Annabelle Duaut
La Fabrique de Soi, l’école de devoirs de Laïcité Brabant wallon implantée à Tubize, accueille depuis le mois de juin un psychologue clinicien conventionné au sein de ses locaux à raison de quelques heures par semaine. Un service gratuit qui répond à un réel besoin des jeunes et qui est encore inédit au sein de notre province. Explications.
Depuis le mois de juin, l’école de devoirs de LBW sise à Tubize accueille quelques heures par semaine Cédric Martinez, un psychologue conventionné par le Réseau Archipel1. Chaque mardi après-midi, il reçoit en consultation des jeunes de la Fabrique de Soi (tuteurs, élèves inscrits à l’école des devoirs ou à l’Espace Créa) pendant 30 minutes, et ce, sur base volontaire. Un nouveau service gratuit2 qui semble rencontrer un réel besoin sur le terrain puisque le psychologue affiche complet chaque semaine. « Je ne m’attendais pas à un tel succès », confie de but en blanc Cédric Martinez. « Il faut croire que le climat de paix et de sérénité qui règne à la Fabrique de Soi incite les jeunes à se confier facilement, car ils se sentent en confiance », poursuit celui qui travaille également au CPAS de Braine-le-Château. Pour l’instant, cinq enfants et adolescents ont pu être suivis. Pour chacun d’entre eux, quelques séances ont été suffisantes (on parle alors de thérapie brève). « La Fabrique de Soi n’interfère pas du tout par rapport à cette permanence psy »3, explique Anne Beghin, coordinatrice de la FDS depuis bientôt 20 ans. « La venue de Cédric dans nos locaux est une belle opportunité pour les enfants/jeunes car, de nos jours, les listes d’attente pour voir un psychologue sont longues, sans parler du coût financier que cela peut bien souvent représenter pour les parents. »
Une perche tendue par Archipel
C’est grâce au réseau Archipel, le réseau intersectoriel de santé mentale pour enfants et adolescents du Brabant wallon, que la permanence de Cédric Martinez a pu se concrétiser à la Fabrique de Soi. Un dispositif qui fait encore figure d’exception au sein de la Province puisque la FDS est la seule école de devoirs à bénéficier des services d’un psychologue entre ses murs. « L’idée de ce dispositif en place depuis la pandémie de Covid-194 est d’intégrer la première ligne afin d’aller au plus près de la population, de déstigmatiser la santé mentale et de permettre un accès plus aisé aux services de santé mentale »5, développe Delphine Guibert, coordinatrice locale de la zone Centre et Ouest, pour cette initiative déployée par Archipel. « Une permanence telle que celle de la Fabrique de Soi est une ressource pour les jeunes qui fréquentent ce lieu, qui leur permet de travailler leur capacité à surmonter les épreuves difficiles de la vie. Elle nous donne l’occasion de détecter, de manière précoce, d’éventuels troubles, de les prévenir. Quand les problématiques rencontrées sont complexes et demandent une prise en charge multidisciplinaire, le psychologue renvoie vers les services de santé mentale (SSM) ou les équipes mobiles. Les psychologues conventionnés travaillent en co-construction et en collaboration avec tous les acteurs de la première ligne (centres psycho-médicaux-sociaux, AMO, écoles, maisons de jeunes, médecins généralistes, …). L’idée est de faire réseau avec différents acteurs de manière anticipative et de permettre de trouver d’autres accompagnements quand l’hospitalisation n’est pas nécessaire ».
Pour Anne Beghin, ce projet pilote a tout son sens. « C’est un service de proximité qui est en ligne directe avec notre philosophie. » La Fabrique de Soi s’est toujours efforcée d’offrir un service global aux jeunes et aux familles. « Afin de ne pas mettre les parents devant le fait accompli, nous leur avons envoyé un courrier au préalable pour les avertir de la présence de Cédric dans nos locaux. Dans notre Règlement d’Ordre Intérieur (ROI), parmi l’éventail de nos activités, il y a désormais le soutien psychologique, ce qui sous-entend que, sauf s’il y a opposition des parents, leur enfant pourra rencontrer le psychologue s’il en ressent le besoin et en exprime le souhait », ajoute Anne Beghin. Une démarche faite dans la transparence qui n’a rencontré aucune réticence de la part des familles.
Le Covid : un point de rupture
Si la santé mentale des jeunes dépend de plusieurs facteurs (ambiance familiale, amis/solitude, réussite/échec scolaire, santé physique, présence/absence de loisirs, perspectives d’avenir…), une série d’acteurs de terrain s’accordent pour dire que les confinements à répétition que nous avons vécus entre 2020 et 2022 ont participé à accélérer le repli des jeunes sur eux-mêmes, leur addiction aux réseaux sociaux ainsi qu’aux GSM. « Certains ont du mal à sortir de ça pour aller vers les autres, à faire les choses par eux-mêmes », relève Delphine Guibert. « Le risque de ces jeunes qui se replient sur eux-mêmes, c’est que cela devienne chronique par la suite s’ils ne sont pas pris en charge rapidement. » D’un autre côté, peut-être que la santé mentale des jeunes nous semble aussi avoir empiré parce qu’il y a plus de diagnostics que par le passé. « De nos jours, nous avons des leviers pour accompagner les jeunes, même s’ils sont encore insuffisants. Ces derniers sont et restent d’ailleurs très résilients et continuent à se réinventer. Ce ne sont pas des générations perdues, mais la donne a changé. Les jeunes ont toujours une longueur d’avance. En tant que professionnels, nous devons sans cesse nous réinventer et construire avec eux de nouvelles formes de soutien. Leur participation est essentielle à cet égard », conclut Delphine Guibert.
Quand la précarité mène aux problèmes psychiatriques
Une étude récente réalisée par l’Assurance maladie et Santé publique France a relevé que chez les enfants vivant sous le seuil de pauvreté, les pathologies psychiatriques – notamment des retards mentaux ou affectifs – sont plus fréquentes6. L’étude note que la précarité et le cadre de vie jouent sur la santé mentale des enfants les plus pauvres. Le Dr Philippe Tuppin pointe « un problème d’encadrement, d’environnement familial, de prise en charge, avec une attention différée »7. Le médecin ajoute que dans « des périodes très sensibles pour l’enfant » à un âge où « il se développe », ces pathologies sont « relativement lourdes ». L’étude insiste sur la nécessité de repérer en amont ces troubles psychiatriques, et de protéger ces enfants issus de milieux précaires en les prenant en charge rapidement pour éviter des conséquences plus importantes une fois adultes. « De nombreuses pathologies sont plus fréquentes en présence d’un désavantage social (surtout financier), notamment les troubles mentaux. Cependant, leur identification demeure difficile en raison d’un manque de recueil ou d’exhaustivité auprès de centres spécialisés de l’enfance dans le Système national des données de santé »8, conclut l’étude.
La nécessité du documentaire « Tout va s’arranger (ou pas) »
Si vous souhaitez mesurer l’ampleur des dégâts du Covid sur la santé mentale des jeunes, n’hésitez pas visionner le documentaire « Tout va s’arranger (ou pas) » de Pierre Schonbrodt, journaliste vidéaste au CAL. Ce documentaire a été produit en partenariat avec la FAPEO. En partant du témoignage de jeunes en souffrance, ce film tente de comprendre le mal-être d’une jeunesse marquée par deux années de confinement. En les écoutant, on devine un rendez-vous manqué avec ces jeunes qui tentent aujourd’hui encore de soigner des blessures très douloureuses. Tout ce temps passé sans les avoir suffisamment écoutés a sans doute engendré une crise de sens qu’on aurait tort de sous-estimer. Une projection ainsi qu’un débat peuvent être organisés sur demande9.
Sources:
1 Plus d’infos sur : www.archipelbw.be
2 Les consultations sont prises en charge par l’Inami. Le jeune qui consulte doit juste être en ordre de mutuelle et avoir un NISS (Numéro d’Identification à la Sécurité Sociale).
3 Propos recueillis dans le cadre d’une interview réalisée le 2/7/2024.
4 Ces dispositifs s’inscrivent dans le cadre de la nouvelle politique fédérale intersectorielle de soins en santé mentale pour enfants et adolescents.
5 Propos issus d’une interview réalisée le 17/07/2024.
6 « Santé mentale : les enfants les plus pauvres sont trois fois plus souvent hospitalisés pour des problèmes psychiatriques que les autres », site de France Tv info, 9/01/2024.
7 Idem.
8 Idem.
9 www.laicite.be/documentaires/tout-va-s-arranger