Mehdi Toukabri
Dans notre plat pays, depuis 2006, l’on peut se targuer d’une avancée démocratique et non des moindres : l’élargissement du droit de vote aux élections communales des étrangers non-européens résidant en Belgique depuis plus de 5 ans. Constat : les foules ne se bousculent pas aux portes des communes pour s’y inscrire. Même constat au niveau des étrangers disposant d’une nationalité d’un des pays de l’Union Européenne et résidant en Belgique qui eux, ont pu voter aux élections européennes du 9 juin et qui auront la possibilité de déposer un bulletin lors des élections communales du 13 octobre. A l’approche du scrutin communal, certaines associations comme le Centre Régional d’Intégration (CRIBW) en Brabant wallon oeuvrent pour informer et sensibiliser les non-Belges à leur droit.
Interview de Patrick Monjoie, directeur du CRIBW.
MT : Contexte : je suis un jeune homme de 30 ans ayant grandi en Tunisie. Je vis et travaille en Belgique depuis 5 ans. Ai-je le droit de voter aux élections en Belgique ?
PM : En tant que personne étrangère, non-européenne et donc n’ayant pas la nationalité belge ou la double-nationalité, il est uniquement possible de voter pour les élections communales. C’est le seul niveau de pouvoir auquel la personne a accès. Mais, il y a une procédure à suivre : il faut s’identifier auprès de sa commune de résidence afin de suivre une procédure pour être inscrit sur la liste des électeurs. Un citoyen belge, lui, est par défaut rajouté à cette liste d’électeurs le jour de son 18ème anniversaire. Pour les citoyens non-européens, comme dans votre cas, il faut demander à intégrer cette liste. En ce qui concerne les citoyens européens, ils peuvent voter en Belgique pour les élections européennes pour des représentants de leur pays. Le vote se passe en général à l’ambassade ou au consulat du pays en question. Prenons un cas de figure brabançon « classique » : un français qui vit en Brabant wallon. Il va pouvoir accéder aux élections européennes, mais pour pouvoir accéder aux élections communales, il va devoir, lui aussi, rentrer un document d’inscription pour faire partie de la liste des électeurs, comme c’est le cas pour les non-européens.
MT : Nous sommes dans un autre cas de figure où en tant que Tunisien résidant en Belgique, je parle le français. Mais si je ne parle pas une des trois langues nationales, puis-je tout de même voter aux élections communales ?
PM : La question de la langue au moment du vote n’a pas lieu d’être. Lorsque j’entre dans l’isoloir, les choses ne se font pas dans l’oralité, mais bien à l’écrit. Effectivement, si l’on est une personne étrangère, complètement analphabète pour qui la lecture et l’écriture sont des choses extrêmement complexes, alors, au CRIBW ou avec d’autres associations, une aide active peut effectivement être mise en place. Les personnes analphabètes sont en général extrêmement débrouillardes et je peux vous donner l’exemple d’une personne analphabète qui a réussi son permis de conduire. Donc, mettre en place des systèmes pour aller voter, même sans parler la langue est tout à fait envisageable. Cela dit lorsqu’on est dans l’isoloir, de tout façon, on est seul. On ne pourra jamais avoir un interprète avec nous. Mais, avoir préparé, au préalable, un petit copion que l’on sort de sa poche au moment de noircir les cases pour tel candidat ou telle liste reste autorisé et valable, tant qu’on ne le laisse pas dans le bulletin de vote. D’ailleurs, beaucoup de Belges le font. La question de parler ou non le français ou une des deux autres langues nationales, ne rentre clairement pas en ligne de compte pour prétendre au droit de vote lors des élections. Cependant, cela reste tout de même un préalable car il va falloir remplir un document d’inscription qu’il faudra aller déposer à la commune. Comprendre de quoi retourne ce document, rédigé dans l’une des trois langues nationales belges et qui ne sera pas fourni par exemple en anglais ou en arabe est fondamental. C’est là qu’une structure comme le Centre Régional d’Intégration en Brabant Wallon (CRIBW) – et il y en a d’autres évidemment – prend le temps d’analyser avec la personne étrangère le document et lui expliquer ce qui s’y trouve. C’est assez simple à remplir. Tout ce qui est demandé est le nom, le prénom et le numéro de registre national, de signer le document afin d’approuver la demande de faire partie de la liste des électeurs. C’est également le service de première ligne du CRIBW qui se charge d’aider les étrangers désirant voter à bien comprendre la loi électorale ou encore la convocation, toutes deux reçues à domicile, qui confirment bel et bien leur inscription comme électeurs. Finalement, et vous l’aurez compris, l’oralité n’est pas demandée pour devenir électeur. Tout ce qui est demandé, c’est de comprendre pourquoi on souhaite voter et de savoir pour qui on va voter.
MT : Le CRIBW est également compétent pour l’accompagnement des personnes étrangères en parcours d’intégration. Le vote au niveau communal, par exemple peut-il être un facteur déterminant pour acquérir la nationalité belge ?
PM : Lorsque la personne étrangère a un séjour ininterrompu de 5 ans sur le territoire belge, elle peut demander, si elle le souhaite, la nationalité belge. A ce moment-là, le code de la nationalité, qui est une loi, prévoit un ensemble de critères. Il faut donc fournir des documents : un contrat de travail, un diplôme dispensé par une structure d’enseignement belge ou encore l’attestation du parcours d’intégration. Ceux que je viens de citer, sont les plus importants et ne demandent pas nécessairement d’en ajouter d’autres. Mais, au plus le candidat fournit de documents au Procureur du Roi, compétent pour délivrer ou pas la nationalité belge, au plus la personne peut prouver son intégration au sein de son espace social, financier, relationnel, etc. Il est vrai qu’ici au CRIBW, nous disons aux candidats à la nationalité qui passent la porte de notre structure que le vote au niveau communal est très important. Pour cette année 2024, qui est très particulière car plusieurs scrutins viennent ponctuer différents moments de l’année, nous disons à ces personnes : « Inscrivez-vous sur les listes. Parce qu’au moment où vous serez inscrits sur les listes électorales, la convocation pour aller voter est un document supplémentaire que vous pouvez adjoindre à votre dossier de candidature à la naturalisation. » Et ce dossier, une fois complet, est à déposer à la commune, moyennant paiement des 150€ de droits d’enregistrement, pour que celui-ci puisse être analysé par le Procureur du Roi et espérer recevoir le fameux sésame : la nationalité belge. Le CRIBW vient, en amont de l’envoi, également en aide aux candidats en leur donnant des conseils sur la meilleure façon de constituer le dossier. Il est vrai que s’inscrire comme électeur, c’est montrer à un Procureur du Roi qu’en tant que citoyen étranger, le candidat souhaite, par le vote, s’investir sur le territoire belge. On peut dire sans détour que c’est quelque chose de tout à fait positif. Malheureusement, le seul critère du vote n’est pas, comme je le disais, un facteur déterminant pour obtenir la nationalité belge. Ce sera plutôt la question de l’emploi qui sera étudiée, ainsi que le parcours d’intégration qui feront pencher la balance. Si le candidat a travaillé de manière ininterrompue le bon nombre de jours (468 jours ou 6 trimestres comme indépendant au cours des 5 dernières années, NDLR) et qu’il a suivi le parcours d’intégration, c’est-à-dire, avoir rencontré le CRIBW, avoir suivi des formations à la citoyenneté, avoir eu un accompagnement à l’insertion socio-professionnelle et avoir obtenu l’attestation finale du parcours, tout autant que de parler une des trois langues nationales, à ce moment-là, la nationalité est, dans beaucoup de cas, octroyée. Donc, être électeur au niveau communal, c’est un plus.
MT : Qu’est-ce qui est mis en place par le CRIBW pour informer et sensibiliser les non-Belges à leur droit de vote ?
PM : Avec l’ensemble des 8 centres d’intégration répartis en région wallonne, nous avons réalisé une série de documents1 pour informer et sensibiliser les étrangers désireux de prendre part au vote au niveau communal. Nous avons contacté l’Union des Villes et des Communes de Wallonie (UVCW), par la voix de notre Ministre, pour demander que l’information percole vers les communes. Nous sommes également allés déposer des flyers dans les communes, etc. Donc, on essaie au maximum de diffuser l’information. Il faut constater aujourd’hui qu’il y a, spontanément, peu de personnes étrangères qui viennent nous voir pour recevoir des informations relatives au droit de vote. Mais, cela ne veut pas dire qu’il y a peu de personnes étrangères qui s’inscrivent sur les listes d’électeurs2. Ma lecture des choses, c’est qu’en fait cette démarche s’adresse à des personnes qui ont déjà une maîtrise du français, qui ont déjà une certaine sensibilité à la question politique dans le sens le plus positif du terme, c’est-à-dire de pouvoir participer aux décisions de la cité. Finalement, ces personnes-là sont parfaitement autonomes. Elles ont déjà tous les outils pour pouvoir s’inscrire sans avoir besoin d’un accompagnement social en plus. Nous, au CRIBW, on passe l’information, mais force est de constater que peu de personnes interpellent nos collègues sur cette question.
MT : Finalement, être dans la situation des étrangers non-Belges UE ou hors-UE est très similaire à celle de pays où le droit de vote n’est pas obligatoire, c’est-à-dire qu’il faut s’inscrire sur les listes électorales pour effectivement voter.
PM : Tout à fait. Un Français, je prends cet exemple car ils sont le plus représentés en Brabant wallon, s’il n’est pas déjà votant dans son propre pays, ne verra peut-être pas l’intérêt de devenir électeur dans sa commune belge de résidence. Par contre, si ce sont déjà des électeurs dans leur pays, en déposant leurs valises en Belgique, ils voudront participer aux décisions de leur commune, car ils sont déjà, d’une certaine façon, sensibilisés à la chose politique et s’inscriront sur les listes électorales communales belges. C’est la même chose avec des ressortissants d’autres pays. Et puis, il faut aussi souligner que le rapport au vote est très différent par rapport au pays d’origine. Par exemple, certaines personnes fuient des pays car les régimes y sont autoritaires, où le vote n’existe plus ou est un simulacre, où le pouvoir se passe de personnes en personnes ou de putsch en putsch. Donc, où il n’y a plus d’espace d’expression pour un vote démocratique et conscient pour ces personnes. Là, il y a un travail de sensibilisation qui peut être réalisé, mais qui n’est pas nécessairement fait par le CRIBW, car nous sommes moins longtemps en contact avec ce genre de publics. A la différence d’une structure qui va apprendre le français pendant plus de 400 heures à ce type de public, elle, va pouvoir par exemple beaucoup plus sensibiliser et informer ces personnes sur l’importance du vote. Information et sensibilisation que nous pouvons, là, soutenir via les outils que nous avons mis en place. Je pense notamment à l’ASBL Génération Espoir qui a proposé à la fin du mois de mai une conférence à destination des personnes ayant reçu leur nationalité belge depuis moins de 5 ans et ayant besoin d’informations sur le vote, et où le CRIBW a fourni, comme je vous le disais, le matériel nécessaire afin de construire la conférence. Finalement, dans ce contexte électoral, le CRIBW est là pour soutenir les associations de 1ère ligne directement en contact avec les personnes étrangères.
Du côté du CAL : Au sein de son Mémorandum édité pour les élections communales et provinciales de 20183, le Centre d’Action Laïque écrivait dans la partie consacrée au vote des étrangers :
- D’inciter les non-Belges à s’inscrire sur les listes électorales et prévoir une information complète, à jour et multilingue, au sujet des modalités et échéances de vote, des compétences et enjeux locaux ainsi que du fonctionnement du système institutionnel belge ;
- De faciliter les procédures d’inscription et de prévoir la possibilité de s’inscrire en ligne sur la liste des électeurs.
Sources :
1 Afin d’expliquer les tenants et aboutissants des élections communales, les Centres Régionaux d’Intégration ont élaboré un document reprenant toutes les informations utiles aux personnes étrangères désireuses d’en savoir plus et de prendre part au scrutin. Ce document, appelé ‘Passeport de l’électeur’, se veut un guide pratique pour les élections communales. Il est édité dans différentes langues afin que chacun puisse appréhender au mieux les enjeux que ces élections revêtent. Disponible à l’adresse : https://www.cribw.be/elections-2024/
2 Le 31 juillet 2024 sera la date limite d’inscription pour les non-Belges sur les listes électorales communales. Plus de précisions quant aux chiffres seront apportées sur la version web de l’article qui sera disponible sur www.calepin.be
3 A l’heure d’écrire ces lignes, le Mémorandum propre aux élections communales et provinciales de 2024 du CAL n’est pas encore disponible. L’article actualisé sera consultable sur le site www.calepin.be.