Il y a 150 ans : la Commune de Paris

Une utopie, c’est quand on réfléchit à la meilleure manière d’organiser une société où tout le monde s’épanouirait le plus possible. C’est une identification des problèmes liés à la société dans laquelle nous vivons et une proposition radicale d’évolution, de changements. On lui reproche souvent de ne pas tenir compte des réalités… Elle nous permet également de rêver. Cette année, à travers une série d’articles, nous avons décidé de vous présenter quelques utopies passées, présentes et futures. Comment elles ont vécu, échoué, comment elles se vivent et s’expriment aujourd’hui.

A travers ce premier épisode, c’est vers le passé que nous nous tournons. Il y a précisément 150 ans, le 18 mars 1871, débutait une aventure politique, sociale et économique aussi courte qu’incroyable : la Commune de Paris.

Un contexte difficile

Le 2 septembre 1870, un énième échec militaire de la France contre la Prusse conduit à la capture de Napoléon III. C’est alors la fin du Second Empire (1852-1870) et la proclamation de la Troisième République par les députés républicains déjà en place qui forment un gouvernement provisoire. Mais l’armistice avec la Prusse n’est pas encore signé et la guerre continue : mi-septembre, un siège est mis en place par ces derniers autour de Paris qui souffre du froid et de la faim mais résiste tant bien que mal. Ce siège est même tristement célèbre car il est connu que les notables parisiens se nourrissaient des animaux des zoos[1]. La Garde Nationale est mobilisée pour soutenir l’armée française et tenter de casser le blocus prussien, plus de 250 000 Parisiens s’y enrôlent et sont armé grâce à un impôt financé par les parisiens eux-mêmes. Le 18 janvier 1971, la Prusse sacre Guillaume Ier empereur à Versailles, lieu hautement symbolique, et bombarde Paris. C’en est trop, le gouvernement provisoire français accepte de signer l’armistice. Les Parisiens, quant à eux, se sentent humiliés alors qu’ils ont résisté pendant de si longs mois. Ils refusent d’accepter cette défaite[2].

De nouvelles élections nationales sont organisées dans l’urgence, le Parlement élu est composé majoritairement de royalistes et décide de siéger à Versailles, le peuple parisien étant considéré comme trop hostile. Ils élisent une figure politique bien connue de l’époque, un certain Adolphe Thiers, comme chef de l’exécutif.

La situation est explosive : la France entière est humiliée par la Prusse qui occupe son territoire pour une durée minimale de deux ans, le gouvernement ordonne de nouveaux impôts afin de rembourser la Prusse et le peuple parisien a résisté et s’est bâti une mentalité de révolutionnaire durant le siège.

Un déclencheur

A la fin du blocus, la Garde nationale entrepose ses canons sur les buttes de Paris, dont la plus connue est la butte Montmartre. Rappelons-le, les armes de la Garde avaient en grande majorité été financées par le peuple de Paris, celui-ci estimait donc que ces canons lui appartenaient. Adolphe Thiers a une toute autre idée en tête et décide d’envoyer 6000 soldats dans le but de récupérer les canons parisiens. Sur la butte Montmartre, femmes, hommes, enfants et gardes nationaux s’opposent aux soldats qui tentent de les récupérer. Les généraux de l’armée de Thiers ordonnent aux soldats de tirer dans la foule. Fraternisant avec le peuple, ces derniers refusent d’obéir et arrêtent leurs généraux : ces derniers seront fusillés le soir-même.

L’insurrection se répand à travers la ville comme une traînée de poudre : Adolphe Thiers et ses ministres décampent vers Versailles accompagnés de toute la haute bourgeoisie parisienne. Des barricades sont érigées à travers toute la ville. Le Comité central de la Garde nationale[3] prend le contrôle et décrète tout de suite l’organisation d’élections et la mise en place des premières mesures sociales : un moratoire sur les dettes et les loyers ainsi que le rétablissement du salaire des Gardes nationaux[4].

Proclamation de la Commune et mesures mises en place

L’élection a lieu le 26 mars et, le 28, les 90 élus proclament ensemble la Commune de Paris, un clin d’œil au nom que la municipalité avait pendant la Révolution française. Le drapeau rouge est choisi comme symbole. Les origines sociales et politiques des élus sont bien différentes : ouvriers, artisans, médecins, artistes… Républicains, jacobins, anarchistes ou socialistes, on peut globalement les classer du côté de la gauche révolutionnaire.

Le Conseil de la Commune s’organise en commissions (guerre, finance, enseignement…) et commence à prendre une série de mesures :

  • Les ateliers abandonnés par leurs propriétaires sont réquisitionnés et gérés par les ouvriers, associés en coopératives : nous assistons ici à une des premières expériences d’autogestion.
  • Du côté des écoles, les religieux sont mis dehors. L’enseignement devient obligatoire, gratuit et laïque. Le salaire des professeurs est augmenté, des femmes sont engagées comme professeures et une commission est mise en place pour développer l’enseignement des filles.
  • La séparation de l’Église et de l’État est décrétée, le budget alloué aux cultes est complètement supprimé. Les lieux de cultes sont sécularisés et transformés en lieu de discussion où tout le monde peut prendre la parole.
  • La liberté de la presse est réaffirmée, même les journaux anti-communards sont, dans un premier temps, autorisés à paraître. La Commune interdira tout de même les titres de presse sympathisant avec l’ennemi Versaillais au fur et à mesure que les combats s’intensifieront.
  • Du côté des droits des femmes, nous pouvons regretter que la Commune n’ait pas eu le temps d’autorisé le vote des femmes et que les 90 élus dont nous avons parlé ci-dessus ne soient que des hommes. Cependant, des avancées peuvent être valorisées : le mariage libre est autorisé, une égalité salariale est demandée (et même mise en place pour les institutrice), les parisiennes remplace les nonnes et travaillent dans les hôpitaux. Il est également essentiel de rappeler que de nombreuses femmes prennent part aux discussions dans les comités et prennent part aux combats jusqu’au dernier moment, sur les barricades.
  • La Commune de Paris qui se considère comme une république universelle permet à des étrangers d’accéder à la citoyenneté.
  • Au niveau des mesures sociales d’urgence, les logements vacants sont réquisitionnés et des pensions sont versées aux veuves, aux orphelins et aux blessés de la Garde nationale. Des distributions de vivres aux plus démunis sont également organisées.

On remarque donc qu’en un laps de temps très court, de nombreuses mesures à caractère sociales et progressistes sont mises en place.

La semaine sanglante

L’armée versaillaise, qui dispose de plus de 150 000 hommes commence à bombarder Paris dès le premier mai. Elle envoie ses hommes à l’assaut le 21 mai. Il leur faudra une semaine pour venir à bout, quartier par quartier, des dernières barricades. Le débat sur le nombre de morts du côté des Communards est encore en cours, plusieurs chiffres ont été donnés au cours de l’histoire (entre 6000 et 40 000) mais les historiens s’accordent aujourd’hui à en compter au minimum 7000, ce qui en fait une des répressions les plus meurtrières de l’histoire. La Commune tombe le 28 mai dans un Paris meurtri. Les Versaillais traquent les habitants suspectés d’avoir participé à cette épopée. Dans les semaines qui suivent, de nombreuses (400 000) lettres dénonciations seront également envoyées. De nombreux français partiront pour l’exil, beaucoup de détenus seront envoyés au bagne, en Nouvelle Calédonie. Ils ne seront graciés que 10 ans plus tard.

Postérité

Nous n’avons pas la prétention, ici, de vous en apprendre beaucoup sur les événements liés à cette guerre civile française. Nous savons que les deux camps qui s’opposaient n’étaient ni tout blancs ni tout noirs. Il faut cependant admettre que la Commune de Paris[5] s’inscrit dans un contexte complexe et a tenté d’y apporter des réponses républicaines, démocratiques et progressistes. Plusieurs mesures mises en place dans ce laboratoire politique qui dura 72 jours nous paraissent aujourd’hui tout à fait normales mais cela ne coulait pas de source à la fin du 19e siècle. Le parallèle est peut-être rapide et simpliste mais il peut être fait avec les revendications (et le ras le bol) des gilets jaunes, avec l’organisation et la liberté de parole qu’ont entraîné des mouvements comme Nuit debout, comme les multiples ZAD[6] qui ont fleuri ici ou là. Nous aurions pu vous présenter les célébrités de la Commune tels que Louise Michel, Jules Vallès ou Gustave Courbet. Nous aurions pu vous énumérer les exactions commises par ce régime : l’exécutions de l’archevêque de Paris et d’autres religieux, la mise à feu de bâtiments célèbres tels que le Palais des Tuileries ou l’Hôtel de Ville de Paris. Nous aurions pu vous parler du Sacré Cœur, sur la butte Montmartre, là où tout a commencé, qui a été construite en réparation aux pertes de l’Église comme un symbole du conservatisme sur le progressisme. Nous laisserons la parole de fin à l’essayiste Alain Gouttman : « Devant l’histoire, les communards se sont montrés le plus souvent médiocres, à quelque poste qu’ils se soient trouvés entre le 18 mars et le 26 mai 1871. Ils n’en incarnent pas moins, dans la mémoire collective, une grande cause, la plus grande de toutes peut-être : celle d’une société jaillie du plus profond d’eux-mêmes, où la justice, l’égalité, la liberté n’auraient plus été des mots vides de sens. Une utopie ? En tout cas, une grande espérance qui les dépassait de beaucoup, et dont ils furent à la fois acteurs et martyrs »[7].

Alexis Etienne

Extrait du poème « Sur une barricade, au milieu des pavés »
de Victor Hugo

Sur une barricade, au milieu des pavés
Souillés d’un sang coupable et d’un sang pur lavés,
Un enfant de douze ans est pris avec des hommes.
— Es-tu de ceux-là, toi ? — L’enfant dit : Nous en sommes.
— C’est bon, dit l’officier, on va te fusiller.
Attends ton tour. — L’enfant voit des éclairs briller,
Et tous ses compagnons tomber sous la muraille.
Il dit à l’officier : Permettez-vous que j’aille
Rapporter cette montre à ma mère chez nous ?
— Tu veux t’enfuir ? — Je vais revenir. — Ces voyous
Ont peur ! Où loges-tu ? — Là, près de la fontaine.
Et je vais revenir, monsieur le capitaine.
— Va-t’en, drôle ! — L’enfant s’en va. — Piège grossier !
Et les soldats riaient avec leur officier,
Et les mourants mêlaient à ce rire leur râle ;
Mais le rire cessa, car soudain l’enfant pâle,
Brusquement reparu, fier comme Viala,
Vint s’adosser au mur et leur dit : Me voilà.

Notes et bibliographie

  • [1] « Le jour où les parisiens ont mangé les animaux du zoo de Vincennes », Vivreparis.fr
  • [2] « Le siège de Paris », Karambolage, Arte
  • [3] État-major de la Garde
  • [4] « Un peuple révolutionnaire : la Commune de Paris », Marc Laguna
  • [5] D’autres Communes ont également germé simultanément dans toute la France
  • [6] Zones à défendre
  • [7] « La grande défaite », Alain Gouttman
Scroll to top