Les dernières élections régionales et fédérales belges de 2019 l’ont plus que démontré : en additionnant les votes blancs ou nuls et les non-votants, près d’1,4 millions d’électeurs n’ont pas choisi de parti. Cela représente 17% de l’électorat[1] en âge de voter. Face à cette réalité, un constat : comme d’autres États du vieux continent, la Belgique est en proie à une profonde crise de la démocratie représentative[2]. Sur fond de pandémie mondiale de coronavirus, de montée des extrêmes et contre toute attente, c’est dans ce contexte de méfiance à l’égard de nos représentants que naissent réflexions, initiatives et mécanismes institutionnels embrassant une réelle participation citoyenne. Focus sur les raisons de cette méfiance du peuple envers nos élus ainsi que sur les solutions mises en place pour que le citoyen retrouve une place au sein des cercles de décisions politiques.
Le 1er octobre 2020, La Belgique a poussé un « ouf » de soulagement. Après plus de 653 jours (donc 1 an, 9 mois et 14 jours) sans gouvernement fédéral de plein exercice, le vaisseau Vivaldi[3], avec à sa tête Alexander De Croo, largue les amarres, prête serment devant le Roi et entreprend un voyage gouvernemental qui ne se faisait plus attendre. A son bord, 7 partis : PS, MR, Ecolo, Open VLD, sp.a, Groen! et le CD&V. Une composition partisane plurielle inédite dans l’histoire du plat pays[4]. En effet, afin de pouvoir prétendre à une légitimité politique, mais surtout démocratique, le gouvernement fédéral se doit, par tradition, d’être « majoritaire ». C’est-à-dire que les partis se retrouvant au sein de la coalition exécutive fraîchement formée doivent récolter plus de la moitié des sièges à la Chambre des Représentants[5]. 494 jours auront été nécessaires aux différents partis autour de la table des négociations afin de se mettre d’accord autour d’une note de gouvernement[6] et de récolter une courte majorité de 87 sièges sur les 150 à la Chambre. Belgique souffle, Vivaldi gouverne, mais sont les citoyens réellement représentés ?
Gouvernement fédéral à la recherche de confiance citoyenne
« Le maître mot de ce gouvernement est la confiance ». Les mots du nouveau Premier Ministre, le libéral Alexander De Croo (Open-VLD), se veulent rassurant aux premiers abords dans un pays où multipartisme et consensus sont rois. Cependant, à y regarder d’un peu plus près, les partis embarqués au sein de la Vivaldi ne sont pas forcément les grands vainqueurs des dernières élections. En effet, en terme de nombre de sièges récoltés à la Chambre, ce sont les nationalistes flamands de la N-VA qui ont récolté le plus de sièges (25), suivi du Parti Socialiste (20). La médaille de bronze est décernée au parti flamand d’extrême-droite, le Vlaams Belang, ayant récolté pas moins de 18 sièges. Quant au parti du Premier ministre De Croo, l’Open-VLD, celui-ci se retrouve à la sixième place du classement avec 12 sièges[7], ex æquo avec les chrétiens-démocrates flamands du CD&V et le groupe de gauche radicale bilingue communiste du PTB-PVDA. Politiquement, le choix du locataire du 16 rue de la Loi, en la personne de Alexander De Croo, se comprend. Dans une Belgique en proie à de véritables crises économiques, sociales, communautaires et sanitaires où près d’un flamand sur trois a voté pour un parti à tendance séparatiste (N-VA ou Vlaams Belang)[8], où les flamands sont minoritaires au sein de la coalition Vivaldi et où la polarisation vers les extrêmes de gauche (au sud du pays) comme de droite (au nord du pays), un personnage politique flamand, expérimenté, bilingue et rassembleur était une véritable nécessité. En terme de représentation démocratique et de confiance des citoyens envers le gouvernement Vivaldi[9], on repassera.
« Mal aimé, je suis le mal aimé », un refrain législatif belge ?
Les pouvoirs législatifs belges ne sont d’ailleurs pas non plus épargnés par cette méfiance citoyenne. « On le sait. Les chiffres du désamour entre les citoyens et les politiques en général sont terribles », explique Anne-Emmanuelle Bourgaux, constitutionnaliste à l’Université de Mons et Professeure de droit public à l’École de droit UMONS-ULB. « De fait, les élus sont clairement pris entre deux feux. D’une part, les parlementaires sont écrasés par une exécutivisation[10] toujours plus grande et gourmande de l’État. D’autre part, ces mêmes parlementaires sont boudés par les représentés, les citoyens qui se sentent incompris et oubliés. » Pour la constitutionnaliste, cette situation amène une forme de décrochage législatif envers la montée en puissance des exécutifs au détriment du « check and balances »[11], mais également un éloignement de plus en plus palpable des parlementaires de leurs bases électorales. Une distanciation qui cristallise précisément le cœur de cette crise de la représentativité. « Ce que nous apprend cette crise, c’est que les représentants sont comme résignés à ce que les exécutifs les contournent[12]. Les citoyens sont totalement indifférents à ce contournement. On n’a absolument pas mal à nos parlementaires. Cette désinvolture, c’est une situation dramatique. Car dans la démocratie représentative qui est la nôtre, ce sont les parlementaires qui sont censés être nos représentants, nos porte-voix. Donc, contourner nos parlementaires, c’est nous contourner directement. Mais, on est à un tel stade de désamour et de délitement de la relation, d’éloignement et de distanciation, qu’il nous est impossible de le ressentir comme quelque chose de négatif », conclut Anne-Emmanuelle Bourgaux. Pour Lucien Rigaux, assistant en droit constitutionnel à l’ULB, la démocratie représentative belge à la proportionnelle remplit sa fonction principale de représentativité : « En Belgique, les partis doivent se mettre d’accord, doivent faire des compromis. Les négociations prennent peut-être plus de temps, mais plus de partis se retrouvent en coalition au sein d’un gouvernement, comme c’est le cas actuellement. Donc, on peut dire que, même si c’est peut-être plus compliqué, cette situation est plus démocratique, car plus de citoyens se retrouvent représentés suite à leurs votes. » Et d’ajouter : « Démocratiquement, le poids des partis politiques est le poids qui représente le vote des citoyens. Il est vrai que le rôle des partis politiques est de plus en plus important. Il est vrai que le fonctionnement des partis politique est encore trop opaque et pas assez contrôlé, par exemple par la méthode de financement de ceux-ci. Mais, la réalité est que les citoyens votent pour des députés qui appartiennent à des partis et ces députés représentent le choix des citoyens à la Chambre. » Pour lui, les pouvoirs exécutifs ne prennent pas plus de place que les pouvoirs législatifs. Ces pouvoirs ont en fait été transférés dans les mains des partis politiques. Finalement, « un député doit aujourd’hui obéir à son parti politique, même si il continue à être vigilent et à observer les actions du gouvernement », conclut-il.
Recoller les morceaux entre citoyens et politique : un même combat, plusieurs méthodes
Que les citoyens tournent le dos aux parlementaires ou bien que les partis politiques fassent cavaliers seuls en terme de décisions politiques, le résultat reste le même : près de 4 belges sur dix ne font pas du tout confiance au politique[13]. Pour faire face à cette réalité indéniable, une seule solution : réinventer notre démocratie représentative en rapprochant le citoyen des cercles de décisions. Pour cela, plusieurs méthodes ont été élaborées. Toutes pensées différemment, mais avec deux particularités communes : le tirage au sort citoyen et un rapport exigu avec le Parlement d’une des entités fédérées/fédérales.
Le dialogue citoyen permanent en Communauté germanophone de Belgique
La Belgique de l’Est[14] se démarque allégrement en terme de démocratie participative et délibérative. C’est, par ailleurs, le seul modèle déjà bien installé. En effet, « en février 2019, la Communauté germanophone a institué (NDLR : par décret…) une délibération citoyenne permanente (…), baptisée « dialogue citoyen permanent » (« permanenter Bürgerdialog ») et est déjà connu à l’international sous le titre d’« Ostbelgien Modell ». »[15]
Anna Stuers est la secrétaire permanente du dialogue citoyen permanent. Elle est donc employée par le Parlement de la Communauté germanophone. Ses tâches principales concernent l’accompagnement et le bon déroulement de ce dialogue citoyen. « C’est le Parlement de la Communauté germanophone qui a lancé cette initiative. Donc, l’idée de ce dialogue citoyen vient du monde politique », commence-t-elle. Concrètement, ce modèle de dialogue citoyen comprend deux organes. « Tout d’abord, il y a l’assemblée citoyenne. C’est tout simple et cela existe déjà un peu partout dans le monde. Ce sont des citoyens qui se rassemblent pour s’informer sur un sujet particulier, pour ensuite en discuter et pour finalement formuler des recommandations adressées au monde politique. (NDLR : cette assemblée citoyenne est tirée au sort.) En parallèle de cette assemblée citoyenne, il existe le conseil citoyen. C’est en ce conseil que réside l’aspect profondément innovant. Le conseil est composé de 24 citoyens tirés au sort. Ce sont eux qui prennent toutes les décisions et qui organisent toutes la procédure. Par exemple, ce sont eux qui choisissent le thème de discussion », explique-t-elle. « Au terme des délibérations, les recommandations émises sont discutées de façon conjointe entre les membres de l’assemblée citoyenne et les responsables politiques germanophones concernés. En principe, ces recommandations donnent ensuite lieu à des mesures adoptées par le Parlement ou par le gouvernement de la Communauté germanophone. »[16] Ce modèle instauré dans les cantons de l’Est[17] « se distingue à trois égards : par son lien étroit (quasi institutionnel) avec une assemblée législative, par son caractère permanent et par sa conception combinant deux types d’instance ».[18] Pour la secrétaire Stuers, le dialogue citoyen permanent est une façon préventive de répondre à cette crise de la démocratie représentative, tout aussi palpable dans les Cantons de l’Est. « Le grand but de ce modèle est de surtout renforcer la démocratie en quelque sorte. C’est pour ça que les politiciens à la manœuvre ont décidé d’institutionnaliser ce modèle. Donc, le conseil des citoyens est réellement permanent et se place en parallèle du Parlement. Ce conseil ne va pas absolument pas remplacer ni le Parlement, ni les députés. Ce sont eux qui gardent le dernier mot. Le conseil va, comme son nom l’indique, « conseiller » les parlementaires à travers les recommandations formulées », conclut-elle.
La commission délibérative « mixte » en Région Bruxelles-Capitale
La Région Bruxelles-Capitale se démarque elle aussi par sa façon de repenser la démocratie représentative actuelle. A l’instar de la Communauté germanophone, démocratie participative et délibérative seront les clefs de voûte de ce remaniement du processus décisionnel bruxellois. En décembre 2019, une majorité de parlementaires régionaux ont soutenu une proposition de décret encadrant la création de commissions mixtes, réunissant élus et citoyens au sein du Parlement régional bruxellois. Et c’est d’ailleurs en faisant le choix d’inclure directement les citoyens au processus législatif que Bruxelles innove.
Présidente de la Cocof et députée Ecolo bruxelloise, Magalie Plovie travaille sur les sujets de démocratie depuis son entrée en politique. Pour elle, il est indispensable de revoir la place du citoyen au sein de l’hémicycle. « Des choses me posait question lorsque j’ai été élue au Parlement. Je trouvais que c’était plutôt des prises de position individuelle des députés, plutôt qu’une discussion avec le citoyen afin d’avancer ensemble pour réaliser une politique commune. Donc, un processus trop cadré avec peu de possibilités de dialogue entre élus et citoyens. C’est à la suite d’échos de tests positifs réalisés dans d’autres pays, comme en Irlande (NDLR : G1000, de l’Irlande, de l’Australie, du Canada) que je me suis dit qu’il fallait absolument changer notre propre fonctionnement, ici à Bruxelles. » C’est en 2017 qu’une première proposition de décret pour plus de démocratie citoyenne est déposée au parlement par la députée. Texte non-amendé dans un premier temps, mais qui a tout de même abouti entre les mains du Conseil d’État, section législation. « Pour le Conseil d’Etat, on avait été trop loin, car on accordait le même pouvoir décisionnel aux citoyens qu’aux députés. A cause des limites de la Constitution, on ne peut tout simplement pas mettre sur un pied d’égalité des citoyens tirés au sort et des députés », raconte-t-elle. 2019 sera donc l’année où le Règlement d’Ordre Intérieur du Parlement bruxellois sera revu. Une nouvelle commission est donc créée où des citoyens tirés au sort (45) siègeront côte à côte avec des députés (15) afin de débattre d’un sujet précis. « On a donc une sorte de commission mixte, mais on l’appelle délibérative car elle est axée sur la délibération », embraie-t-elle. Le sujet de débat sera choisi soit par le Parlement, soit par 1000 citoyens. « Mais cent signatures suffisent pour que la thématique soit postée sur le site internet du Parlement afin de récolter les 900 restantes. » Les députés statuent en séance plénière pour les thématiques proposées par les citoyennes. Cependant, « Trois critères de recevabilité ont été définis: il doit s’agir d’une question relative aux compétences régionales (ou de la Cocom et de la Cocof), qui n’est pas offensante ni contraire aux droits et libertés fondamentaux, et à laquelle on ne peut pas répondre par oui ou non (pour éviter les référendums déguisés).»[19] Et même si le Parlement peut rejeter la demande, « une obligation de transparence, de rendre des comptes aux citoyens et de motivation est imposée aux députés », conclut Magali Plovie. Il est important de souligner que cette commission délibérative ne produira que des recommandations. Elle sera donc non-contraignante et laissera toujours le dernier mot aux Parlementaires.
La commission du Renouveau démocratique et Citoyenneté au Sénat
Depuis la sixième réforme de l’État de 2014, le Sénat a vu ses prérogatives réduite. Malgré cela, l’ancienne chambre haute du parlement demeure toujours aujourd’hui une entité de réflexion. C’est dans cette lignée réflexive que certains sénateurs et sénatrices ont décidé d’amener la question du renouveau démocratique à l’agenda sénatorial. Une première en Belgique.
Farida Tahar est députée Ecolo au Parlement bruxellois et sénatrice. C’est également la présidente de la nouvelle commission « Renouveau démocratique et Citoyenneté » dont les débats ont débuté en juillet 2020. « Je crois qu’on fait tous et toutes le constat que notre démocratie est en crise. Cette démocratie est représentative, mais ne représente peut-être pas toujours les voix des citoyens dans leur ensemble. Il ne faut pas remplacer la démocratie représentative, mais surtout la parfaire, la compléter. Pour cela il faut se poser une question : comment impliquer plus le citoyen activement dans la prise de décision ? Tout simplement en apposant participation et délibération à la représentation. » Depuis septembre 2019, des sénateurs et sénatrices ont appelé à réfléchir à de nouveau mécanismes de démocratie et de participation citoyenne. Suite à cela, une quinzaine d’experts issus de toute la Belgique ont été entendu au Sénat. Et même si des recommandations ont pu être soulignées et formulées, « il faudrait une révision de la Constitution afin de transformer le Sénat en assemblée citoyenne tirée au sort », explique la présidente de la commission. « Ce que je souhaite également changer en tant que présidente de cette commission, c’est le Règlement d’Ordre Intérieur du Sénat. Actuellement, le ROI du Sénat permet aux citoyens d’assister aux commissions en cours, mais ne permet pas à ces mêmes-citoyens d’intervenir lors des débats. Ce qui est paradoxal au sein d’une commission dédiée au renouveau démocratique allant vers plus de participation citoyenne », déplore Farida Tahar et de conclure : « Ces réflexions sur le renouveau démocratique du Sénat ne dépendent pas uniquement des désidératas des sénatrices et sénateurs, mais bel et bien également des citoyens. J’ai, mais également beaucoup de mes collègues, été sollicité pour aller dans ce sens. Le public est présent durant les débats et ce n’est pas moi qui envoie des invitations. Actuellement, nous en sommes à un stade embryonnaire, pour être sincère. Mais, tout l’enjeu est de dépasser ce stade de cooptation (NDLR : A la différence des députés de la Chambre de représentants, élus de manière directe, une partie des sénateurs sont cooptées, donc désignés de manière indirecte. Au départ, il s’agissait pour le Sénat de s’adjoindre des experts qu’il trouvait méritants. La cooptation est devenue ensuite une sorte voie de rattrapage pour les candidats malheureux au suffrage direct) qui peut paraître anti-démocratique, pour qu’un jour nous ayons une Chambre où siègent des citoyens tirés au sort. »
Le Parlement citoyen
En parallèle des ambitions de réformes institutionnelles portées à bout de bras par une poignée de politiciens, des citoyens désirent également amener leurs pierres à l’édifice démocratique participatif. C’est d’ailleurs ce qu’ambitionne le Parlement citoyen en combinant démocratie citoyenne à travers le tirage au sort et l’urgence climatique.
Youna Marette est une étudiante bruxelloise de 19 ans et est la représentante du Parlement citoyen. « Le parlement citoyen est une initiative qui a été lancée par une vingtaine de bruxellois. Ce mouvement souhaite pointer du doigt deux problèmes qui se posent aujourd’hui au sein de la politique belge. D’abord, une crise démocratique. C’est le manque de confiance des citoyens envers les politiciens. Et ensuite, parallèlement à cela, la crise écologique. Une réalité qui n’est pas du tout prise en compte par les politiciens belges. » Le Parlement citoyen va donc placer les citoyens au cœur de la politique pour que se métamorphose la démocratie représentative en démocratie participative et citoyenne. Concrètement, chaque année, il y aurait un tirage au sort de 101 citoyens les plus représentatifs possibles de la population belge. Ce panel citoyen serait formé et conseillé tout au long de leur mandat par des experts scientifiques, politiques et en communication. L’enjeu est double : être capable de se parler et de s’écouter au sein d’un groupe d’une centaine de personne ET de formuler des recommandations aux politiques. « Le Parlement élaborera des propositions pour une politique cohérente en réponse à l’urgence écologique, au niveau fédéral, régional et communautaire car chacune des propositions sera mise en œuvre par le(s) gouvernement(s) compétent(s) ou soumise au(x) parlement(s) compétent(s) pour un vote et chaque rejet devra être expliqué. »[20] « C’était important pour nous que cette initiative vienne de nous, citoyens, et pas des politiques, parce que c’est quelque chose qui ne va pas pouvoir être récupéré, être réutilisé comme un argument politique. Le but est clair : redonner sa voix au citoyen, mais aussi redonner une chance au citoyen de reprendre en main son avenir et de pouvoir prendre des décisions qui vont tous et toutes nous toucher directement », conclut Youna Marette.
Conclusion
Au sein d’une démocratie, par définition, le pouvoir est exercé par le peuple, par l’ensemble des citoyens. En 190 ans d’existence, la Belgique a progressé sur l’échelle démocratique en ouvrant progressivement le droit de suffrage, d’abord exclusivement censitaire (ou plural), à tous les hommes avant de devenir proprement universel en y incluant les femmes, en 1948. En ce sens, la définition de l’exercice démocratique belge est presque exclusivement corrélée au droit de vote. Donc, un passage aux urnes tous les 5 ans (pour les élections législatives et européennes) ou 6 ans (pour les élections communales). Cependant, la Constitution permet également aux citoyens de faire entendre leur voix par le droit de pétition. Un droit remis au goût du jour, tout récemment, par différentes régions du pays. La consultation populaire régionale a aussi fait son entrée, depuis 2014, au sein de l’arsenal démocratique citoyen. Des avancées à ne pas nier, mais qui restent pour la plupart non-contraignantes. C’est dans ce contexte que plusieurs entités fédérées, comme la Communauté germanophone ou la Région Bruxelles-Capitale, ont décidé de renforcer la citoyenneté des habitants de leur territoire. Notamment, grâce à des modèles démocratiques plus participatifs et délibératifs, mais surtout permanents. Sauf qu’il est encore trop tôt pour savoir si ces initiatives, construites en pansements de la démocratie représentative, vont permettre à la confiance citoyenne envers les élus de repartir à la hausse.
En attendant, il ne faut certainement pas en rester là et continuer à réfléchir. Qu’en est-il du référendum d’initiative citoyenne (RIC), si tabou en Belgique ? Qu’en est-il de la réforme de la constitution des listes électorales afin que celles-ci soient enfin plus représentatives des électeurs ? Qu’en est-il d’une réelle prise en compte des votes blancs ou nuls afin que le message des électeurs « oui au vote, non à ces candidats-là » soit enfin entendu ?
Aujourd’hui, la nécessité est de permettre à citoyenneté de rimer avec confiance et démocratie avec participation. Pour cela, le lien distendu entre représentants et représentés se doit d’être resserré. Comme si la devise nationale « l’Union fait la force » n’avait jamais autant eu de sens.
Mehdi Toukabri
Glossaire :
- La démocratie ne se réduit pas à la conjonction du suffrage universel et de la règle de majorité. Elle requiert aussi, par définition, un débat public à travers lequel toutes les parties concernées peuvent faire entendre leurs positions et leurs arguments et surtout influencer, du seul fait qu’on les sait à l’écoute, le contenu des discours et la teneur des décisions. (VAN PARIJS, Ph., Just Democracy, The Rawls-Machiavelli Programme, ECPR press, 2011.)
- Démocratie représentative : La démocratie représentative est un régime politique dans lequel la volonté des citoyens s’exprime par la médiation de représentants élus qui incarnent la volonté générale, votent la loi, et contrôlent éventuellement le gouvernement. (BRASPENNING, Th., BAUDEWYNS, P., JAMIN, J., LEGRAND, V., PAYE, O., & SCHIFFINO, N., Fondements de science politique, De Boeck Supérieur, 2014.)
- Démocratie délibérative : La démocratie délibérative est une forme de gouvernement dans laquelle des citoyens libres et égaux (et leurs représentants), justifient les décisions dans un processus lors duquel ils se donnent des raisons mutuellement acceptables et généralement accessibles. (GUTMANN, A., THOMPSON, D., Why deliberative democracy? , Princeton University Press, 2004.)
- Démocratie directe : La démocratie directe est un régime politique dans lequel les citoyens exercent directement le pouvoir, sans l’intermédiaire de représentants. (BRASPENNING, Th., BAUDEWYNS, P., JAMIN, J., LEGRAND, V., PAYE, O., & SCHIFFINO, N., Fondements de science politique, De Boeck Supérieur, 2014.)
- Démocratie participative : Intervention des citoyens dans l’élaboration des décisions publiques, notamment par l’intermédiaire d’associations ou d’ONG. (https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/d%C3%A9mocratie/23429)
Bibliographie :
[1] Élection 2019: 1,4 millions d’électeurs n’ont pas choisi de parti, Xavier Counasse, Le Soir, 27/05/2019.
[2] Un État « sur-représentatif » ?, Anne-Emmanuelle Bourgaux, Revue Politique, 09/03/2014.
[3] Le nom « Vivaldi » fait référence au compositeur Antonio Vivaldi et son œuvre Les Quatre Saisons, reprenant les quatre couleurs des formations politiques en question (le vert, le rouge, l’orange et le bleu).
[4] De 1999 à 2003, le gouvernement fédéral belge « Verhoofstadt Ier », appelé la coalition « Arc-en-ciel », était composé de 6 partis (VLD, PS, Fédération PRL-FDF-MCC, SP, Ecolo, Agalev). A ce jour, la coalition « Vivaldi » est donc celle composée du plus de partis.
[5] La Chambre des représentants de Belgique est composée de 150 sièges. Pour être majoritaire, un gouvernement fédéral doit donc récolter plus de 75 sièges.
[6] Accord du gouvernement fédéral. Feuille de route des thématiques qui seront prises en main par l’exécutif au cours de la législature.
[7] Open-VLD: Tous les résultats des élections fédérales, régionales et européennes 2019, Le Soir, 26/05/2019.
[8] Ibid.
[9] Notre sondage : le gouvernement Vivaldi n’a pas la confiance des belges, Bernard Demonty, Le Soir, 1/10/2020.
[10] Renforcement du pouvoir exécutif au détriment du pouvoir législatif. Situation se retrouvant dans de plus en plus d’États d’Europe occidentale.
[11] Séparation des pouvoirs.
[12] La crise sanitaire de coronavirus a démontré que les gouvernements ont pris des mesures rapides et fortes sans demander l’aval des parlements. Nous pouvons, dès lors, parler de contournements des représentants du peuple.
[13] Plus de 4 Belges sur 10ne font pas du tout confiance au politique, Le Vif, 20/02/19.
[14] Nom revendiqué de la Communauté germanophone depuis 2017.
[15] Le dialogue citoyen permanent en Communauté germanophone, Christoph Niessen & Min Reuchamps, Courrier hebdomadaire du CRISP, 2019.
[16] Ibid.
[17] Territoires des neufs communes germanophones de Belgique, plus les communes de Malmedy et Waimes.
[18] Supra.
[19] Première mondiale à Bruxelles: des citoyens siégeront au Parlement, Véronique Lamquin, Le Soir, 04/12/2019.
[20] Le gouvernement De Croo appelé à initier un Parlement citoyen sur l’urgence climatique, RTBF.be, 07/10/2020.
Cet article est paru dans le cadre du CALepin #100. Vous pouvez vous abonner gratuitement au format papier.