Une papicha : mot typique du dialecte algérois destiné aux jolies jeunes filles coquettes d’Alger. Le long-métrage de Mounia Meddour embellit le mot papicha d’un qualificatif supplémentaire : libérées.
Ce film raconte l’histoire d’une jeune fille de 18 ans, Nedjma, interprétée par la rayonnante Lina Khoudri, vivant dans une cité universitaire. Son rêve est de devenir styliste et de réaliser un défilé de mode à partir du « Haïk », le voile algérien, malgré la pression islamiste. C’est précisément de ce rêve qu’émane la diégèse du film. Récit de vie d’une jeune artiste des années 90, engagée pour la liberté, témoin des heures les plus sombres de l’histoire récente de son pays, autrement appelées les années noires d’Algérie. Années où terreur, islamisme, attentats et guerre civile furent légion, où la mort fut constante (entre 150 000 et 200 000 victimes).
Sorti dans les salles obscures le 9 octobre dernier, Papicha est fascinant par son aspect « intérieur » artistique, mais aussi et surtout, pour son aspect « extérieur » politique.
Tout d’abord, le stylisme et la couture sont les moyens pour Nedjma de résister à l’oppression et la peur. Cette résistance est représentée par l’opposition des couleurs du film. Des couleurs sombres et ternes, comme le noir du Hijab porté par les femmes islamistes, pour l’obscurantisme religieux, contre les couleurs chaudes et vives, comme le blanc cassé du Haïk ou le rouge du sang, pour la résistance algérienne, en particulier celle des femmes. De plus, le son a une place très importante : entre réalisation typiquement algérienne comme la célèbre « Ya Zina » de Raina Raï, en passant par « Here comes the hotstepper » d’Ini Kamoze ou encore les silences assourdissants de certaines scènes. Une ambiance sonore qui colle à la beauté de la réalisation et de la photographie.
C’est le premier long-métrage fictionnel et féministe de la journaliste et documentariste algérienne, Mounia Meddour, dont le message de résistance a dépassé les frontières de la fiction. Papicha a été remarqué au festival de Cannes dans la section « Un certain regard » et triplement primé au Festival du Film Francophone d’Angoulême. Festivals où la réalisatrice et les actrices ont publiquement soutenu les manifestations du Hirak, mouvement populaire contestant le régime algérien en place. Résultat : l’avant-première du film, prévue le 21 septembre 2019, ainsi que sa diffusion dans les salles de cinéma de toute l’Algérie, ont purement et simplement
été annulées (censurées) par les autorités, et sans la moindre explication. Une interdiction de diffusion sur le territoire national empêche donc tout film de concourir à l’Oscar du meilleur film international. Mais après dérogation déposée au comité des Oscars, Papicha reste en lice pour le prestigieux prix américain et représentera bel et bien l’Algérie aux Oscars 2020.
Aller voir ce film n’est pas seulement un moment d’évasion et d’émotion, non. C’est aussi un moment d’apprentissage et de fascination pour un engagement militant et féministe, mais c’est surtout un soutien au peuple algérien révolté par tant d’injustices sociales et politiques.
Mehdi Toukabri
Nous projetons ce film pour la première édition du Festiv’Elles, le festival du film sur les droits des femmes le 8 mars prochain, à Nivelles.