Primo-votants : une jeunesse en manque de savoir politique face à l’exercice du vote

Mehdi Toukabri

Malgré un ciel menaçant et un léger crachin typiquement belge, Max, 20 ans et étudiant de 3ème année de bachelier à l’ULB déambule dans les rues du centre-Ville de la capitale. Le rendez-vous est fixé en milieu d’après-midi à la place Saint-Jean, à deux pas de la Grand-Place et à quelques mètres du Parlement bruxellois. Là, trône fièrement une statue en bronze en hommage à Gabrielle Petit, résistante belge fusillée par les Allemands lors de la Première Guerre Mondiale en 1916. « A chaque fois que je passe devant cette statue, je lis la citation1 et son message m’envahit. Pourtant je ne suis pas spécialement patriote, mais c’est plutôt son sens du devoir que je respecte énormément. C’est une femme, une résistante qui prend ses responsabilités, qui les assume très clairement et qui les emporte avec elle. C’est précisément cela que j’espère retrouver en allant voter pour la première fois pour, je l’espère, faire entendre ma voix. » Comme pour près de 800.000 autres jeunes Belges, Max aussi votera pour la première fois lors des différents scrutins de 2024. Cette année électorale, marquée par les élections européennes, fédérales et régionales du 9 juin et provinciales et communales du 13 octobre est cruciale pour l’avenir du plat pays. Un peu stressé face à l’exercice de l’isoloir, le vingtenaire n’en est pas moins motivé à l’idée d’aller déposer ses bulletins de vote dans l’urne. « Le 9 juin, ce sera la première fois pour moi, mais je dois bien avouer que ma connaissance du monde politique belge actuel est encore très jeune. Je sais que j’ai encore pas mal de recherches à faire avant de fournir un vote éclairé, avant de réaliser un choix responsable. » En parallèle de cette ambition citoyenne, le jeune homme reconnaît qu’un manque de connaissances du monde politique et du fonctionnement institutionnel de la Belgique est palpable chez les jeunes de son âge. « Je trouve qu’il y a un manque d’éducation citoyenne et politique à l’école secondaire, mais aussi à l’université. Dans mon école secondaire, on a eu des cours portant sur les religions et toutes les autres matières de base, mais je trouve dommage que nous n’ayons pas eu de cours de politique qui, pour moi, est tout de même primordiale. Pour ce qui est du supérieur, je suis étudiant à l’ULB qui, a priori, est une université engagée et nulle part dans les cours de ma faculté, on ne va retrouver explicitement ce côté engagé. Mes amis et les jeunes qui m’entourent ont un vrai désintérêt pour la politique et je suis sûr que ce désintérêt est lié au manque de connaissances. C’est aussi peut-être lié à un système politique belge plus complexe que d’autres de prime abord, ce qui pourrait simplement être résolu par des cours en secondaire ou à l’université qui permettraient de comprendre comment fonctionne notre pays et comment fonctionne le jeu politique. » Et l’étudiant de poursuivre, « c’est grâce à mes parents et à l’éducation qu’ils m’ont donnée que je suis devenu la personne que je suis aujourd’hui. La politique a été souvent abordée, mais mes parents ont toujours tenu à ne pas trop m’influencer pour que je puisse faire mes propres choix, tout en faisant en sorte que ces choix soient le plus responsable possible. Ils ont toujours essayé de me donner des clefs de lecture pour comprendre mes engagements en discutant de sujets politiques pour que je puisse avoir un esprit critique. Cette approche est primordiale pour se faire un véritable avis politique. J’ai eu la chance que d’autres n’ont peut-être pas eue. C’est pourquoi je pense que l’école et l’université devraient être plus impliquées dans la formation de cet esprit critique. »

Ce constat, d’autres jeunes le partagent. Il était clairement exprimé lors de la soirée de rencontre intra-belge, organisée par le Forum des Jeunes dans le cadre de l’AJC Festival, entre trois ministres, Zakia Kattabi, Ministre fédérale du climat (Ecolo), Karine Lallieux (PS), ministre fédérale des pensions, Sven Gatz (Open VLD), ministre du budget et des finances de la Région de Bruxelles-Capitale, et un groupe de jeunes francophones, flamands et germanophones, âgés de 15 ans et plus. Lors d’un speed-dating politique, ces jeunes ont pu poser leurs questions et débattre avec les différents ministres présents. A la question posée par le facilitateur : « que pensez-vous de l’élargissement du vote à 16 ans lors des élections européennes ? »2, un jeune répond en direction de la ministre Kattabi : « C’est très bien que l’on ouvre le droit de vote à 16 ans. Ce n’est pas parce que l’on a moins de 18 ans qu’on est moins responsable que les majeurs. Le seul cours que nous avons eu en secondaire qui nous expliquait les bases de la politique belge, nous l’avons eu en fin de rhéto. Vous trouvez cela normal, madame la Ministre, que cela arrive aussi tard, alors que l’on donne un droit de vote à des personnes de 16 ans qui n’auront peut-être pas un bagage suffisant quand ils iront voter ? » Une illustration parfaite de l’état d’esprit qui régnait lors de cette rencontre jeune, engagée et politique. Pour Zoé Noël, chargée de projets au Forum des Jeunes et en charge de cette soirée de rencontre réalisée dans le cadre de la présidence belge du Conseil de l’Union européenne : « en vue des élections et durant toute l’année 2023, lorsque l’on a rencontré les jeunes pour préparer cette rencontre, très souvent, ils nous faisaient remarquer qu’ils étaient en manque d’informations par rapport aux scrutins qui s’annonçaient en 2024. On est clairement dans un contexte de méconnaissance, voire même parfois de méfiance des jeunes à l’égard du monde politique. On trouvait ça vraiment important de réaliser cette rencontre pour faire mieux comprendre quel est le rôle d’un politique et quel impact cela peut avoir sur son quotidien en tant que jeune. » A trois mois des élections, toucher un maximum de primo-votants dans le but de les informer au mieux avant le passage à l’isoloir ne sera pas tâche aisée pour les différentes associations en éducation permanente et pour les professeurs de Philosophie et Citoyenneté qui travaillent sur cette thématique. Pour Max, l’étudiant ulbiste de 20 ans, une solution pour pallier ce manque d’informations qui mène à un manque d’engagement et de méfiance pourrait être mis en place. « Déjà, je ne sais pas pour qui voter aux prochaines élections. Je trouve qu’aujourd’hui, le flou règne par rapport aux programmes des différents partis. Je pense qu’il faudrait avoir un endroit, un site, un journal peu importe où les citoyens pourraient avoir une idée claire et précise des thématiques que les partis défendent, souhaitent appliquer, mais peut-être aussi celles qu’ils délaissent. Si l’on propose aux citoyens une espèce de base de données de tout ce qui est important à retenir pour leur permettre d’aller plus loin dans leur réflexion, tout serait beaucoup plus simple. Mais il faudrait aussi évidemment que la fiabilité de ce système soit démontrée. J’aimerais vraiment avoir un endroit « safe », où je suis sûr de ce que je lis sur les priorités des différents partis. Ce serait, je pense, une première bonne étape pour qu’un cercle vertueux s’opère. Après, on en parle autour de nous, ça fait effet boule de neige et les gens peuvent s’impliquer davantage. » Mais, une pensée face au véritable défi démocratique traverse l’esprit du jeune homme : « En tant que politique et représentant du peuple, c’est très difficile de s’aligner sur les changements à réaliser, car on ne peut pas contenter tout le monde. Mais, en tant qu’étudiant, je suis plus que concerné par la précarité étudiante, ça me touche beaucoup. J’aimerais énormément que par mon vote cette forme de précarité soit prise à bras-le-corps par les politiques et qu’ils puissent tout mettre en oeuvre pour l’éradiquer. Car même dans une université comme l’ULB qu’on pourrait imaginer bien financée, on peut facilement constater que les ressources sont mal allouées et que la précarité étudiante est, malheureusement, encore bien présente sur le campus. » Et le primo-votant de conclure : « J’ai vraiment hâte d’aller voter, mais je souhaite vraiment une chose : que la politique actuelle soit démystifiée. »

Conclusion

Si le chiffre exact de jeunes primo-votants en manque d’informations est difficile à évaluer, la tendance suite à nos différentes prises de contacts avec ces jeunes va, elle et vous l’aurez compris, au renforcement de la méfiance de la jeunesse face au monde politique, ainsi que les acteurs et actrices qui le composent. Comme le disait Benjamin Biard dans les colonnes du précédent article consacré à l’histoire de l’extrême droite et de l’extrême gauche en Belgique3 : « Il est donc urgent de réenchanter la démocratie par une refonte du système démocratique. Multiplier les mécanismes plus participatifs pour dépoussiérer notre démocratie représentative serait une option. Des panels citoyens permettant de mettre côte à côte citoyens et politiques afin de mettre en avant une volonté plus large et partagée. Dans le cas contraire, s’il n’y a pas de réformes, cela renforce encore ce désamour, cette méfiance, ce fossé entre les citoyens et les élus et cela renforce de facto les extrêmes, de manière plus large. » Pour le chercheur au CRISP et spécialiste des extrêmes droites, ces solutions proposées peuvent permettre de rabibocher le lien d’ores et déjà distendu entre citoyens et politiques. Mais, parce qu’il y a un mais, le public visé par ce papier est un public jeune et primo- votant qui aura au moment du vote entre 16 ans et le début de la vingtaine et qui n’est donc pas rompu à l’exercice du vote. Est-ce que ces solutions permettraient de réenchanter leur rapport à la politique, à la démocratie ? A l’heure d’écrire ces lignes, aucune réponse ne peut être apportée. Cependant, si comme Max, des jeunes primo-votants (ou simplement votants) désirent connaître un endroit clair, précis et surtout fiable afin de se renseigner davantage dans le but de préparer au mieux l’exercice de l’isoloir, nous vous conseillons vivement de vous rendre sur le site www.ressourceselections.be, le guide complet pour informer les jeunes sur la démocratie et les élections. « Avec des élections à tous les niveaux de pouvoir, l’année 2024 sera déterminante pour notre démocratie. De plus, pour la première fois les jeunes de 16 et 17 ans pourront voter pour le Parlement européen. Mais comment ? Pourquoi ? Pour qui ? Est-ce vraiment nécessaire, voire utile ? Les jeunes et les professionnels de l’éducation sont en demande d’informations et de ressources fiables et de qualité. Des contenus informatifs existent et peuvent répondre à leurs besoins. Mais il n’existe pas d’espace où ils sont tous centralisés, ce qui peut empêcher les jeunes et les professionnels de l’éducation de s’informer et d’informer sur ces enjeux. »4 Un formidable outil que nous recommandons vivement aux jeunes (primo-votants) et moins jeunes, tout autant que la brochure « Voter, c’est décider ! » de Soralia5 : ce guide pour mieux comprendre les enjeux des élections a pour objectif de déconstruire quelques idées reçues autour des élections et de réaffirmer certains droits citoyens.

De son côté, la Laïcité ne reste pas les bras croisés à attendre que les élections arrivent. Le Mémorandum du Centre d’Action Laïque est disponible depuis le début de cette année sur le site https://memorandum2024.laicite.be. Il « présente les pistes de solutions et recommandations proposées par le Centre d’Action Laïque dans la perspective des élections du 9 juin 2024. Il illustre la manière dont le mouvement laïque souhaite que soient traduites les valeurs de liberté, d’égalité et de solidarité dans une série d’actions emblématiques. Il se veut être tant une invitation au dialogue qu’une interpellation des candidats et candidates aux élections de tous les partis démocratiques. Il se veut aussi être un moyen de sensibilisation des citoyens et citoyennes quant à leur capacité d’agir sur les décisions politiques. » Une action (laïque) qui ira même jusqu’à l’analyse complète des différents programmes des partis politiques au travers du prisme des 15 revendications phares du CAL et qui seront discutées lors de différentes tables rondes politiques pré-électorales, comme celle du 15 mai 2024 prochain à la ferme du Douaire à Ottignies-LLN6 en compagnie des candidats et candidates des listes de tous les partis en lice pour les élections fédérales du 9 juin prochain.

Espérons, grâce à ces différents canaux d’informations, que chaque primo-votant et de surcroît chaque citoyen pourra désormais réaliser un choix éclairé lors des différents scrutins qui s’annoncent.

 

Sources :

1 « Je viens d’être condamnée à mort. Je serai fusillée demain. Vive le roi. Vive la Belgique. Je leur montrerai comment une femme belge sait mourir. »
2 En Belgique, environ 270.000 mineurs âgés de 16 et de 17 ans pourront prendre part aux votes lors des élections européennes, sans inscription préalable et sans obligation non plus, à la différence de leurs aînés majeurs.
3 Article consultable dans les pages du CALepin 112 ou via le lien https://calepin.be/histoire-des-extremismes-politiques-en-belgique/
4 Explication de la raison d’être du site www.ressourceselections.be
5 Disponible en PDF sur le site https://www.soralia.be/accueil/brochure-voter-cest-decider/
6 Plus d’informations à venir sur le site calbw.be ou au sein des prochaines newsletters.

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