Béatrice Touaux
Les prévisions nous annoncent que le futur sera technologique et concernera 80 % des emplois. Malheureusement, les filles, les femmes n’y sont pas ou trop peu associées… Le 10 février, Journée internationale des femmes et des filles dans la science, le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres1 rappelle que « Plus de femmes et de filles dans le domaine scientifique égale une science plus humaine ». Il ajoute même que « les femmes apportent de la diversité à la recherche, élargissent le vivier de scientifiques et ouvrent l’horizon de la science et de la technologie, pour notre bénéfice à tous et toutes ».
Les femmes sont plus présentes que les hommes dans 3 des 4 secteurs de l’enseignement supérieur belge, à savoir les sciences humaines et sociales, les sciences de la santé et les arts. Mais, elles sont sous-représentées dans les formations2 du secteur des STIM3 (Science, Technologie, Ingénierie et Mathématiques). Cela va de 8 % en informatique à 20 % en ingénieur civil.
Pourtant, près de 60 % des étudiants de l’enseignement supérieur sont des étudiantes. Mais aujourd’hui encore dans l’imaginaire collectif on pense que les filles ne sont pas faites pour les maths ou l’informatique ! Que les sciences sont réservées aux hommes. N’en déplaise à certains, les grandes enquêtes internationales (PISA, Pirls, Tims) menées depuis les années 60 ont permis de suivre les performances des filles et des garçons dans différentes matières comme la lecture, les mathématiques et les sciences. Les garçons réussissent globalement moins bien que les filles à tous les niveaux – du primaire à l’université – y compris dans les filières STIM.
Alors, pourquoi ce décalage ?
Biais évaluatifs
Une étude4 réalisée par l’Université de Liège tend à montrer que les professeurs de mathématiques évaluent différemment les copies des filles et des garçons. Les organisateurs du test ont observé que :
Les garçons qui réalisent de très bonnes performances sont systématiquement mieux notés que les filles obtenant les mêmes résultats.
Et que les filles ayant de faibles performances sont quant à elles notées avec beaucoup plus d’indulgence que les garçons de même niveau.
A compétences égales, la perception des capacités est différente.
Toujours selon cette étude, à compétences égales, les filles ont un indice d’anxiété beaucoup plus élevé vis-à-vis des maths que les garçons. Elles se remettent plus en question, doutent de leurs compétences, ne se sentent pas légitimes, alors que les garçons même moins bons semblent moins anxieux.
Biais d’éducation
Les filles n’auraient pas la même logique !
Bien que les cerveaux5 masculins et féminins6, sous l’influence de concentrations d’hormones différentes, ne sont pas identiques, cela ne prouve en rien que les filles seraient moins bonnes en sciences que les garçons7.
Par contre, les filles et les garçons ne sont pas éduqués de la même manière. Les filles doivent être obéissantes, douces et s’occuper des autres. Depuis la plus tendre enfance, la société prépare les femmes aux professions liées au social, au « care » … Et beaucoup de profs, de parents et la société en général (67 %8) restent persuadés que les femmes sont moins compétentes voire incapables d’être des scientifiques.
Biais de stéréotypes de genre
Ce biais consiste à faire croire aux femmes qu’elles sont moins performantes parce qu’elles sont des femmes. De plus, le manque de modèles scientifiques féminins limite la projection des femmes dans ces métiers. Heureusement, cela évolue, même lentement. Merci à celles qui creusent le sillon.
Comment lutter contre ces effets délétères ?
Les enseignants, les parents doivent encourager l’auto- affirmation et les pensées positives, la confiance en soi. Les études montrent que les filles se sous-estiment… ce qui les détourne des études d’ingénieur.
Montrer aux filles des modèles de réussite en STIM auxquels elles peuvent s’identifier (on trouve à peine 20 % de personnages féminins pour illustrer les manuels scolaires de mathématique). Pour pouvoir se projeter dans un rôle professionnel, il est nécessaire d’avoir des modèles réels ou fictifs de personnes de son propre genre exerçant cette profession.
En résumé, il faut changer les mentalités pour que les femmes puissent accéder aux matières scientifiques en toute sérénité.
Le danger de l’absence des femmes dans l’intelligence artificielle (IA)
L’IA transforme notre société et le monde professionnel (public ou privé) que ce soit au niveau de son organisation, sa stratégie ou de sa main-d’oeuvre et en cela le recrutement des futurs collaborateurs.
Selon le Laboratoire de l’Egalité9, « à chaque étape de leur développement, les algorithmes, bases de l’IA, programmés par des développeurs – dont 90 % sont des hommes – reflètent une vision masculine du monde et reproduisent « automatiquement » des stéréotypes de genre qu’ils diffusent à grande échelle. Le genre masculin est massivement plus présent et valorisé que le genre féminin dans les bases de données (BDD), carburant de l’IA qui alimentent les algorithmes. Elles reflètent des situations et des opinions passées, ou encore actuelles, largement sexistes et guère porteuses d’évolution. On prend les mêmes et on recommence. »
Clairement, l’IA est inégalitaire car elle induit – entre autres – des biais sexistes. Un nombre plus important de femmes mais également de personnes issues des minorités, dans les entreprises, permettraient de réduire ces biais. Mais au-delà de cela, Rosabeth Kanter10 estime à 35 % la taille minimale que doit avoir une minorité pour réellement influencer le comportement du groupe dominant11 et modifier les performances de l’organisation. Ce n’est pas avec nos quelques femmes scientifiques que l’on va inverser la tendance. Toujours selon Rosabeth Kanter, le degré de mixité de l’ensemble des salariés permet l’émergence de nouveaux points de vue et des changements significatifs au sein de l’entreprise.
Les filles ont toute leur place dans les sciences et techniques. Elles doivent se faire confiance et ne pas écouter les injonctions sociétales erronées. Paradoxalement, comme signalé par deux chercheuses dans le journal, The Conversation12 « les femmes sont d’autant plus exclues que le pays est égalitaire. En effet, les femmes qui parviennent à faire des études dans les pays où elles doivent se battre pour y accéder ont déjà accompli un choix transgressif, si bien que leur orientation disciplinaire est plus libre… Dans les pays où l’accès des femmes aux études n’est pas en question, le stéréotype joue dans le choix des disciplines. ». La proportion des chercheuses13 dans le monde représente 29 % dont 48 % en Asie centrale, 45 % en Amérique latine et 41 % pour les Etats arabes (dont 55 % en Tunisie).
Ne soyons pas à la traîne, car le tournant de la remise en question de nos sociétés ne doit pas se faire sans les femmes. Leur absence dans les métiers des STIM risque de les faire revenir en arrière dans leurs acquis sociaux en laissant les manettes des savoirs futurs aux mains des seuls hommes.
Sources :
1 « Les femmes ont besoin de la science et la science a besoin des femmes » ONU Info, février 2023
2 « La place des STIM dans l’enseignement supérieur en FWB », ARES, juin 2021
3 « Existe-t-il encore un fossé entre les hommes et les femmes dans le domaine des STIM en 2023 ? » par Jack Portley, Knowhow, 23 juin 2023
4 « Pourquoi les jeunes femmes boudent-elles les STIM ? » par Dominique Lafontaine, Département des sciences de l’éducation Unité de recherche EQUALE, 2019, ULg
5 « Neuromythes : cerveau masculin versus cerveau féminin » par Christophe Rodo, doctorant ATER Aix-Marseille Université, 2018
6 « Neuroscience : ce que j’ai appris en étudiant le cerveau des femmes pendant vingt ans », interview du Dr Lisa Mosconi, par Margarita Rodriguez, BBC News Mundo, 13 mai 2023.
7 « Notre cerveau a-t-il un sexe ? » par Marie-José Freund-Mercier, Professeur des Universités, Institut des Neurosciences Cellulaire et Intégratives, Université de Strasbourg, février 2023
8 « Femmes et sciences : des stéréotypes tenaces » par Maurice Mashaal, dans Pour la Science, septembre 2015
9 « Le pacte pour une intelligence artificielle égalitaire » du laboratoire de l’Egalité.
10 Professeure en management des entreprises à la Harvard Business School et auteure majeure dans l’étude du changement dans les grandes organisations.
11 « Les femmes influencent-elles la performance des entreprises ? » par Michel Ferrary, dans Travail, genre et sociétés, 2010, Cairn Info
12 « Pourquoi si peu de femmes dans les carrières scientifiques ? » de Clotilde Policar, Professeure à l’ENS et Charlotte Jacquemot, chercheuse en sciences cognitives, The Conversation, juin 2023
13 « Les femmes en sciences » ONU, fiche d’information N°55 juin 2019