À la découverte des IPPJ

Annabelle Duaut

Mal connues du grand public ou médiatisées lors d’événements peu reluisants, les IPPJ (Institutions Publiques de Protection de la Jeunesse) qui accueillent des mineur·es délinquant·es sont pourtant des établissements nécessaires au bon fonctionnement de notre société et qui valent la peine qu’on s’y intéresse. Comment fonctionne ce type d’établissements ? Quels publics hébergent-ils ? Quelles sont leurs missions et spécificités ? L’équipe du CALepin vous en dit plus sur le sujet.

Selon l’ASBL Droits Quotidiens, « une institution publique de protection de la jeunesse (I.P.P.J.) est chargée d’accueillir certains mineurs délinquants, en vue de leur éducation et de leur réinsertion sociale. » Les mineur·es qui ont commis une infraction ne pouvant aller en prison, le·la juge de la jeunesse peut alors les « sanctionner » de différentes manières (réprimande, accompagnement psycho-social, hébergement en famille d’accueil ou en institution, travaux d’intérêt général, etc.). Iel peut décider, à certaines conditions (dangerosité de l’individu, risque de fugue ou de récidive, gravité des faits commis…) et en dernier recours, de les placer en IPPJ.

Lorsqu’un·e jeune a commis un fait répréhensible (autrement dit, un fait qui, s’il était commis par un·e adulte, serait qualifié d’infraction) tel qu’un crime, des coups et blessures, un vol (avec violence), des faits de moeurs, de l’assuétude etc., le Tribunal de la Jeunesse peut confier ce·tte jeune à une institution publique de protection de la jeunesse gérée par la Fédération Wallonie-Bruxelles, et ce, pendant une durée déterminée1. Cette IPPJ sera alors investie de la prise en charge pédagogique et éducative du·de la jeune. En effet, l’IPPJ vise à faire prendre conscience des actes qui ont conduit à la mesure de placement et à leurs éventuelles conséquences sur autrui. Il s’agit donc d’une démarche restauratrice envers la victime et la société. La finalité du placement en IPPJ est la réinsertion au sein du foyer familial, le retour vers le milieu scolaire ou professionnel mais aussi la revalorisation de l’image que le·la jeune a de lui·elle-même. Le·la Juge de la jeunesse peut placer un·e mineur·e en IPPJ à deux moments :

  • quand iel est arrêté·e et que le·la juge pense qu’iel a commis des délits graves, pour l’empêcher d’en commettre d’autres et en attendant que la police fasse son enquête. À ce moment-là, le·la jeune n’est pas encore jugé·e coupable, c’est une mesure provisoire.
  • au moment du jugement : cela se passe dans la salle du Tribunal de la Jeunesse. Le·la juge, le·la Procureur·e du Roi et le·la greffier·ère (secrétaire du tribunal) sont présent·es. C’est à ce moment-là que le·la juge va dire si le·la mineure est coupable ou non des faits qui lui sont reprochés.

En FWB, on compte actuellement six IPPJ qui offrent 246 places. Cinq d’entre elles sont réservées aux garçons (Braine-le-Château, Fraipont, Jumet, Saint-Hubert et Wauthier-Braine) et une aux filles (Saint-Servais). Une 7ème IPPJ, mixte celle-là, devrait normalement voir le jour en 2024 à Forest, en région bruxelloise. Elle s’implantera dans l’ancien internat Victor Horta et permettra d’accueillir 30 mineur·es (20 garçons et 10 filles). La ville de Saint-Hubert accueille en outre le CCMD, Centre Communautaire pour Mineurs Dessaisis2. Celui-ci assure la prise en charge simultanée de 12 jeunes hommes maximum, âgés de 16 à 23 ans, à l’égard desquels un jugement de dessaisissement a été prononcé3. Les jeunes sont placés là parce qu’ils font soit l’objet d’un mandat d’arrêt (détention préventive) soit d’une condamnation à une peine d’emprisonnement. A cet égard, le personnel accompagne les jeunes dans l’élaboration d’un projet individuel visant à favoriser leur réinsertion dans la société.

Il existe au sein de certaines IPPJ des places dites d’urgence, en plus de la capacité ordinaire de prise en charge, réservées à des jeunes ayant commis ou étant suspecté·es d’avoir commis des faits particulièrement graves (voir détails dans le tableau ci-dessus).

L’offre d’accueil varie d’une IPPJ à l’autre. Certaines (comme Jumet) ne possèdent que des sections en régime ouvert tandis que d’autres (à l’instar de Braine-le-Château et Saint-Hubert) ont uniquement des sections en régime fermé. Les autres institutions disposent d’une ou plusieurs sections ouvertes et d’une section en régime fermé.

Cependant, une nouvelle organisation de toutes les IPPJ est effective depuis 2021. Leurs actions sont désormais inscrites dans un « continuum éducatif » où le·la jeune peut bénéficier d’un trajet éducatif répondant à ses besoins d’insertion familiale et sociale. A cette fin, le nouveau régime limite les prises en charge aux trois types suivants : le diagnostic, l’éducation et l’intermède.

  • Les anciennes sections d’accueil sont ainsi remplacées par des « unités de diagnostic », qui hébergent le·la jeune pour une durée de 30 jours non renouvelable afin de procéder à une évaluation structurée des risques de récidive, des besoins, des forces et des facteurs de réceptivité du·de la jeune. Cette évaluation permettra de déterminer un plan d’intervention fixant les objectifs à atteindre par le·la jeune, et de proposer au tribunal de la jeunesse la mesure qui semble la plus adéquate. L’IPPJ pourra ainsi recommander au tribunal la prise en charge du·de la jeune dans une unité d’éducation, mais pourra aussi proposer une autre mesure moins privative de liberté, comme par exemple un accompagnement intensif du·de la jeune dans son milieu de vie. Ce diagnostic contribuera également à éclairer le tribunal sur la pertinence du recours à un éloignement en institution publique, qui doit rester une mesure subsidiaire.
  • En cas de prise en charge au sein d’une unité d’éducation, celle-ci hébergera le·la jeune pour une durée maximale de trois mois (renouvelable) afin de lui faire prendre conscience des actes qui ont conduit à la mesure d’éloignement et de leurs éventuelles conséquences sur autrui, tout en veillant à valoriser l’image du·de la jeune, à rechercher la solution la plus adaptée à sa situation et à veiller à ce que l’éloignement ne soit pas prolongé au-delà de la durée nécessaire. L’unité d’éducation « intra-muros » élabore, en régime ouvert ou fermé, un projet individuel visant la stabilisation comportementale, psychologique et affective préalable au retour du·de la jeune dans la société. L’unité d’éducation « extra-muros » élabore, en régime ouvert, un projet individuel d’accompagnement du·de la jeune dans un milieu scolaire ou semi-professionnel, qui consolide les acquis du projet réalisé intramuros ou qui pallie l’impossibilité momentanée de réaliser ce projet dans le milieu de vie du·de la jeune.
  • Enfin, le cas échéant, une unité d’intermède peut héberger pour une durée de 15 jours (renouvelable une fois) le·la jeune hébergé·e par une institution publique ou par un service agréé et dont le comportement violent nécessite un éloignement temporaire en vue de favoriser le maintien des liens avec les membres du personnel du service concerné.

Si les jeunes placé·es en régime ouvert voient leurs droits restreints (iels sont placé·es en dehors de leur famille), leur liberté de mouvement fait partie du dispositif pédagogique. Celleux vivant en régime fermé sont pour leur part privé·es de leur liberté au sens légal du terme4. Pour ces dernier·ères, le dispositif est adapté afin qu’iels ne puissent pas fuguer ou sortir selon leurs envies, ce qui implique des grilles aux fenêtres, des barrières infranchissables, des barbelés, des sas d’entrée, des fouilles…5

Depuis son arrivée en 1995 dans le secteur de l’Aide à la Jeunesse, Olivier Caucheteur, directeur de l’IPPJ de Jumet, a relevé de nombreux changements. Primo, « la FWB est très généreuse dans le nombre de travailleurs qu’elle met à disposition pour encadrer les jeunes en IPPJ. On peut désormais travailler le pédagogique et l’être humain. Avant, on dépendait de la Justice (fédéral) et le cadre était beaucoup moins important. Aujourd’hui, on compte 9 éducateurs – sans recenser les surveillants – pour une section de 11 jeunes. En régime fermé, c’est encore plus »6. Malgré les moyens ministériels qui ont été mis dans l’Aide à la Jeunesse, « on voit de plus en plus de jeunes dans des mal-être familiaux, qui se seraient retrouvés à la rue s’ils n’étaient pas en IPPJ », observe Olivier Caucheteur.

Un fonctionnement similaire aux SRG

L’an dernier, l’équipe du CALepin vous avait exposé longuement et avec précision le quotidien et parfois les difficultés de travail dans un SRG (Service Résidentiel Général) et un SRU (Service Résidentiel d’Urgence) qui accueillent des enfants et jeunes placé·es dont les parents ne sont pas aptes à s’occuper.

Fonctionnant 7j/7 et 24h/24, les IPPJ se composent d’une équipe de direction, d’une équipe psycho-médico- sociale (PMS), d’équipes éducatives, d’équipes de formateur ·ices-enseignant·es, d’équipes de surveillance, d’agents administratifs et de personnel technique et de cuisine. A Jumet, « tout ce petit monde représente près de 60 équivalents temps plein », indique Olivier Caucheteur, directeur de la structure. Au sein des six IPPJ existantes, « les projets éducatifs ont été harmonisés dans le sens où l’on a un continuum éducatif. Dans un premier temps, depuis janvier 2022, les jeunes passent pendant un mois par le SEVOR7, une unité d’évaluation et d’orientation (au sein de l’IPPJ de Saint-Hubert pour les garçons et de Saint-Servais pour les filles). Après ça, sur proposition de l’IPPJ concernée et sur décision du juge (c’est toujours lui qui décide) le jeune peut soit retourner en famille – accompagné en cela par une EMA (Equipe Mobile d’Accompagnement) –, soit être dirigé vers une autre IPPJ », conclut celui qui joue le rôle de véritable couteau suisse au sein de l’institution. Tout comme dans une institution lambda, « il peut y avoir des prolongations des mesures jusque 20 ans si le jeune en fait la demande ou sur décision du juge ».

L’affectation en régime fermé ou ouvert dépend de la gravité des faits commis par le·la jeune et du risque de récidive. Olivier Caucheteur s’explique : « si le SEVOR préconise par exemple de l’ouvert pour un ado, c’est qu’il y aura l’étape de faire confiance au jeune en espérant qu’il ne fugue pas. Si le jeune s’enfuit, le juge pourra en tirer des conséquences, sachant que la fugue n’est pas considérée comme un délit, même si elle est signalée à la police. » En outre, « si le jeune se complait dans la violence, on ne va pas proposer tout de suite un retour en famille et on aura plus tendance à proposer de le placer en régime fermé. »

Il semble évident – mais néanmoins nécessaire de rappeler – que seule une décision judicaire permet d’envoyer un·e mineur·e dans une institution publique de protection de la jeunesse8.

Lorsqu’un·e jeune entre en IPPJ, iel est accueilli·e par un·e membre de l’équipe éducative et a un entretien au plus tard dans les 24h qui suivent son entrée. Cet entretien vise notamment à clarifier les circonstances du placement ; informer le·la jeune des rapports dont iel fera l’objet ; fournir ou rappeler au·à la jeune les coordonnées de son avocat·e et l’informer de son droit de communiquer avec lui·elle ; l’informer de l’existence, de la mission et des coordonnées du·de la Délégué·e général·e aux droits de l’enfant, ainsi que des modalités selon lesquelles iel peut le·la saisir ; remettre et expliquer au·à la jeune le règlement des IPPJ. Si le·la jeune est placé·e pour une période de plus de 15 jours, iel a le droit de recevoir un enseignement adapté à ses besoins et aptitudes, afin de préparer une réintégration scolaire. Par ailleurs, le·la jeune qui reste en IPPJ pour une période de plus de 45 jours doit faire l’objet d’un rapport médico-psychologique établi par l’équipe pluridisciplinaire de l’institution. Ce rapport sera ensuite communiqué à la juridiction de la jeunesse dans les 75 jours après la date de la prise en charge et sera mis à jour une fois par trimestre. Si le·la jeune reste moins de 45 jours, iel doit faire l’objet d’un rapport d’observation ou d’orientation établi par la même équipe, et qui sera également transmis à la juridiction de la jeunesse dans les meilleurs délais.

Un système de liste d’attente

Afin de déterminer dans quelle IPPJ le·la jeune sera affecté·e, « les juges doivent en faire la demande à une cellule spéciale pour savoir s’il y a de la place. L’IPPJ n’a pas la main là-dessus », nous renseigne Olivier Caucheteur. « Comme nous ne sommes pas une prison, on ne peut pas être en surpopulation : le nombre de jeunes accueillis correspond au nombre de places disponibles. Si un juge veut par exemple une place en section fermée, tant mieux s’il y a une place dans ce type de section mais si ce n’est pas le cas, il doit l’inscrire sur une liste. » Au fil du temps, « le jeune remonte dans la liste et la cellule fait une proposition au juge. Il peut donc y avoir un décalage entre le moment où la place est demandée et le moment où la place est disponible. Parfois, la demande ne se justifie plus quand la place est libre car, par exemple, le jeune entre-temps se comporte mieux. » Le système n’est pas aussi simple qu’on l’imagine. « J’ai en tête l’exemple récent d’un MENA9 pour qui le juge avait demandé une place en section fermée. Comme il n’y avait pas de place dans ce type de section, le jeune a été placé en section extra-muros10 alors que son profil ne correspondait nullement au projet éducatif de l’extra-muros. Le jeune a fugué dans les cinq minutes où il était là. On ne peut refuser un cas que pour manque de place, le projet éducatif n’ayant rien à voir là-dedans. »

En termes de scolarité, les équipes des IPPJ font leur maximum pour assurer un enseignement « normal » aux jeunes placé·es en section ouverte au sein des institutions11. « Les deux-trois premières semaines du jeune ici servent à analyser sa scolarité. Au bout de quelques semaines, on voit vers quelle école on peut aller », développe Olivier Caucheteur. « Les journées des jeunes en IPPJ sont à peu près les mêmes que celles de jeunes lambdas : à 7h, les jeunes prennent le bus ou on les conduit à la gare et suivant les écoles ou le trajet ils reviennent à 17h. A Jumet, nous essayons de travailler au maximum avec les établissements de Charleroi, Nivelles et Namur, avec lesquels nous établissons des conventions. A la demande du·de la juge, nous essayons de trouver une école qui corresponde aux besoins du jeune, que ce soit dans le général, le spécialisé ou l’alternance (CEFA12). Parfois, les juges demandent à ce qu’un jeune originaire de Bruxelles soit scolarisé là-bas, ce qui peut représenter une source de tentations pour lui, notamment en termes de fugue. Nous essayons aussi que tous les jeunes de l’institution ne se retrouvent pas dans le même établissement. Si les jeunes ont un comportement correct ici et que ça se passe bien le week-end lors des retours en famille, on les voit finalement très peu dans l’institution. C’est une sorte d’internat +++ comme j’aime le dire. »

L’IPPJ, la dernière chance

A l’IPPJ de Jumet, « il y a deux sections de 11 garçons maximum ayant de 14 à 18 ans13 », précise Olivier Caucheteur, en fonction depuis septembre 2020. « Ici nous sommes sur des ordonnances de trois mois minimum, ce qui veut dire que le juge doit voir le jeune tous les trois mois mais certains jeunes sont déjà restés jusque trois ans », poursuit celui qui a travaillé près de 25 ans, notamment comme éducateur, à l’IPPJ de Wauthier- Braine. « On est à une moyenne de ‘séjour’ de six à neuf mois environ, à peu près comme dans toutes les IPPJ. » L’IPPJ de Jumet reçoit des jeunes venant de toute la FWB, sachant que la Flandre possède ses propres IPPJ. « Jumet est la plus petite et je dirais la plus familiale des IPPJ qui existent », développe celui qui a été embauché pour remettre de l’ordre au sein de l’institution. « C’est une IPPJ urbaine, ce qui veut dire que nous sommes entourés d’habitations et que les relations avec le voisinage doivent être bonnes. Si un incident survient, une réparation ou des excuses de la part du jeune doivent être faites. »

Au-delà des faits que le·la jeune aurait commis, l’équipe des IPPJ doit travailler avec la famille du·de la jeune en question. « On doit se poser les questions de ce qui s’y passe, comment y est l’ambiance, est-ce qu’un retour y est possible maintenant ou sera-t-il possible après », interroge notre interlocuteur. « Les éducateurs, avec l’aide de l’assistant social et du psychologue vont creuser le parcours du jeune – ou du moins ce qu’ils en savent – afin de répondre à ces différents points. »

A Jumet – et cela devrait normalement être le cas dans toutes les IPPJ -, les week-ends ne sont pas liés à des sanctions. « Il y a un système de sanctions pour les jeunes qui insultent, avec un travail de réflexion par exemple à mener sur ces points », indique le directeur. « Par contre, si on a un écho de la famille comme quoi le jeune sort par exemple fumer avec ses amis, nous allons retravailler cela avec lui et il n’aura peut-être pas son prochain week-end pour qu’on aille ensuite vers un mieux et que cela ait du sens. On travaille vraiment avec l’individu, même si l’IPPJ demeure une aide contrainte. » Angelo Gentile, chef de section à Jumet, ne peut que constater les bénéfices de l’accompagnement individuel qu’il réalise auprès des jeunes depuis quelques années. « On n’est plus dans de la sanction pure. On va plus loin pour aller chercher les forces et faiblesses du jeune, comprendre ses besoins, ses spécificités, le valoriser, établir un lien de confiance avec lui… On travaille aussi la remise en question. Il y a 3-4 ans, si on avait 50 % de fugues sur l’année, on trouvait ça normal. Avec l’accompagnement plus psychologique qu’on mène, les chiffres de fugues ont été divisés par quatre »14.

Qui sont ces jeunes ?

Après s’être intéressé aux différentes caractéristiques des IPPJ, il y a lieu de se pencher sur les jeunes elleux-mêmes. Qui sontiels ? Quelles relations entretiennent- iels avec l’école ? Dans quel environnement évoluent-iels ? C’est ce que nous allons essayer de savoir dans cette partie de notre dossier. Rappelons que les statistiques relatives aux jeunes pris·es en charge par les IPPJ et les EMA (Equipe Mobile d’Accompagnement), bien qu’elles reflètent une part réelle de la délinquance juvénile, ne sont en rien représentatives de l’ensemble de la délinquance juvénile en FWB et du traitement qui en est fait.

Selon les données récoltées par l’administration de l’Aide à la Jeunesse, la tranche d’âge 15 – 17 ans représentait 80 % des jeunes pris·es en charge entre 2015 et 201915. Si l’on exclut les données manquantes, on constate qu’environ un tiers des jeunes ne sont pas en possession du CEB. En 2019, 17 jeunes ont par ailleurs passé et réussi leur CEB en IPPJ, tandis que trois autres ont obtenu un autre certificat. « C’est très valorisant pour ces jeunes d’obtenir leur premier papier », explique Olivier Caucheteur. « C’est aussi une fierté pour les éducateurs ». En faisant de nouveau abstraction des données manquantes, on constate que la majorité des jeunes (41,32 % en 2019) sont en décrochage scolaire complet, tant chez les filles que chez les garçons, et ce à tout âge. A l’inverse, plus d’1/5ème sont des élèves régulier·ères.

Les faits le plus fréquemment mentionnés dans les décisions de placement sont des atteintes aux biens (25,64 % des mesures débutées en 2019), suivis des faits de l’usage et/ou de la vente des stupéfiants (19,82 %) et des vols avec violences et/ou menaces (15,67 %). En 2019, parmi les atteintes aux biens, les vols par effraction sont le plus fréquemment mentionnés (25,04 %), suivis des vols simples (20,87 %) et des dégradations (12,52 %). Dans les atteintes aux personnes (qui ne sont ni des vols avec violence et/ou menace, ni des atteintes sexuelles, ni des homicides ou tentatives d’homicide), le fait le plus fréquemment cité (81,02 %) est celui de « coups et blessures volontaires ». Parmi les atteintes sexuelles, 51,97 % sont qualifiées de viol. Parmi les « autres » types de faits, on retrouve principalement les menaces (30,77 %), la possession d’armes (13,23 %), le recel (11,38 %), la rébellion (10,77 %), l’association de malfaiteurs (7,69 %) et des infractions en matière de roulage (7,38 %). Les filles sont davantage concernées par des atteintes aux personnes (31,28 %) que les garçons (13,23 %). Les garçons sont quant à eux davantage concernés par les atteintes aux biens (27,14 %) et les vols avec violences ou menaces (17,20 %) que les filles (12,76 % et 2,47 %). Parmi les difficultés des jeunes elleux-mêmes, la plus souvent renseignée est un problème de comportement (mauvaises fréquentations, absence de remise en question et refus de l’autorité). Les autres difficultés du·de la jeune le plus fréquemment renseignées sont des problèmes d’assuétudes (consommation occasionnelle ou quotidienne de drogue douce ou dure) et des problèmes liés à la scolarité (absentéisme).

Des problématiques qui s’entrecroisent

Côté famille, il apparaît que la majorité des parents des jeunes pris·es en charge en IPPJ sont séparés ou divorcés (51,77 %), ou sont mariés ou concubins (26,51 %). Ces observations sont globalement stables d’année en année. La majorité des jeunes vivent par ailleurs chez leur mère, avec ou sans conjoint(e) (28,92 %) ou chez leurs deux parents (20,18 %)16. Si l’on exclut les situations où l’information est inconnue ou nonrenseignée, 54,93 % des pères sont « professionnellement actifs » contre 45,07 % qui sont « professionnellement inactifs ». Quant aux mères, 36,93 % des mères sont « professionnellement actives », contre 63,07 % qui sont « professionnellement inactives ». Parmi les problèmes personnels des parents, on retrouve principalement un problème de comportement du parent lui-même (violence, incompréhension et non-maîtrise du français) et l’absence d’un(des) parent(s) (décès, enfermement). Au sein des difficultés financières et matérielles, on trouve majoritairement des revenus insuffisants et des problèmes de logement. Parmi les problèmes relationnels entre adultes au sein de la famille, on retrouve principalement une séparation parentale conflictuelle mais aussi des conflits dans la famille élargie. En cas de violence intrafamiliale, la violence conjugale est la plus fréquemment renseignée.

Il est par ailleurs intéressant de noter que 550 jeunes parmi les 880 ayant fait l’objet d’une (ou de plusieurs) mesure(s) IPPJ en 2019 ont dans leur parcours un dossier en tant que mineur·es en danger ou en difficultés, soit 63 %. « Certains jeunes ont connu beaucoup de violence dans leur enfance et reproduisent le schéma familial, aussi chaotique soit-il. Ces jeunes doivent malheureusement être placés pour qu’on ait accès à leur famille et l’occasion de travailler certains problèmes, parce que ça n’a jamais pu être fait auparavant pour X ou Y raison. C’est plus complexe car on est dans de l’humain mais, avec certains, on y arrive », relativise Olivier Caucheteur. « Un de nos problèmes, c’est quand un jeune ne peut pas retourner en famille – par exemple pour des faits de moeurs – et qu’on veut le placer en autonomie (au sein d’une institution lambda NDLR) car il n’y a pas de place », regrette le directeur de Jumet. « Certains à la fin du mandat passent d’IPPJ en IPPJ et dans cet aspect le système institutionnel est assez maltraitant. »

Le post-institution

Afin de préparer ces jeunes à l’après-IPPJ, l’équipe de Jumet « sensibilise les jeunes au fait qu’une fois dehors, ils ne seront plus maternés comme ici, qu’ils devront prendre leurs responsabilités, que s’ils commettent à nouveau des délits, ce sera la case prison. On essaie de leur donner une image de la prison qui colle à la réalité (surpopulation, chambre partagée, enfermement, casier judiciaire, réinsertion difficile…) car il y a une vraie méconnaissance du système carcéral. Malheureusement, 18 ans, ça reste jeune pour être mature et la prison fait/fera partie du parcours de certains. Ce qu’on peut leur souhaiter à notre niveau, c’est que cette expérience soit la plus courte possible. » Et Angelo Gentile de compléter : « lors du dernier mois de placement, on met le focus sur le fait de recréer un réseau extérieur autour du jeune, comme avec une AMO17, les éducateurs de quartier… Les EMA18 prennent aussi le relais à ce moment-là pour assurer un suivi, mettre des objectifs en place. C’est plus sécurisant pour le jeune de sortir avec un appui extérieur. »

Et le directeur de rappeler la nécessité pour l’équipe éducative de rester à sa juste place. « On n’est pas des sauveurs. Il faut rester modeste. On aide le jeune, on apporte notre pierre à l’édifice mais si on s’investit trop on risque le burn-out car on ne connait pas tout le passif du jeune, ses mémoires traumatiques, ce qu’il a subi… Si on arrive à en ‘sauver’ 10-20 %, tant mieux (il n’existe pas de statistiques à ce niveau NDLR). Peutêtre que les autres on leur aura appris certaines choses. Mais ce n’est pas la majorité qui rappelle pour dire que maintenant ils ont trouvé un boulot et fondé une famille. »

Conclusion

Très peu connues du grand public, les IPPJ ont fait du chemin ces dernières années. Désormais, leurs équipes veulent démystifier ce qui s’y passe ainsi que leurs missions au quotidien qui ne consistent pas qu’à faire de la répression auprès des jeunes délinquant·es de notre pays, mais aussi à dénouer les noeuds complexes qui peuvent naître dans certaines familles, à assurer à ces jeunes une scolarité « normale »… Tout comme les éducateur·ices d’institutions classiques (SRG, SRU), celleux des IPPJ font montre d’une grande motivation et de détermination, au point que leur métier semble être une véritable vocation. Médiatisées lors d’événements exclusivement négatifs voire dramatiques (fugues, décès, faits divers), les IPPJ souhaitent aujourd’hui donner une image plus positive de leur travail et réalités mais également s’ouvrir davantage au monde extérieur lorsque cela est possible. Les changements de mentalités sont en cours au sein du personnel de ces institutions. A notre tour, en tant que citoyen·nes, de nous intéresser et de nous informer sur ce qui se joue entre ces murs où réside une partie de notre jeunesse. Et de mettre de côté les préjugés qu’on peut avoir sur ces jeunes qui ont grandi bien souvent dans la violence, la souffrance, et doivent s’efforcer de se reconstruire.

Sources

1 IPPJ Institutions publiques de protection de la jeunesse : Actualités du droit belge (actualitesdroitbelge.be)

2 Par « dessaisis », on entend les mineurs renvoyés par le·la juge de la jeunesse devant la justice des majeurs.

3 Lorsqu’un·e juge de la jeunesse estime que les délits commis par un mineur de plus de 16 ans sont extrêmement
graves, iel peut décider de se « dessaisir ». C’est alors le droit pénal pour adulte qui s’applique. Ces mineurs dépendent
du ministère de la Justice.

4 La privation de liberté s’entend de toute forme de détention, d’emprisonnement ou le placement d’une personne dans
un établissement public ou privé dont elle n’est pas autorisée à sortir à son gré, ordonnés par une autorité judiciaire,
administrative ou autre.

5 Analyse des arguments avancés par l’administration AM TM.pdf (droitdelajeunesse.be)

6 Propos recueillis lors d’une interview réalisée le 3 novembre 2022.

7 Projet éducatif provisoire des Unités d’Evaluation et d’Orientation (SEVOR)

8 Idem.

9 Mineur·e Etranger·ère Non Accompagné·e.

10 Section relevant du régime ouvert, où les jeunes sont libres de leurs déplacements.

11 Celleux présent·es en section fermée disposent d’un enseignement dispensé par les éducateur·trices-formateur·trices.

12 Centre d’Education et de Formation en Alternance.

13 Depuis le 1er mai 2019, les jeunes wallon·nes de moins de 14 ans ne peuvent plus être admi·es en IPPJ, sauf s’iels ont
gravement porté atteinte à la vie ou à la santé d’autrui et si leur comportement est particulièrement dangereux. Les
jeunes bruxellois·es entre 12 et 14 ans, elleux, peuvent toujours être admi·es en IPPJ, le décret ne s’appliquant pas
à elleux.

14 Propos recueillis lors d’une interview réalisée le 9 novembre 2022.

15 Source : Rapport statistique évolutif (2015-2019) relatif aux placements dans les institutions publiques de protection de
la jeunesse, septembre 2020.

16 Ces informations ont été récoltées au moment du début de la prise en charge.

17 Service d’Action en Milieu Ouvert. C’est un lieu d’accueil, d’écoute, d’information, d’orientation, de soutien et
d’accompagnement pour les jeunes de 0 à 22 ans et leur famille. Elle tente de remédier aux problèmes qui touchent les jeunes
dans leur quotidien.

18 Equipes mobiles d’accompagnement.

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