entreprises » (7), souligne Olivier De Wasseige.  Ce dernier ajoute : « je me rends dans les centres de formation, d’apprentissage. Les formateurs me disent souvent ceci : ‘Le problème, c’est que nous avons des gaillards de 18 ans qui ne savent pas faire une règle de trois’. Pourtant, que vous soyez charcutier ou mécanicien, ces connaissances sont nécessaires. » Un manque de profils qualitatifs également observé du côté du Forem qui liste chaque année les métiers dits « critiques », c’est-à-dire ceux pour lesquels on observe des difficultés de recrutement de la part des entreprises (pour cause de qualification, d’expérience nécessaire, de maîtrise des langues, de conditions de travail ou encore de mobilité). A l’heure actuelle, 88 métiers sont en pénurie ou ont atteint un seuil jugé critique (8). Autre explication à ce nombre important de jeunes chômeurs : la faible disponibilité de jobs correspondant à leurs filières et à leurs attentes (notamment salariales). Les secteurs en pénurie – c’est-à-dire ceux pour lesquels la main d’œuvre est actuellement insuffisante – étant entre autres ceux du bâtiment (ouvrier de voirie, poseur de canalisations, cimentier, couvreur…), du transport et de la logistique (chauffeur de bus, chauffeur poids lourd, conducteur de grue…) ou encore de la mécanique (tôlier, mécanicien, électromécanicien…) (9), difficile pour un jeune fraîchement diplômé en géographie ou en histoire de correspondre aux critères demandés. Face à l’urgence de certains jeunes d’être autonomes financièrement, certains n’hésitent d’ailleurs pas à postuler à des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés, et donc in fine sous-payés. Un phénomène qui engendre d’autres conséquences négatives puisque les personnes moins qualifiées sont empêchées d’accéder à des emplois qu’elles seraient pourtant susceptibles de décrocher. Résultat des courses, tout le monde est perdant : les jeunes diplômés sont « englués » dans un travail qui ne sollicite pas l’entièreté de leurs compétences (préavis à prester en cas de départ, recherche d’emploi ralentie, voire stoppée), tandis que les jeunes peu ou pas qualifiés ne sont pas en mesure d’accéder aux emplois qui leur conviennent.

Si 143.000 postes sont encore vacants en Belgique, deux éléments expliqueraient ces emplois inoccupés : « d’une part, la qualification demandée pour les emplois vacants est de plus en plus élevée, et le fossé se creuse avec le chômage structurel, qui concerne, lui, des personnes très peu qualifiées. D’autre part, une inadéquation géographique : les pôles d’emplois sont souvent situés dans les régions où le chômage est le plus bas » (10), apprend-on dans un article publié par la RTBF.

Les moins qualifiés = les plus touchés

Si l’on entend souvent dire que les études sont un rempart contre le chômage, qu’en est-il en réalité ? Sur le terrain, les jeunes les moins qualifiés sont effectivement ceux qui présentent le plus de difficultés à s’insérer sur le marché de l’emploi. Pour cette catégorie de demandeurs d’emploi, le chômage serait trois fois plus important (24%) que pour les jeunes diplômés (8%) (11). Une situation qui serait aggravée par la banalisation du travail étudiant selon les Jeunes CSC. D’après ces derniers, « depuis 2012 et le passage à 50 jours (12), on voit une explosion du travail hors période d’été » (13). Pouvant désormais prester de manière ultra-flexible, l’étudiant entre en concurrence directe avec le salarié. Autre revers de la médaille : en touchant un salaire en fin de mois, l’étudiant qui travaille plus de 25 jours par an court le risque de rater son année parce qu’il n’a désormais plus assez de temps pour assister aux cours, participer aux travaux pratiques ou pour réviser.

S’il est vrai que les jeunes diplômés ont du mal à se débrouiller à la sortie des études, c’est encore plus le cas pour les personnes seules ou peu qualifiées. Ces dernières années, le risque de pauvreté de ce dernier groupe n’a cessé d’augmenter : de 18,7% en 2005, il est passé à 31,2% en 2017 selon Eurostat (14), faisant ainsi de la Belgique l’un des États de l’UE où l’écart de revenus est le plus important entre les personnes à niveau d’éducation faible et celles plus instruites. Le clivage entre les différentes strates de la population se creusant chaque année un peu plus…

Souvent peu expérimentés – c’est d’autant plus le cas à la sortie des études -, le principal atout pour les jeunes restes d’avoir un diplôme en poche. « Ainsi, sans surprise, le taux de chômage diminue dès que le niveau de qualification augmente », souligne une étude réalisée par Le Forem en 2016 (15). Ce qui ne veut pas dire qu’une personne faiblement ou pas du tout qualifiée ne connaîtra pas une transition vers un emploi « durable », mais que cette transition passera sans doute par une série d’étapes où la mise en contact avec le monde professionnel (stages, contrats intérimaires, formations, etc.) lui permettra d’acquérir les compétences techniques et les comportements professionnels attendus.

Les difficultés rencontrées par les jeunes sont à relativiser selon les niveaux d’études. Si, globalement, les jeunes les moins qualifiés éprouvent plus de difficultés à s’insérer rapidement sur le marché du travail, il y a cependant une exception pour les études qui préparent à l’exercice d’un métier, soit les études de types techniques, professionnelles ou encore l’apprentissage (voir graphique ci-avant). Ces filières constituant un atout certain pour décrocher un emploi. Les meilleurs taux d’insertion à 6 mois sont le bac (75 %), l’apprentissage (61 %) et le master (58 %).

Les détenteurs d’un Bachelor et de l’apprentissage connaissent une meilleure insertion dans les six premiers mois suivant leur inscription au Forem, car ces études encouragent le rapprochement entre les études et le monde professionnel via des stages. Les possesseurs d’un Master s’insèrent généralement plus lentement mais leur taux d’insertion est supérieur à ceux qui sont moins diplômés.

Des jeunes précarisés

Nous venons de le percevoir, chiffres à l’appui : l’insertion sur le marché du travail des jeunes peu ou non qualifiés est extrêmement rude. Cependant, nous allons voir que les jeunes dans leur ensemble triment pour trouver un job dans leurs cordes.

Fin septembre, le journal Le Soir relayait les chiffres percutants d’une étude commandée par les jeunes CSC à propos de la précarité des jeunes sur le marché du travail et de leur perception de ce dernier. Si six jeunes francophones sur dix (61%) avouent leur inquiétude quant à leur avenir professionnel, ils sont 45% à avoir peur de perdre leur emploi (16) (voir le graphique ci-dessus). Cette peur de l’avenir se fonde sur des faits concrets : 70% des jeunes travailleurs « ont déjà connu une période sans emploi et 28 % seulement ont obtenu un CDI dans l’année qui a suivi leur sortie de l’école » (17). Pour les 30% restants, la période d’instabilité a été constituée de CDD et de missions intérim entrecoupé de période sans travail. Le délai entre l’obtention d’un job et un CDI étant assez long, Ludovic Voet, le responsable national des Jeunes CSC, en vient à parler de « précarisation » des jeunes. « Cela permet de répondre au ministre Jeholet (MR) qui déclarait récemment que les jeunes sont difficiles. Non, ils ont un parcours difficile » (18). Du travail, les francophones ne font qu’en demander ! La preuve : s’il y avait un emploi à la clé, un quart d’entre eux (23%) serait prêt à quitter la Belgique, un tiers (33%) à accepter un job moins bien payé, 39% à se déplacer davantage, 43% à accepter n’importe quel travail, 62% à occuper un poste temporaire et 77% à se former à de nouvelles compétences. Dites adieu au cliché du jeune assisté !

Si l’Office National de l’emploi (Onem) et certains politiques semblent se féliciter que le plat pays soit passé en dessous de la barre des 500.000 demandeurs d’emploi indemnisés, certains acteurs de terrain tiennent à contextualiser ce chiffre. D’après Robert Verteneuil, secrétaire général de la FGTB, de nombreuses personnes ont disparu des statistiques mais n’ont pas trouvé un travail pour autant :  « On vous annonce une diminution de 8,5% du nombre de chômeurs, mais on oublie de vous dire que dans le même temps, on a une augmentation de 9,3% de bénéficiaires du Revenu d’Intégration Sociale. On peut donc penser que ces chômeurs sont maintenant au RIS » (19), s’exprimait-il en mars dernier auprès d’un confrère de la RTBF (20). Quant à Philippe Defeyt, économiste et président de l’Institut pour un développement durable, il nuance la qualité des nouveaux emplois créés ces dernières années : « il est incontestable que le nombre d’emplois augmente, même si beaucoup de ces emplois sont des emplois temporaires ou des emplois à temps partiel » (21).

Et devinez qui occupe majoritairement ces emplois précaires, parce que saisonniers, temporaires ou partiels. Les jeunes bien sûr ! La moitié des missions d’intérim est en effet assurées par des jeunes de moins de 30 ans. En 2016, 43,8% des jeunes intérimaires ont eu des contrats journaliers successifs auprès du même employeur. Preuve que, même quand la personne convient, celle-ci reçoit des contrats au compte-goutte avec lesquels il est quasiment impossible de concrétiser des projets de vie. Sans sécurité professionnelle, comment réussir à se projeter et à s’épanouir au quotidien ? De nos jours, 68% des jeunes sans-emploi vivent grâce aux allocations de chômage. Un chiffre qui s’explique par la période d’insertion (12 mois), un laps de temps pendant lequel le jeune sorti de l’école ne reçoit pas d’allocations. Le tiers restant dit dépendre de la famille (27 %), d’un conjoint ou partenaire (19 %), de l’épargne (22 %), d’un travail occasionnel (14 %) ou de l’assistance sociale (7 %), ces sources de revenus étant parfois cumulées 22. Cette précarité financière les oblige à reporter certains projets : quitter le foyer familial (33 %), vivre en couple (20 %), avoir un enfant (15 %). Et parmi ces jeunes travailleurs ou demandeurs d’emploi francophones, 28 % sont des « Tanguy », tandis que 30 % sont encore locataires ou colocataires (9 %).

On le constate sans difficulté : chômage et aide sociale sont des vases communicants. Certaines décisions politiques liées aux jeunes, et qui ont été prises ces dernières années, ont sans doute participé à la situation actuelle. On pense notamment à l’abaissement de l’âge d’admission pour bénéficier des allocations de chômage (la limite d’âge pour demander cette aide est passée de moins de 30 ans à moins de 25 ans), mais aussi à l’instauration d’une condition de diplôme pour les moins de 21 ans. Depuis le 1er septembre 2015, s’ils n’ont pas obtenu leur diplôme de fin du secondaire, ceux-ci ne pourront plus bénéficier des allocations d’insertion.

Les femmes encore plus touchées

Autre phénomène récurrent dans les enquêtes : les jeunes femmes – pourtant davantage bardées de diplômes –  éprouvent des débuts professionnels plus difficiles que leurs congénères masculins. Avec un accès plus tardif à un CDI, elles sont également plus nombreuses à travailler à temps partiel de manière subie (plus de 20% des cas). « Dans notre enquête, nous posions la question de la durée entre la fin des études et l’obtention d’un CDI. Celle-ci est de moins d’un an pour un tiers des hommes et 23 % des femmes », explique Patricia Vendramin, la sociologue de l’UCL ayant réalisé l’enquête commandée par les Jeunes CSC.  « Les femmes sont également plus nombreuses à être contraintes de changer d’employeur, tandis que le sentiment de sécurité d’emploi est plus partagé parmi les jeunes hommes francophones (67 %) que parmi les jeunes femmes (53 %). Les hommes sont plus nombreux à estimer avoir un bon salaire et à entrevoir des perspectives d’avancement. A l’inverse, la peur de perdre leur emploi touche la moitié des jeunes femmes et 37 % des jeunes hommes », conclut l’experte.

A l’heure où le slogan « jobs, jobs, jobs » semble être sur toutes les lèvres (que ce soit chez nous ou outre-Atlantique), il devient urgent de donner la priorité à l’engagement en CDI, mais aussi de freiner la prolifération des statuts rémunérés en dessous du salaire minimum ainsi que le recours à l’intérim.

Quelques pistes de solution

Nous l’avons constaté par nous-mêmes : le chômage des plus jeunes est une question complexe, d’autant plus que le phénomène concerne une multiplicité de publics aux profils très différents. Tout comme le problème revêt différentes dimensions, les pistes de solutions doivent, elles aussi, être multiples. Sur base de nos lectures, voici quelques pistes de solutions qui pourraient être mises en place :

Réformer le système d’enseignement

Les signes qui démontrent que l’école traverse une véritable crise ne manquent pas : redoublements massifs, burn-out des enseignants, faibles compétences des élèves à la sortie de l’école, taux de chômage élevé des jeunes… Dans ce contexte, il devient urgent de revoir en profondeur notre système scolaire. D’après Bart Cockx, chercheur à l’UGent, « il faut instaurer la médiation continue, postposer l’orientation en différentes filières et stimuler la formation en alternance ».

Revaloriser les filières techniques et professionnelles

Perçues de manière péjorative par les uns, quasiment désertées par les autres, les filières techniques et professionnelles gagneraient à être davantage valorisées, que ce soit par le monde politique et professionnel, mais aussi par la société civile dans son ensemble (cercle familial, corps professoral…). En effet, alors que, dans sa déclaration de Politique Communautaire (23), le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a inscrit, en 5e priorité, le renforcement des synergies entre l’enseignement qualifiant et le monde du travail, force est de constater que les filières professionnelles font plus souvent l’objet d’un second choix que d’un réel coup de cœur. Plus que jamais, l’enseignement qualifiant doit « faire l’objet d’un choix positif et être vécu pleinement comme un lieu de réalisation de soi », écrivait Valérie Silber-berg dans la revue Eduquer dédiée à l’école et au travail (24). Une revalorisation qui passe, selon elle, par « une politique de renforcement des dispositifs d’orientation au terme du tronc commun. » Pour le patron de l’UWE (25), le focus doit également être mis sur les stages, l’immersion et l’alternance en entreprise, afin que l’élève puisse réaliser ce que pourrait être son métier demain et changer, si besoin, d’orientation tant qu’il en est encore temps. Transformer les filières techniques et professionnelles en voies d’excellence est par ailleurs un des défis que se propose de relever le Pacte d’Excellence (26).

Un apprentissage du savoir-être

Au-delà des compétences de base qui doivent être acquises à la sortie de l’école, un apprentissage des aptitudes comportementales à appliquer dans le monde du travail devrait également être mis en place selon Olivier De Wasseige, et ce en particulier au sein des filières qualifiantes. Autrement dit, tout ce qui a trait au « travail en équipe, à la responsabilisation, au respect de l’autre… » (27) devrait également être enseigné aux jeunes.

(Ré)orienter les jeunes vers les secteurs en plein boum ?

Face à l’inadéquation de l’offre et de la demande en matière d’emploi, une des solutions trouvées par certains acteurs ou politiciens serait de proposer aux demandeurs d’emploi de combler la demande dans certains secteurs en pénurie, ou, du moins, où le recrutement est difficile. Il y a quelques semaines, la fédération sectorielle, l’Union Wallonne des Entreprises (UWE) et le ministre de l’Emploi, Pierre-Yves Jeholet, lançaient un appel aux demandeurs d’emploi et aux jeunes pour qu’ils se tournent vers le secteur de la construction, un domaine en pleine croissance (+ 1.500 emplois depuis deux ans). Un pragmatisme non partagé par Nico Hirtt, chargé d’études pour l’Aped (Appel pour une école démocratique). Opposé au fait que l’école doive seulement former la future main-d’œuvre du monde économique, Nico Hirtt estime que l’école doit avant tout permettre aux jeunes d’accéder à une série de savoirs et de compétences, acquises de manière solide, pour qu’ils deviennent, une fois adultes, des citoyens critiques. Pour lui, l’éducation doit réussir à mixer trois modèles : celui de l’éducation classique (comprenant des mathématiques, du français, des langues, de l’histoire…), celui de l’éducation active (cf. les pédagogies actives) et celui de l’éducation polytechnique (mélange de théorie et de pratique). « Je ne suis pas contre le fait que le système éducatif forme des travailleurs compétents, utiles et efficaces. Ce qui me gêne, c’est qu’au nom de la flexibilité et de la compétence, l’enseignement primaire doit accorder plus d’importance à la capacité d’usage et moins aux savoirs » (28).

Un suivi des chômeurs plus ciblé

Plutôt que de vouloir accompagner tous les chômeurs au début de leur période de chômage, Bart Cockx, chercheur à l’UGent, préconise de cibler les efforts sur les jeunes peu qualifiés. « Les autres peuvent se débrouiller », s’est-il exprimé dans une interview consacrée à La Libre Belgique il y a quelques années (29). Alors que le gouvernement vient d’allonger de neuf à douze mois la période d’attente avant de toucher le chômage, Bart Cockx propose de verser 400 euros à chaque jeune dès sa sortie des études (majorés pour ceux qui ont des difficultés financières). Cela constituerait un incitant à s’inscrire comme demandeur d’emploi et permettrait une intervention précoce pour accompagner les jeunes dés favorisés. Au rayon des méthodes qui fonctionnent, il y a la « garantie jeune », proposée par Actiris. Le concept ? L’organisme bruxellois s’engage à proposer une solution (emploi, formation ou stage) à tout nouveau demandeur d’emploi de moins de 30 ans dans un délai de maximum six mois. En 2017, Actiris a envoyé plus de 1.200 jeunes en entreprise pour y réaliser un stage. Dans les 12 mois qui ont suivi la fin de leur stage, près de deux tiers d’entre eux ont eu une expérience de travail.

Pour conclure…

Chiffres à l’appui, ce dossier consacré aux jeunes et à l’emploi nous dépeint une jeunesse inquiète pour son avenir, et bien souvent en difficulté pour intégrer le marché du travail. Si les chiffres officiels de l’Onem peuvent de prime abord montrer que la situation connaît une embellie et que le chômage est à la baisse, il convient de rester prudents et de prendre le recul nécessaire pour réussir à cerner la situation avec justesse. L’Onem semble ne pas prendre en compte une tendance pourtant bien réelle : celle du chômage des jeunes. Oubliés, situés hors radar, ces jeunes disparus étaient pourtant au nombre de 59.204 en septembre 2018 (30). Les statisticiens ont d’ailleurs développé une catégorie spécifique pour qualifier cette jeunesse oubliée : les NEET’s  (« Not in Employment, Education or Training » en anglais) et qui correspond au pourcentage de jeunes de 18 à 25 ans qui ne sont ni travailleur, ni étudiant ni en formation.

Plutôt que de se réjouir de statistiques trompeuses ou partielles, il serait grand temps de redonner du sens et de la profondeur à l’école, dans toutes les dimensions qu’elle englobe. Tous les enfants devraient avoir le sourire aux lèvres sur le chemin de l’école. Or, on sait que ce n’est pas toujours le cas et que le phénomène de phobie scolaire prend de plus en plus d’ampleur ces dernières années. Apprendre à apprendre, aiguiser sa curiosité, nouer du lien social, acquérir les savoir-faire et savoir-être de base sont quelques-unes des missions premières de notre système scolaire au niveau primaire. Si ces fondamentaux sont bancals ou insuffisants, comment dès lors poursuivre son parcours scolaire dans de bonnes conditions ? Comment donner aux jeunes l’envie de se former à un travail lorsque fréquenter les bancs de l’école est synonyme de malaise ou de souffrance ?

L’école et nos enfants méritent mieux que cela. Sans pour autant copier le modèle finlandais qu’on prône ici et là, il convient de trouver le modèle adapté aux particularités belges. Tout comme les solutions pour enrayer le chômage dépendent du politique, les solutions pour réformer l’enseignement en profondeur dépendront également de nos gouvernants. L’avenir nous dira si le Pacte d’excellence tient toutes ses (nombreuses) promesses. Nous aurons toute l’année 2019 pour nous pencher sur l’école, car celle-ci – à travers le slogan « liberté, égalité, scolarité » – fera l’objet de dossiers généraux au sein du CALepin.

Annabelle Duaut

 

Sources :

1 Une définition plus complète se trouve dans notre CALepin de juin 2018 qui était consacrée aux jeunes et à la sexualité.
2 « Le chômage des jeunes – Une baisse à plusieurs visages », les Jeunes CSC. Mai 2018.
3 Information tirée de l’article « L’emploi des jeunes retrouve-t-il des couleurs ? », d’Elodie Lamer, Le Soir.
4 Idem
5 Chiffres et informations tirés de l’article du Soir du 12 août 2018 « L’emploi des jeunes reprend-t-il des couleurs ? », Elodie Lamer.
6 « Le patron de l’Union Wallonne des Entreprises donne un 4/10 à notre enseignement », interview de RTL du 31 août 2018.
7 Idem
8 « Wallonie : voici la liste des 88 métiers critiques ou en pénurie », Rudy Hermans, la RTBF, le 5 juillet 2018.
9 Informations issues du Forem. Document « Métiers en tension en recrutement en Wallonie. Liste 2018 des métiers/fonctions critiques et en pénurie (hors métiers de l’enseignement) ».
10 Article web « Baisse historique du chômage : juste à cause des exclusions ou grâce au job, job, job », de Xavier Lambert, la RTBF, 16 mars 2018.
11 Communiqué de presse des Jeunes CSC intitulé « Bien-venue à Flexiland » en date du 7 février 2018
12 Depuis le 1er janvier 2017, le seuil légal de 50 jours est passé à 475 heures annuelles pour les étudiants.
13 Article « Etudiant : Briser les dépendances », Yves Martens, du Collectif Solidarité Contre l’Exclusion (CSCE), le 25 octobre 2017.
14 Article « Les jeunes travailleurs frappés par la précarité », Arnold Delaroche, L’Avenir du 27 octobre 2018.
15 « Les jeunes wallons et le marché de l’emploi », Le Forem, juillet 2016.
16 Article « Six jeunes francophones sur dix inquiets pour leur avenir professionnel », Pascal Lorent, Le Soir du 27 septembre 2018.
17 Idem
18 Idem
19 Le RIS est une aide financière accordée par le CPAS.
20 Article web « Baisse historique du chômage : juste à cause des exclusions ou grâce au job, job, job » de Xavier Lambert, la RTBF, 16 mars 2018.
21 Idem
22 Informations issues de l’article « Six jeunes francophones sur dix inquiets pour leur avenir professionnel », Pascal Lorent, Le Soir du 27 septembre 2018.
23 Déclaration de Politique Communautaire 2014 de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
24 Eduquer, n°110, décembre 2014.
25 Olivier De Wasseige
26 Le Pacte d’excellence propose en outre de créer une seule filière qualifiante (au lieu des ex-filières technique et professionnelle).
27 « Le patron de l’Union Wallonne des Entreprises donne un 4/10 à notre enseignement », interview de RTL du 31 août 2018.
28 Propos tenus lors du colloque de l’Aped du 10 no-vembre 2018 à Bruxelles.
29 « La Belgique, championne du chômage des jeunes », Laurent Gérard, La Libre Belgique, le 18 décembre 2013.
30  « ‘Galère, Galère, Galère’ la nouvelle promesse du gouvernement Michel », Robert Verteneuil, Le Soir, le 16 novembre 2018.

 

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