Histoire des extrémismes politiques en Belgique

A la veille des élections généralisées de 2024 en Belgique, qui occuperont une place centrale dans l’agenda de Laïcité Brabant wallon, l’équipe du CALepin profite de la clôture, en ce mois de décembre, de la campagne d’éducation permanente 2023 du Centre d’Action Laïque « Les extrémismes, notre prison » pour poursuivre l’article que nous vous avions proposé au sein du numéro précédent du CALepin1 consacré à l’évolution des notions de droite et de gauche au sein du plat pays. Sans surprise, le cœur de cet article sera donc consacré à l’histoire des extrémismes politiques en Belgique : l’extrême gauche et l’extrême droite et à leur évolution dans le temps.

Mais avant de parler des extrêmes, il est bon de se remémorer les fondamentaux : la gauche et la droite. Pour rappel, c’est le 28 août 1789 que la question du véto royal est débattue au sein de la toute nouvelle Assemblée nationale française. Les membres de l’Assemblée en faveur du véto royal se sont placés à droite du Président et les adversaires du véto à gauche de celui-ci. C’est ainsi que les termes politiques de gauche et de droite sont nés.

Aujourd’hui, la norme du traditionnel clivage politique est qu’à gauche, on est plutôt socialiste ou écologiste et progressiste, à l’extrême gauche, on est communiste ou anarchiste ou encore anticapitaliste, qu’à droite, on est plutôt libéral et conservateur et qu’à l’extrême droite, ces personnes vont encore plus loin dans les idées de la droite. Pêle-mêle : indépendantistes, xénophobes, racistes, ultra-libéraux, etc.

Mais, il n’en a pas toujours été ainsi au sein du plat pays.

Histoire de l’extrême gauche en Belgique

Extrême gauche et libéraux

Pour cette partie de l’histoire, revenons au XIXème siècle. En 1830, la Belgique devient un Etat indépendant. Le pouvoir politique est alors accaparé par la noblesse et la bourgeoisie au détriment des classes populaires ayant également participé à la libération belge du joug hollandais. Le droit de vote censitaire prévu par la nouvelle constitution adoptée en 1831, n’est ouvert qu’aux citoyens payant l’impôt, c’est-à-dire un tout petit nombre de personnes. En 1842, par exemple, seules 412 personnes répondent aux conditions d’éligibilité au Sénat. Un pouvoir concentré entre les mains de deux tendances politiques et ce durant 60 ans : les libéraux qui fondent le Parti Libéral en 1846 et les catholiques qui fondent le Parti Catholique en 1884.

A La Chambre des représentants, les députés choisissent de siéger par affinités politiques. Les députés libéraux s’installeront à gauche du président de la Chambre et les députés catholiques siègeront à droite. Les notions de « gauche » et de« droite » seront progressivement utilisées pour qualifier les deux fractions parlementaires.

Ces deux groupes politiques s’affrontent surtout sur les rapports entre l’Etat et l’Eglise et ils ne représentent pas non plus exactement les intérêts des mêmes classes de possédants, mais s’accordent pour maintenir pleinement en place la domination sur la classe ouvrière naissante et sur la paysannerie. Mais les voix de quelques élus libéraux commencent à s’élever en faveur d’une démocratisation du système politique : laisser plus de place aux professions libérales et à la petite bourgeoisie, tout en promouvant le libre-échange économique, ainsi qu’un enseignement obligatoire. A partir de ce moment, cette frange des libéraux, dite « progressiste » se distancie du programme des libéraux « doctrinaires » et de celui des catholiques et sera désormais qualifiée d’« extrême gauche » par leurs détracteurs catholiques (c’est donc par leur prise de décisions et non par leur place dans l’hémicycle qu’ils seront qualifiés ainsi, NDLR). Au sens uniquement topographique de la « gauche » au sein du vocabulaire parlementaire vient désormais s’ajouter « extrême », synonyme de radical, rendant ainsi cette association de mots beaucoup plus politique. Ici, la radicalité 2 Le socialisme est un courant politique qui vise à réformer la société pour favoriser la justice sociale. Ses valeurs fondamentales sont l’égalité des chances, la redistribution équitable des ressources et la priorité de l’intérêt collectif sur l’intérêt individuel. La pensée socialiste naît historiquement dans la pensée communiste. Elle s’en éloigne cependant sur deux points fondamentaux. Premièrement, là où le communisme revendique une phase de dictature du prolétariat, le socialisme préfère ce qu’il appelle la « social-démocratie ». Cela signifie qu’ils estiment préférable d’implémenter le changement via la démocratie que via la dictature du prolétariat. Deuxièmement, là où le communisme revendique une suppression du marché, le socialisme, lui, préfère sa régulation et une redistribution des ressources. 3 L’anarchisme, souvent situé à l’extrême gauche, est un courant politique qui propose de déconstruire la structure sociale en supprimant toute forme d’exploitation et de domination, à savoir : l’État, la propriété privée et la religion. L’anarchisme part du principe que, libérés de ces contraintes, les citoyens seraient libres de s’organiser de manière égalitaire et fédérée sans qu’il n’y ait de primauté de l’organisation sur l’individu ou de certains individus sur d’autres. des progressistes libéraux vient surtout de leur ouverture politique par rapport aux doctrinaires libéraux ou aux conservateurs catholiques, mais ils ne remettent absolument pas en question le système capitaliste. Plus tard, ces mêmes libéraux progressistes, dans un souci de réduction des inégalités, s’associeront au Parti Ouvrier Belge (POB), créé en 1885 afin, ensemble, d’obtenir le suffrage universel (masculin).

Extrême gauche et socialistes2

Pionnière pour sa révolution industrielle, la Belgique n’est pas une terre propice à la structuration de sa classe ouvrière et pour cause : faiblesse des salaires, absence de droits politiques et syndicaux et répressions sévères de tous mouvements de contestation. Ci et là, certains mouvements politiques vont commencer à se créer dans le sillage de l’Association internationale des travailleurs de 1864. La section belge de la Première Internationale est influencée par l’anarchisme3. Profondément révolutionnaire, cette section ne souhaite en rien participer au système parlementaire et ce, même si les conditions institutionnelles le permettaient. Si ce courant peut être qualifié d’extrême gauche à l’heure d’écrire ces lignes, La Chambre des représentants de l’époque n’est pas encore touchée par ces questions. D’un point de vue social, les anarchistes belges ont été les instigateurs des révoltes populaires de 1886. Ils seront dès lors dénoncés, critiqués et stigmatisés par les libéraux et les catholiques, mais aussi par les socialistes qui développent leur organisation et qui souhaitent mettre sous leur coupe la classe ouvrière. L’appellation d’« extrême gauche » reste jusqu’alors cantonnée à l’enceinte du Parlement et n’est pas étendue ni au mouvement anarchiste, ni à ses militants. Les socialistes du POB permettent alors une remise en question complète du schéma classique « gauche-droite » de l’époque. Pour les libéraux doctrinaires et les catholiques, le danger n’est plus les libéraux progressistes, mais bien les socialistes, ainsi que les anarchistes. En 1894, le POB entre au Parlement et ses députés décident de s’installer sur les sièges de l’extrême gauche (toujours la place que les socialistes occupent aujourd’hui au Parlement, NDLR). On qualifiera désormais cette famille politique d’« extrême gauche ». Le POB, marqué par son anticapitalisme et son souhait d’égalité socio-politique entre les citoyens, ne pourrait pas être qualifié d’« extrême » gauche avec notre regard actuel. Ce parti n’est pas révolutionnaire et son combat politique est l’application du suffrage universel afin que les classes ouvrières et exploitées puissent élire leurs représentants qui, eux, pourront opérer un changement profond de la société capitaliste. Un clash s’opère alors entre l’origine bourgeoise des élus conservateurs catholiques et libéraux et l’origine ouvrière de certains élus socialistes. Tous les efforts mis en place par les socialistes et les libéraux progressistes pour l’application du suffrage universel pur et simple rapprochent ces deux tendances politiques. Face à l’approche de la guerre et du discours patriotique généralisé, les socialistes deviennent alors réformistes et souhaitent s’intégrer dans la société qu’ils étaient censés combattre.

Mais, des voix critiques au sein du POB commencent à dénoncer cette volonté d’entrer au gouvernement au prix de trop grandes concessions. D’autres critiques, encore plus radicales s’élèvent et dépassent les premières par la gauche, formant ainsi l’extrême gauche du POB. A la veille de la Première Guerre mondiale, deux courants coexistent donc au POB : l’un révolutionnaire, l’autre réformiste et entriste4.

Ce n’est qu’à l’issue du premier conflit mondial que le POB entrera au sein de la coalition gouvernementale avec ses désormais partenaires libéraux et catholiques. Grâce aux socialistes et au contexte révolutionnaire russe, de nombreuses avancées sont votées et appliquées en Belgique : le suffrage universel masculin pur et simple, la journée de 8 heures et les bases d’une assurance chômage nationale, etc.

En parallèle à cela, le réformisme du POB s’agrandit. L’anticapitalisme de ses débuts s’amoindrit et son intégration au sein du système politique bourgeois ne fait plus de doute. Les socialistes font de moins en moins peur aux libéraux et aux catholiques et l’appellation d’extrême gauche va désormais être dirigée vers une autre cible : les communistes5.

Extrême gauche et communistes, jusqu’à nos jours

C’est en 1921 que la fusion de deux groupes fondent le Parti Communiste de Belgique (PCB). L’un, petit groupe de militants communistes, est marqué par son antimilitarisme et par son antiparlementarisme, l’autre est la frange de l’extrême gauche du POB qui fait scission après avoir tenté de réduire la direction réformiste et entriste des socialistes. Avec moins de 1000 membres à ses débuts, le PCB entre au Parlement en 1925. Ses deux représentants siègent d’ailleurs tout près des élus socialistes, mais c’est à eux qu’est destiné l’étiquette d’extrême gauche, une étiquette de plus en plus blâmante et stigmatisante. Les activités politiques des communistes n’inquiètent pas uniquement les libéraux et les catholiques, mais également les socialistes.

Le PCB critique le POB pour avoir failli à ses engagements idéologiques et pour s’être accommodé avec libéraux et catholiques. Le PCB a pour particularité de soutenir, au milieu des années 1920, l’opposition trotskyste dans la lutte entre Staline et Trotsky en URSS. Mais, pas pour longtemps. Suite au plébiscite de Staline en tant que secrétaire général du parti communiste d’URSS et de l’exclusion de Trotsky en 1927, la ligne officielle imposée par Moscou est donc unique et anti-trotskyste. L’autoritarisme de l’extrême gauche est désormais affiché au grand jour, tout comme en interne au PCB, à la différence des libéraux progressistes et du POB. Pour les communistes, l’égalité entre les citoyens doit être atteinte par la révolution et toutes les actions entreprises pour atteindre cette égalité seront appelées le stalinisme.

Peinant à décoller véritablement, le PCB parviendra, par son rôle d’opposition et de critique de l’action gouvernementale du POB et dans le contexte de la montée du fascisme, à tripler, en 1936, le nombre de ses élus au Parlement. Voter communiste à cette période, c’est exprimer sa déception envers les socialistes. Même si des tensions au sein du POB amènent un député socialiste à rejoindre les rangs du POB, jamais la « socialdémocratie » belge n’aura été brisée depuis 1921. C’est surtout suite à la Seconde Guerre mondiale et au rôle des communistes au sein de la Résistance que le PCB étendra son influence. Il entre au gouvernement en 1944 et remporte 23 sièges au Parlement en 1946. Durant le second conflit mondial et suite à celui-ci, les communistes mettent de côté leur idéal révolutionnaire pour mieux s’intégrer au sein de la société belge et de ses structures. Le PCB perd cette image dangereuse aux yeux des autres partis, suite à la Libération. Mais, en 1947, coup de tonnerre en contexte de Guerre froide, les ministres communistes quittent le gouvernement et n’y reviendront jamais jusqu’à aujourd’hui. Les congrès de 1954 et de 1960 jettent les bases de ce nouveau tournant du PCB où les communistes ne souhaitent pas rejoindre la « social-démocratie », où ils resteront radicaux, mais pas extrêmes. Malgré cela, le PCB est en déclin constant entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et 1985, année où le PCB perd son dernier député.

Entre 1985 et 2014, plus aucun député issu d’un parti qualifié d’extrême gauche ne siège au Parlement fédéral. Le Parti communiste est tombé dans une forme de marginalisation, mais c’est le Parti du Travail de Belgique (PTB), fondé en 1979 et d’origine maoïste6, qui connaît un véritable succès en termes de nombre d’adhérents et sur le plan électoral.

En 2014, le PTB entre à la Chambre avec deux députés et en 2019, le PTB sextuple ce nombre avec ses 12 députés. Une des clefs de son succès réside dans l’abandon d’une rhétorique doctrinaire au profit de revendications plus pragmatiques, mais néanmoins classistes7.

La qualification du PTB de parti d’extrême gauche par d’autres partis de gauche comme de droite demeure, jusqu’à aujourd’hui, un enjeu de lutte politique et symbolique. Ce parti, quant à lui, préfère se présenter comme la « vraie » gauche par rapport aux renoncements idéologiques du Parti Socialiste (PS, descendant du POB, NDLR). Les partis se situant à gauche du PS, comme le PTB préfèrent donc utiliser les termes de « gauche radicale », de « gauche anticapitaliste » ou encore de « gauche des gauches », dans un but de sortir de cette stigmatisation des autres partis.

Histoire de l’extrême droite en Belgique

Les principales formations belges d’extrême droite des années 1930 jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale

Au XIXème siècle, ce sont donc, pour rappel, trois partis qui composent le paysage politique belge : le Parti Libéral fondé en 1846, le Parti Catholique fondé en 1884 et le Parti Ouvrier Belge (POB) fondé, lui, en 1885. Il n’y a donc aucun parti d’extrême droite structuré, ni au XIXème siècle, ni même au tout début du XXème siècle. Le premier véritable parti d’extrême droite qui se développe est le Vlaams Nationaal Verbond (Ligue Nationale Flamande ou VNV), en 1933 sur les cendres du Frontpartij (Parti du Front). Le Frontpartij ne peut d’ailleurs pas être qualifié de parti d’extrême droite, mais il incarne plutôt le clivage communautaire en Flandre. Après un échec électoral assez marqué en 1932, le Frontpartij va laisser la place à une formation qui est le VNV. Ce parti récupère de son prédécesseur cet ancrage communautaire en Belgique et va petit à petit se radicaliser, épouser une idéologie d’extrême droite et même verser dans la collaboration durant la Seconde Guerre mondiale.

Toujours en Flandre, le Verdinaso (Verbond van dietsche nationaal solidaristen ou groupement des solidaristes nationaux thiois) se situe également à l’extrême droite de l’échiquier politique. Née en 1931, cette organisation politique fasciste flamande se développe rapidement et va collaborer avec l’occupant nazi entre 1940 et 1944.

Une autre formation politique d’extrême droite qui se développe également dans les années 1930, le Front populaire de Rex (ou Rex), fondé par Léon Degrelle. Rex se distingue du VNV et de Verdinaso par son « belgicanisme »8. Ces trois structures ne sont d’ailleurs pas toujours en accord. Le VNV et le Verdinaso ont tout simplement une volonté indépendantiste de la Flandre, avec l’objectif de former un Etat qui regrouperait une grande « Néerlande »9. Rex ne partage pas du tout cette perspective indépendantiste. Rex est d’emblée un parti belgicain. On retrouve encore aujourd’hui ces tensions au sein de l’extrême droite belge. Rex se développe très rapidement et particulièrement bien. En 1936, avec un véritable raz de marée électoral, il devient le 4ème parti politique à La Chambre des représentants, avec 21 sièges sur 202, ainsi que plusieurs sièges au Sénat. Le travail parlementaire de ce parti réside dans la critique, dans la remise en cause des autres partis qualifiés d’« establishment politique », de caste et souhaite donner « un grand coup de balai » à ce monde politique. Rex est un parti très centralisé, très hiérarchisé et très autoritaire avec Léon Degrelle, comme figure centrale, qui exerce une pression, un contrôle très important sur ses membres et sur ses parlementaires. Il semble en tout cas avéré que lorsque les parlementaires ont été amenés à siéger à la Chambre des représentants, Léon Degrelle leur a fait signer un document non daté de démission, de manière à pouvoir mieux les contrôler. En 1937, une élection partielle intervient dans l’arrondissement de Bruxelles, suite au départ d’un député rexiste. Léon Degrelle est candidat. Il se retrouve confronté à un véritable cartel des autres partis politiques, y compris les communistes. Un front se forme face à Léon Degrelle en la personne de Paul Van Zeeland, Premier Ministre à l’époque. Celui-ci remporte l’élection avec plus de 75 % des votes exprimés. Un véritable camouflet sur le plan électoral pour Rex et une catastrophe pour Léon Degrelle qui n’est pas élu. A partir de cette période, on observe une radicalisation beaucoup plus intense du parti Rex sur toute une série de thématiques, notamment l’antisémitisme. Dans les années 1940, Rex va collaborer avec l’occupant nazi. Léon Degrelle, lui-même, sera fier d’indiquer qu’Hitler le considérait comme son fils spirituel en Belgique et aurait voulu qu’il soit le chef de l’Etat ou en tout cas du territoire belge sous administration allemande. Mais l’histoire rexiste ne s’arrête pas là. Léon Degrelle met sur pied la Légion Wallonie, un groupe de volontaires SS qui part combattre sur le front de l’Est. Il est clair avec Léon Degrelle, comme figure centrale, qui exerce une pression, un contrôle très important sur ses membres et sur ses parlementaires. Il semble en tout cas avéré que lorsque les parlementaires ont été amenés à siéger à la Chambre des représentants, Léon Degrelle leur a fait signer un document non daté de démission, de manière à pouvoir mieux les contrôler. En 1937, une élection partielle intervient dans l’arrondissement de Bruxelles, suite au départ d’un député rexiste. Léon Degrelle est candidat. Il se retrouve confronté à un véritable cartel des autres partis politiques, y compris les communistes. Un front se forme face à Léon Degrelle en la personne de Paul Van Zeeland, Premier Ministre à l’époque. Celui-ci remporte l’élection avec plus de 75 % des votes exprimés. Un véritable camouflet sur le plan électoral pour Rex et une catastrophe pour Léon Degrelle qui n’est pas élu. A partir de cette période, on observe une radicalisation beaucoup plus intense du parti Rex sur toute une série de thématiques, notamment l’antisémitisme. Dans les années 1940, Rex va collaborer avec l’occupant nazi. Léon Degrelle, lui-même, sera fier d’indiquer qu’Hitler le considérait comme son fils spirituel en Belgique et aurait voulu qu’il soit le chef de l’Etat ou en tout cas du territoire belge sous administration allemande. Mais l’histoire rexiste ne s’arrête pas là. Léon Degrelle met sur pied la Légion Wallonie, un groupe de volontaires SS qui part combattre sur le front de l’Est. Il est clair que les collusions entre les partis d’extrême droite créés dans les années 1930, comme le VNV, le Verdinaso et le Parti Rex avec la collaboration durant la Seconde Guerre mondiale est importante. Evidemment, cela aura un impact considérable sur le développement de cette partie de l’échiquier politique après la guerre et ce, particulièrement en Flandre. Car, le nationalisme flamand porté par des structures collaborationnistes comme le VNV ou le Verdinaso, sera discrédité. Beaucoup d’électeurs flamands10 se porteront donc vers des formations plus traditionnelles en l’occurrence le Parti Catholique, nouvellement Parti Social-Chrétien (PSC).

L’extrême droite après la Seconde Guerre mondiale

Partout en Europe, l’extrême droite est discréditée, exsangue et ne parvient plus à rassembler autour d’elle, mais surtout à se redévelopper. Mais, cela ne veut pas dire que plus rien ne se passe. Une succession de groupuscules va tenter de se redévelopper très difficilement déjà dans les années 1940-50 et surtout dans les années 1960.

En Belgique francophone

En 1960, le Mouvement d’Action Civique (MAC) est un mouvement d’extrême droite qui se développe dans le contexte de la colonisation. Celui-ci a pour vocation de défendre les intérêts de l’ordre colonial. Il essaie de s’infiltrer dans certains cercles, dans certains cénacles, certains milieux politiques, notamment les jeunes libéraux. Le MAC va disparaître en 1962 et va laisser la place à un autre groupe d’extrême droite qui lui se développera quelque peu plus, Jeune Europe. Ce mouvement subsistera jusque 1968 grâce à l’influence d’un Belge, Jean Thiriart. On parle de thiriartisme encore aujourd’hui pour évoquer cette tendance : une personnalité d’extrême droite qui défend une conception de la nation assez différente de celle des autres formations d’extrême droite de l’époque. Pour Jeune Europe, la nation ne peut pas se penser à l’échelle d’un territoire, d’un État, par exemple, isolé, mais l’envisage à l’échelle européenne, de Dublin à Vladivostok.

Ensuite, d’autres mouvements suivront comme le Front de la Jeunesse (FJ) dans les années 1970, qui s’inspire notamment de ce qui fonctionne bien en France. C’est un groupe d’extrême droite des plus classiques qui soient et qui a recours à la violence. Le FJ va donner ensuite, là aussi sur le modèle français, le Parti des Forces Nouvelles (PFN) en 1983. Celui-ci incarne une force partisane d’extrême droite. Le PFN est la force majeure dans l’échiquier électoral de l’extrême droite au début des années 1980. C’est d’ailleurs une partie du PFN, ainsi qu’une partie du FJ qui vont créer en 1985 avec Daniel Ferrer, le Front National (FN) belge. Quelques années plus tard, c’est une dissidence liégeoise du FN qui créera le parti Agir.

A côté de tout cela, il y a également des mouvements, des groupes, qui n’ont pas de prétentions électorales, mais qui se développent tout de même. C’est le cas de l’Assaut, durant la fin des années 1980. Ecrit avec son double S qui fait penser à d’autres S de l’histoire, l’Assaut était un mouvement violent qui a conduit un de ses leaders en prison pendant une courte période et qui va décider de s’auto-dissoudre en 1993. Ses membres vont décider de rejoindre une dissidence du FN, le Front Nouveau de Belgique (FNB) ensuite le 11 septembre 1999 vont fonder Nation, sur l’inspiration du PFN : décidé lui aussi à s’ancrer sur la voie électorale, de présenter des listes lorsqu’il en a l’occasion, mais aussi de s’ancrer dans un activisme de terrain assez fort.

Au nord du pays

Le nationalisme flamand est, dans un premier temps, discrédité après la seconde guerre mondiale, compte tenu de la collaboration du VNV et du Verdinaso avec l’occupant allemand. L’électorat flamand se redirige alors vers le Parti Catholique. Les catholiques qui déjà au XIXème siècle ont canalisé les voix du mouvement nationaliste flamand.

En 1948, se crée un mouvement d’extrême droite assez radical et qui entend bien s’ancrer, lui aussi, dans le mouvement flamand, le Vlaams Militante Orde (Ordre des militants flamands ou VMO). Il va se développer à travers des actions souvent violentes, autant sur le plan physique, que sur le plan symbolique. Par exemple, l’agression de Jacques Georgin, militant du Front Des Francophones (FDF, rebaptisé Défi en 2015). Ou encore l’action d’aller déterrer en Autriche le corps du prêtre collaborateur flamand, Cyril Verschave, figure du nationalisme flamand, là où il s’était exilé après la Seconde Guerre mondiale. La volonté du VMO était de ramener son corps en « Terre sainte » flamande. Action réalisée grâce à un certain soutien de la population flamande. Le VMO va être une des principales organisations à l’extrême droite de l’échiquier politique : violente, mais sans prétentions électorales. Le VMO sera de 1948 au début des années 1980, la principale organisation d’extrême droite du nord du pays.

L’extrême droite aujourd’hui en Belgique

En Flandre, Le Vlaams Blok

Les racines de ce parti ne remontent pas aussi loin que la seconde guerre mondiale, mais plutôt à la fin des années 1970. A cette époque, le clivage communautaire est très vif en Belgique. Le pacte scolaire de 1958 et l’adoption de la loi en 1959 va pacifier quelque peu le clivage philosophico-religieux qui anime la Belgique. Mais, désormais le clivage socio-économique et aussi communautaire va prendre une importance majeure avec le développement de formations politiques comme la Volksunie (Union Populaire) durant les années 1950. Ce parti n’est pas, à proprement parler, d’extrême droite, mais est clairement nationaliste et plus modéré que le VNV ou le Verdinaso. Ce parti va être amené rapidement à rejoindre le pouvoir dans les années 1970 et participera notamment à la conclusion de grands accords institutionnels, juste après la première réforme de l’État de 1970. Il participera au pacte d’Egmond en 1977, qui va patiner et s’avérer rapidement être un échec, car jamais mis en oeuvre par les autorités publiques. Au sein de la Volksunie, certains vont considérer qu’on a accordé trop de lest aux adversaires politiques et que la cause flamande a été trahie. Ceux-là décideront de faire sécession. Le Vlaams Nationale Partij (Parti national flamand) de Karel Dillen et le Vlaamse Volkspartij (Parti populaire flamand) de Lode Claes, deux partis dissidents de la Volksunie, s’associeront en 1978 pour former un cartel électoral : le Vlaams Blok (VB). Cette formation a des revendications beaucoup plus claires, beaucoup plus poussée que la Volksunie en matières communautaires, tout en refusant le compromis. C’est d’ailleurs sur cette base communautaire qu’ils vont encore plus se radicaliser. Très peu de temps après, en 1979, ce cartel décide de se transformer en parti politique. A la différence du Front National français d’origine clairement fasciste11, le VB, lui, s’est tout d’abord érigé autour du mouvement flamand. Très rapidement, les dirigeants du parti vont s’inspirer des slogans et de la manière de s’exprimer de Jean-Marie Le Pen. En un claquement de doigt, le VB va devenir un parti d’extrême droite avec son fameux slogan « Eigen Volk Eerst ! » (Notre peuple d’abord). Ce parti va faire des questions migratoires et sécuritaires, tout autant que du communautaire, des axes centraux de son programme. À l’époque, le VB était plutôt favorable à une scission de la Belgique et à un rattachement de la Flandre aux Pays-Bas. Actuellement, c’est une stricte indépendance de la Flandre qui est réclamée.

Les premiers succès électoraux de ce parti arrivent en 1988 au niveau communal, notamment dans la ville d’Anvers. Ce succès fera craindre à d’autres formations politiques un développement rapide et important de la formation d’extrême droite. C’est là que naît le cordon sanitaire politique12, à initiative particulièrement du secrétaire national du parti écologiste flamand AGALEV (aujourd’hui, Groen), Jos Geysels. Celui-ci proposera à ses collègues d’autres formations politiques, dont la Volksunie (qui signera pour quelques semaines avant sa dissolution, NDLR), la première version du cordon sanitaire politique.

1991 est une échéance électorale très importante pour l’extrême droite belge : le Front National belge obtient un élu à La Chambre des représentants, 12 élus pour le VB. Parmi ces 12 élus, plusieurs proviennent du VMO. Depuis 1991 jusqu’aux élections communales de 2006, le VB connaît une ascension électorale ininterrompue et ce, malgré le cordon sanitaire politique. Ce dernier s’est d’ailleurs renforcé durant les années 90 en Flandre.

Après les élections communales de 2006, le désormais Vlaams Belang (VB) connaît un déclin pour deux raisons : des tensions internes, ainsi que de la concurrence, pas à l’extrême droite, mais sur le plan nationaliste à travers la Lijst De Decker et la Nieuw-Vlaamse Alliantie (Alliance néo-flamande ou N-VA). Ceux-ci vont concurrencer le VB qui souffre du cordon sanitaire politique. Même si le parti d’extrême droite obtient des sièges en nombre au Parlement, il sera compliqué pour lui de former une coalition avec d’autres partis et donc, de gouverner. Ce qui arrive lors des élections communales et provinciales de 2018 où le VB revient en force. Mais c’est lors des élections législatives de 2019 que le VB récolte 18 sièges à La Chambre des représentants : il est encore aujourd’hui le deuxième parti du nord du pays et le troisième parti au niveau national en nombre de sièges au Parlement. Une progression tout aussi importante qu’inquiétante. Désormais, les sondages d’opinion placeraient le VB comme le premier parti de Flandre.

En Wallonie, Chez Nous

Pour le chercheur au Centre de recherche et d’information socio-politique (CRISP) et chargé de cours à l’UCLouvain en sciences politiques, Benjamin Biard13, il y a plusieurs éléments qui expliquent qu’un parti d’extrême droite comme Chez Nous existe en Wallonie. Le premier élément est qu’il y a une demande électorale. Des citoyens du sud du pays sont prêts à voter pour une formation politique d’extrême droite, à s’investir sur le plan militant à l’extrême droite de l’échiquier politique, voire même avoir la prétention de devenir élu et d’exercer des responsabilités politiques. Le second élément est que l’on a longtemps cru et certains le croient encore, que la Belgique francophone, les cantons de l’Est germanophones et Bruxelles étaient immunisés contre l’extrême droite. Mais, le FN a eu des sièges dans différentes assemblées parlementaires du pays et a même pu former des groupes politiques. Cependant, ce fut assez périmétré, assez faible. Mais cette relative inexistence doit être prise avec des pincettes. L’exemple de l’extrême droite allemande ou espagnole est assez parlante par sa capacité à se développer extrêmement rapidement.

Pour le parti Chez Nous, ce sont Jérôme Munier et Grégory Vanden Bruel, deux anciens membres du Parti Populaire (ancien parti d’extrême droite belge francophone dissout en 2019, NDLR), qui ont fondé ce dernier arrivé dans l’espace politique et électoral francophone. Tous deux ont déjà une première expérience parlementaire, une première expérience de cordon sanitaire, ainsi que les difficultés politiques concrètes qui en résultent. Ces deux personnes ont un certain réseau également : Alain Destexhe14, Jordan Bardella, président du Rassemblement National (FN, rebaptisé RN en 2018) français ou encore Tom Van Grieken, président du VB.

C’est suite à l’écrasement total de l’extrême droite belge francophone que l’idée de créer Chez Nous survient, surtout afin de rassembler les différentes chapelles d’extrême droite du sud du pays. C’est comme ça qu’en octobre 2021, le parti Chez Nous essaie de tenir son meeting fondateur à Herstal. Sans autorisation du bourgmestre de la ville, ils décident de transformer ce meeting fondateur en conférence de presse du côté d’Enghien, avec la présence du président du RN et du président du VB. Par la présence de ces deux pointures d’extrême droite, cela prouve immédiatement qu’une autre dynamique est à l’oeuvre : ce n’est plus l’extrême droite de ces 20 dernières années qui s’écharpait pour leur appellation commune (le FN français qui, plusieurs fois, a traîné le FN belge devant les tribunaux pour l’utilisation de son nom et de son logo, NDLR). Ici, nous sommes dans une logique inverse de coopération et de parrainage de ces grosses formations soeurs.

Le message de ce jeune parti est centré sur six axes thématiques bien particuliers : le respect des traditions, de l’identité et des valeurs ; l’immigration ; l’insécurité ; l’écologie de terroir ; l’opposition aux partis traditionnels ; la question fiscale. Sur les autres questions, comme sur celle de l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (EVRAS, lire par ailleurs) un accord n’est toujours pas officiellement atteint en interne. Raison pour laquelle le parti n’est pas sorti de sa tanière lors des virulentes réactions orchestrées par des groupuscules d’extrême droite.

Pour Benjamin Biard, ce parti est d’extrême droite, mais rien ne laisse à penser qu’il est fasciste. Son objectif n’est pas de renverser la démocratie ou de réduire le rôle du parlement, par exemple. Ce n’est pas un parti violent, à tout le moins, sur le plan physique, moral ou encore symbolique. Aujourd’hui, Chez Nous en est encore à ses débuts. Ses actions se réduisent à quelques distributions de tracts sur les marchés ou encore quelques affichages dans les universités. Ci et là, quelques rixes peuvent avoir lieu contre des groupes antifascistes par exemple, mais rien d’ouvertement violent. Dans ce sens-là, ce n’est pas l’extrême droite la plus historique, comme le VMO qui, par exemple, a déjà kidnappé, séquestré ou encore torturé des personnes. L’Assaut en la personne d’Hervé Van Laethem avait été, également, emprisonné pour agression physique de militants du PTB qui tenaient un stand à la gare des Guillemins de Liège. Ce n’est pas du tout une extrême droite qui menace fondamentalement l’essence de la démocratie, mais qui, par contre, menace son pilier libéral. C’est-à-dire avec un programme, des discours qui vont mettre sous tension des éléments fondamentaux, en termes de valeurs, de la démocratie actuelle que sont l’équilibre des pouvoirs, l’État de droit, les droits accordés aux minorités (Chez Nous souhaite supprimer Unia comme le VB, NDLR), parce que la vision de la société de ce parti, l’idéologie qu’il défend, est profondément inégalitaire.

Chez Nous, c’est nous versus les autres.

Toujours pour Benjamin Biard, ce parti politique ne représente pas un véritable danger électoralement parlant pour les futures élections de 2024, mais c’est tout de même une formation politique qui a une capacité à se développer, à rassembler et qui fait en sorte qu’il y ait des jeunes dans différentes circonscriptions qui s’assument comme étant d’extrême droite. C’était impensable il y a dix ans. Il y a clairement une évolution. Le parrainage de Chez Nous par le RN et le VB, couplé à une présence massive sur les réseaux sociaux, lui permet de se faire connaître petit à petit. C’est un parti qui évite les dérapages racistes, xénophobes et négationnistes : il se rapproche toujours dangereusement de la ligne rouge, mais ne l’a encore jamais franchie à ce jour. La maîtrise de la communication est donc primordiale au sein de ce nouveau parti d’extrême droite.

La pénétration des idées d’extrême droite au sein des partis traditionnels

Une forme de radicalisation de certains partis dits traditionnels qui, à un certain moment peuvent épouser des formes plus radicales sur toute une série de thématiques propres à l’extrême droite a toujours pu être observée. La même analyse peut d’ailleurs facilement être réalisée à l’extrême gauche. Cependant, tous les partis traditionnels ne rompent pas nécessairement avec leurs traditions libérales et démocratiques pour devenir d’extrême droite. Malgré le fait que certains discours ou certaines décisions politiques issus de ces partis puissent être étiquetés d’extrême droite.

En 1992, le VB, en la personne de son président de l’époque, Filip Dewinter, annonce un plan en 70 points pour lutter contre l’immigration. Au sein de celui-ci, on y retrouve notamment la suppression d’Unia ou encore la création d’un secrétariat d’État à l’Asile et à la Migration. A sa sortie, ce plan a d’ailleurs été fortement critiqué par les autres partis. Quelques années plus tard, en 1999, lorsque le très libéral Guy Verhofstadt (Open VLD) devient Premier ministre, la création d’un secrétariat d’Etat à l’Asile et à la Migration est en marche. Cette coalition gouvernementale, surnommée arc-en-ciel, est alors composée des libéraux, des socialistes et des écologistes flamands et francophones.

Aujourd’hui, les partis flamands comme francophones ont tous pris position par rapport à l’extrême droite, sous la forme du cordon sanitaire politique. Tous, sauf la N-VA : pour cause, la dernière version de ce texte en Flandre a été signée en 2000. La N-VA est créée en 2001 et n’aurait techniquement pas pu signer ce texte. Cette situation, assez ambiguë, arrange bien certaines personnes en interne à la N-VA. Pour Benjamin Biard, la N-VA n’est pas d’extrême droite, mais, comme dans tous les partis, est composée de différentes ailes. Certains électeurs vont vouloir donner leur voix au parti nationaliste flamand, justement pour son action nationaliste, d’autres pour des raisons socio-économiques et d’autres encore pour des raisons identitaires. Jusqu’ici, il n’est pas possible de qualifier ce parti nationaliste d’extrême droite. Par contre, ce qui le permet, c’est de regarder le passé de certains de ses membres. Theo Franken (N-VA) et Ben Weyts (N-VA), respectivement secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration au sein du gouvernement fédéral entre 2014 et 2018 et ministre flamand de la Mobilité entre 2014 et 2019 ont pris part à la fête pour le nonantième anniversaire de Bob Maes, fondateur du VMO. C’est un exemple ou encore, toujours selon Benjamin Biard, le Ministre-Président flamand Jan Jambon qui, selon des rumeurs, aurait figuré parmi les fondateurs de la section de Brasschaat du Vlaams Blok à la fin des années 1980. Donc, le Vlaams Blok avant ses tentatives actuelles de dédiabolisation. Il y a des liens plus forts encore qui permettent de voir que sur le plan individuel, presque organique à certains égards et sur certaines idées, par exemple celles de Théo Franken ou certaines de ses mesures par rapport au rapatriement des Soudanais lorsqu’il était secrétaire d’État, le rapproche dangereusement de ce qu’aurait pu faire une Giorgia Melloni, Première ministre italienne d’extrême droite dans son pays. Donc des liens peuvent être clairement tissés, mais le parti en soi ne peut pas être qualifié d’extrême droite. Tout simplement, il est dans un contexte de concurrence électorale où il a réussi à capter des électeurs à l’extrême droite et il essaye de les garder, voire d’en gagner encore plus.

Comment lutter contre l’extrême droite et ses idées ?

Pour lutter le plus efficacement contre l’extrême droite, plusieurs acteurs doivent intervenir. Les politiques pourraient tenter de résoudre la question de l’extrême droite à travers des mesures aussi courageuses et ambitieuses soient elles, mais cela serait très compliqué étant donné le caractère très diffus des organisations ou partis qui se revendiquent de cette partie de l’échiquier politique. On pourrait, par exemple, envisager l’interdiction d’un parti politique d’extrême droite, mais ça ne veut pas dire que les idées, elles, vont disparaître. Par exemple, en France, Génération Identitaire, mouvement politique français d’extrême droite identitaire a été dissous en 2021, avant cela, le Groupe Union Défense (GUD), organisation étudiante française d’extrême droite réputée pour ses actions violentes a été également dissoute, mais les personnes qui ont fait partie de ces groupes sont toujours là en réalité. On voit bien ainsi que l’interdiction ou la dissolution de ce type d’organisations ne résout pas tout.

Il y a une responsabilité politique, au travers du cordon sanitaire politique : pour les partis démocratiques, ne pas former de coalition avec des partis comme le VB, permet de contrecarrer la stratégie de normalisation mise en place par l’extrême droite. Cela complexifie l’apport de voix issus d’électeurs qui a priori ne seraient pas d’extrême droite, mais qui pourraient être tentés de passer le cap et cela permet également de rendre le vote pour ces formations non pertinent, dans le sens où grâce au respect du cordon sanitaire, l’extrême droite n’entrera pas au sein d’un exécutif. Cet effet du cordon sanitaire politique commence, malheureusement, à s’estomper petit à petit en Flandre.

Une autre responsabilité politique réside en l’adoption d’un arsenal législatif qui permet d’empêcher la dédiabolisation des idées d’extrême droite. La loi Moureaux de 1981 sur le racisme et la xénophobie, celle de 1995 sur le négationnisme ou encore la loi de 2007 sur les discriminations en sont de parfaits exemples. D’autres lois pourraient être imaginées qui permettraient, par exemple, de dissoudre certaines organisations virulentes comme Schild & Vrienden (Bouclier et Amis), mouvement de jeunesse nationaliste flamand d’extrême droite, fondé en 2017. Un autre exemple serait de limiter ou de cadrer les dépenses des partis politiques sur les réseaux sociaux, à tout le moins, en période de campagne électorale.

Il y a également une responsabilité médiatique: c’est la question du cordon sanitaire médiatique. Évidemment, en Flandre, imposer un tel type de cordon sanitaire n’aurait aucun effet. Le VB est déjà un parti pertinent, dans le sens où il a déjà la capacité de se hisser à la tête du podium en 2024, selon les projections. C’est un parti qui a déjà rejoint le conseil d’administration de la VRT, radio et télévision publiques flamandes, mais également celui d’autres structures. Par contre, côté francophone ce cordon sanitaire médiatique existe depuis décembre 1991. Il fonctionne assez bien, car malgré quelques très légères micro-ruptures çà et là, ce cordon sanitaire médiatique a un impact très clair sur le développement de l’extrême droite dans le sud du pays. C’est d’ailleurs un véritable frein à l’accroissement du parti Chez Nous. Ce parti doit donc redoubler, voire retripler d’efforts sur les marchés, sur les foires, ainsi que sur les réseaux sociaux pour essayer de se faire connaître et gagner en visibilité.

Il y a aussi une responsabilité civile, dans un sens très large. En amont, cela passe par des actions de sensibilisation qui permettent de décrypter davantage l’extrême droite. En aval, l’action de certaines organisations, notamment antifascistes, qui parfois peuvent recourir à la violence physique ou morale et qui empêchent la tenue de meetings ou de rencontres d’extrême droite. Ces organisations sont d’ailleurs également une véritable épine dans le pied du parti Chez Nous.

Ces trois types de responsabilités, lorsqu’elles sont additionnées, forment une responsabilité citoyenne qui peut contribuer à réduire la force de l’extrême droite. En outre, il faut également éliminer les racines, à proprement parler, de l’extrême droite. Du côté wallon, aucun mouvement ou parti d’extrême droite n’est encore assez pertinent (malgré le développement du parti Chez Nous, NDLR), mais les idées, elles, sont bien présentes. Une des sources de ces idées réside dans la méfiance démocratique. Pour Benjamin Biard, la même analyse peut être réalisée pour le PTB, le Vlaams Belang et pour le parti Chez Nous. Il est donc urgent de réenchanter la démocratie par une refonte du système démocratique. Multiplier les mécanismes plus participatifs pour dépoussiérer notre démocratie représentative serait une option. Des panels citoyens permettant de mettre côte à côte citoyens et politiques afin de mettre en avant une volonté plus large et partagée. Dans le cas contraire, on n’aboutit pas à des réformes et s’il n’y a pas de réformes, cela renforce encore ce désamour, cette méfiance, ce fossé entre les citoyens et les élus et cela renforce de facto les extrêmes, de manière plus large.

Conclusion

Si nous avons décidé de garder le qualificatif d’« extrême » pour les deux bords de l’échiquier politique belge, c’est avant toute chose pour une facilité de compréhension et non pour une sorte de mise à égalité des deux courants politiques. L’histoire nous le montre bel et bien : si l’extrême droite belge s’est historiquement fondée sur un inégalitarisme, un nationalisme et un radicalisme décomplexé, l’extrême gauche elle, s’est formée autour d’idées et de combats profondément ancrés dans un progressisme et dans une recherche de réduction des inégalités pour plus de justice sociale. Si les premières formations belges d’extrême droite, comme le Verdinaso, Rex ou encore le VMO, doivent, certes, être analysées dans leurs contextes et avec les spécificités de leurs époques respectives pour mieux être étudiées et comprises, la rhétorique d’extrême droite, elle, n’a, jusqu’à aujourd’hui par contre pas bougé d’un millimètre. La grille de lecture est restée la même. L’expression « extrême gauche », elle, est restée la même, mais a opéré un changement de propriétaire tout au long de l’histoire : d’abord cantonnée aux libéraux progressistes, puis aux anarchistes et aux socialistes, elle a terminé sa course en direction des communistes. Ce vocable a d’ailleurs très souvent été utilisé pour stigmatiser des adversaires politiques, soit par des partis idéologiquement éloignés, comme les catholiques, soit par des formations idéologiquement proches pour se distancier de leurs adversaires, comme les socialistes avec les communistes. C’est toujours le cas aujourd’hui.

Les différences notoires entre socialistes et communistes résident dans le fait que pour les premiers, il faut instaurer une « social-démocratie », à la place d’une dictature du prolétariat pour les seconds. Les communistes souhaitent une suppression pure et simple du marché, alors que les socialistes, eux, souhaitent une régulation de celui-ci et une redistribution des ressources. Voilà pour la théorie.

Si aujourd’hui, l’ensemble des partis de gauche, de droite et d’extrême gauche semblent pourtant accepter les règles de notre démocratie représentative et que l’application de leur projet politique respectif ne passera qu’à travers le prisme de celui-ci, alors quelles sont les raisons qui poussent encore les partis démocratiques à qualifier leurs adversaires politiques, comme le PTB ou le VB d’extrémistes de gauche ou de droite ? L’autoritarisme peutêtre ? A l’heure d’écrire ces lignes, aucun parti belge, même à l’extrême droite de l’échiquier politique, ne laisse penser — peut être par opportunisme électoral me direz-vous — à une quelconque forme d’application d’autoritarisme. Alors, peut-être est-ce le radicalisme des idées qui pousse l’ensemble de la classe politique et des observateurs à employer le terme d’« extrême » pour qualifier à gauche, le PTB et à droite le VB ou Chez Nous. Pour l’extrême droite, ce constat se tient. Le plan en 70 points pour lutter contre l’immigration du VB ou encore l’inégalitarisme radical du parti Chez Nous nous permet, sans surprises, de classer ces formations à l’extrême droite du monde politique. Pour le PTB, c’est un petit peu plus délicat. Son radicalisme pourrait prendre la forme d’une critique trop acerbe des puissants de notre société, comme par exemple en voulant instaurer une taxe sur les millionnaires. Mais aujourd’hui, nous assistons à une reprise de ce combat par les socialistes du PS. Doit-on dire que ce sont les socialistes qui se radicalisent ou les communistes qui se déradicalisent ? Le radicalisme et donc l’appellation d’extrémistes pourrait être également revêtue par le PTB de par son refus de toute coalition avec les autres partis. Hormis au sein de la commune flamande de Zelzate où le PTB se partage le pouvoir avec les socialistes flamands de Vooruit, aucun autre exécutif du pays ne connait de rouge vif en son sein. Un refus de coalition avec d’autres formations politiques par convictions idéologiques met de facto le PTB dans une forme de marginalisation et donc d’extrémisme. Même si cette forme d’extrémisme ne revêt aucunement de formes de xénophobie, de haine ou d’inégalitarisme, à la différence de l’extrême droite.

Finalement, il est important de garder à l’esprit que si les extrêmes se renforcent aujourd’hui, c’est avant toute chose parce que notre démocratie représentative actuelle est à bout de souffle. Le lien entre élus et citoyens n’a jamais été aussi distendu. La solution ? Comme le dit très justement Benjamin Biard, il est urgent de réenchanter notre système démocratique à coups d’exercices politiques participatifs, à coups d’éducation citoyenne, mais surtout à coups de réformes institutionnelles qui faciliteraient la compréhension de notre lasagne institutionnelle belge et amèneraient plus de proximité citoyenne avec nos structures démocratiques. Sans réformes, le désamour citoyen pour notre démocratie grandira toujours autant que les extrêmes se renforceront. A bientôt pour les élections de 2024.

Sources :

La gauche « extrême » en Belgique : du Parti Libéral à la gauche anticapitaliste, par Julien Dohet et Jean Faniel, au sein du magazine « Extrême » ? Identités partisanes et stigmatisation des gauches en Europe (XVIIIème-XXème siècle), 2012.

Les nouveaux habits du populisme : les partis francophones sont-ils immunisés ?, par Jean Faniel, 2012.

PTB, Nouvelle gauche, vieille recette, par Pascal Delwit, 2014.

Interview de Benjamin Biard du 10 novembre 2023.

NDBP :

1 Article tiré du Magazine l’Appel n°461, novembre 2023.

2 Le socialisme est un courant politique qui vise à réformer la société pour favoriser la justice sociale. Ses valeurs fondamentales sont l’égalité des chances, la redistribution équitable des ressources et la priorité de l’intérêt collectif sur l’intérêt individuel. La pensée socialiste naît historiquement dans la pensée communiste. Elle s’en éloigne cependant sur deux points fondamentaux. Premièrement, là où le communisme revendique une phase de dictature du prolétariat, le socialisme préfère ce qu’il appelle la « social-démocratie ». Cela signifie qu’ils estiment préférable d’implémenter le changement via la démocratie que via la dictature du prolétariat. Deuxièmement, là où le communisme revendique une suppression du marché, le socialisme, lui, préfère sa régulation et une redistribution des ressources.

3 L’anarchisme, souvent situé à l’extrême gauche, est un courant politique qui propose de déconstruire la structure sociale en supprimant toute forme d’exploitation et de domination, à savoir : l’État, la propriété privée et la religion. L’anarchisme part du principe que, libérés de ces contraintes, les citoyens seraient libres de s’organiser de manière égalitaire et fédérée sans qu’il n’y ait de primauté de l’organisation sur l’individu ou de certains individus sur d’autres.

4 Entrisme : toute tentative d’exercer une influence cachée en s’introduisant au sein d’un groupe quelconque. Ici, le POB souhaite appliquer ses réformes en entrant au sein du gouvernement.

5 Les valeurs centrales de la pensée communiste sont l’abolition de la propriété privée au profit d’une propriété collective, l’égalité stricte entre tous les citoyens et la suppression du marché. Comme l’anarchisme, l’idéal du communisme est la vie en collectivité autogérée. Il existe néanmoins une différence fondamentale entre le communisme et l’anarchisme : là où l’anarchisme défend la liberté individuelle de chacun, et la cohabitation pacifique et complémentaire des intérêts individuels, le communisme, lui, insiste avant tout sur l’importance de l’intérêt collectif. Karl Marx est considéré comme le principal penseur communiste. Selon lui, pour atteindre une société communiste, il faut d’abord une révolution, suivie d’une phase appelée « dictature du prolétariat ».

6 Du nom du dirigeant communiste chinois Mao Tsé-toung. Au départ, il s’agissait d’adapter les principes de Marx et de Lénine à une société chinoise massivement rurale. A partir des années 1960, le maoïsme prône une accélération de la révolution à l’intérieur (lancement de la révolution culturelle en 1965), clame son opposition au « socialimpérialisme » soviétique, entraînant une scission dans le mouvement communiste, et se présente comme le porteparole du tiers-monde (avant le rapprochement spectaculaire entre Pékin et Washington en 1972). Autour de 1968, de nombreux mouvements occidentaux se sont réclamés du maoïsme, alliant marxisme et anti-autoritarisme.

7 Le classisme est une discrimination fondée sur l’appartenance ou la non-appartenance à une classe sociale, souvent basée sur des critères économiques.

8 Nationalisme belge

9 Tous les territoires où on parle le Flamand : les Pays-Bas, la Flandre belge, la Flandre française et certains vont même jusqu’à revendiquer les territoires flamands sud-africains

10 Nous souhaitons rappeler qu’à partir de 1948, le suffrage universel pur et simple est adopté en Belgique : on parle alors désormais autant d’électeurs que d’électrices.

8 Nationalisme belge

9 Tous les territoires où on parle le Flamand : les Pays-Bas, la Flandre belge, la Flandre française et certains vont même jusqu’à revendiquer les territoires flamands sud-afric11 Fascisme : Idéologie politique apparue au début du XXème siècle et élaborée par Benito Mussolini, dictateur de l’Italie de 1922 à 1943. Cette doctrine politique rejette le libéralisme, le communisme, l’individualisme et la démocratie parlementaire. Le fascisme prône l’institutionnalisation de la dictature, le culte du chef, le corporatisme, le parti unique et le nationalisme ethnique.

12 Accord politique conclu entre partis démocratiques flamands pour empêcher toute participation au pouvoir de partis d’extrême droite. Par extension, l’expression s’emploie aussi du côté francophone du pays pour désigner un accord politique doublé d’un dispositif médiatique (cordon sanitaire médiatique).

13 Contre-Plongée, le nouveau podcast de Laïcité Brabant wallon, vous proposera en décembre un reportage, ainsi qu’une émission autour des extrémismes avec Benjamin Biard et Arthur Borriello. Très bonne écoute !

14 Il quitte le Mouvement réformateur (MR) en 2019 pour créer son propre parti d’extrême droite, les Listes Destexhe. En 2022, il rejoint l’équipe de campagne présidentielle d’Éric Zemmour en France.

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