L’occasion rêvée de réinventer l’école

Ces dernières années, nous avons consacré de nombreux dossiers du CALepin à l’école et à l’enseignement en général. A l’heure où l’on parle de générations entières sacrifiées par le Covid-19, l’enseignement est mis à rude épreuve et amené plus que jamais à se renouveler. Avec la certitude que les maux de l’école vont être renforcés à cause du coronavirus, il est temps de se demander quels apprentissages sont fondamentaux, demain, pour nos enfants ? Quelles valeurs l’école doit-elle leur transmettre en priorité ? La piste de l’école citoyenne est-elle une alternative crédible et accessible ? Quels autres modèles scolaires existent de nos jours ? Autant de questions auxquelles nous allons tenter de répondre dans ces quelques pages.

Le système scolaire belge est un sujet qui a fait et continue à faire couler beaucoup d’encre. L’objet de ce nouveau dossier sur le thème de l’école ne sera pas de pointer à nouveau les failles du système actuel mais bien de dessiner les contours du nouveau visage que pourrait arborer l’école que nous souhaiterions pour nos enfants dans un futur proche. Cette crise sanitaire est l’occasion rêvée pour distinguer l’essentiel du superficiel, que ce soit au niveau matériel, économique, professionnel mais aussi scolaire. Si Laïcité Brabant wallon n’a pas la prétention de se dire experte en matière d’enseignement, notre école de devoirs située à Tubize – La Fabrique de Soi – est un formidable laboratoire où nous ne pouvons que constater ce qui fonctionne – et ce qui ne fonctionne pas – pour (ré) accrocher les jeunes à l’école (voir notre focus p. 11). Car, comme l’a développé à juste titre le sociologue et philosophe Bruno Derbaix auprès de nos confrères de la Ligue de l’Enseignement, « une fois les vagues [du coronavirus] passées, il s’agira prioritairement de parvenir à discuter avec les élèves, de les réaccrocher à l’école en les impliquant, de mieux y gérer les problèmes relationnels. C’est le chantier principal sur lequel je travaille, celui permettant de construire des écoles activement citoyennes. Ce travail est déjà important. Il le sera encore plus à l’avenir parce qu’il va falloir refaire école pour refaire société. Il sera aussi plus crucial dans les écoles aux publics fragilisés, et ce pour une raison toute simple : la gestion de la crise a accentué toutes les inégalités. Dans les années à venir, il y a donc fort à parier que notre système scolaire peine encore plus à être efficace avec les jeunes défavorisés. Lorsqu’on sait que, à l’heure actuelle, la Belgique fait déjà partie des pires élèves européens en la matière, il y a plus qu’une inquiétude à avoir. »[1] Le journal Le Soir allait également dans ce sens récemment avec cette Une « Le covid accentue les inégalités scolaires »[2]. La reproduction – voire l’amplification – des inégalités sociales via l’éducation est un phénomène connu. Pour Fred Mawet, la secrétaire générale de l’ASBL ChanGements pour l’égalité (CGé), les inégalités étaient déjà très présentes, mais la crise les a rendues encore plus visibles. « L’école n’a pas mis en place ce qu’il fallait pour que les enfants de milieux populaires puissent correctement apprendre. Face à la tourmente créée par la pandémie, certains enfants sont à privilégier, parce qu’ils ont des conditions plus difficiles à la maison et un retard scolaire important. Sans compter la fracture numérique.  »[3] L’objectif des Pouvoirs Organisateurs, des directions et des enseignants, à court terme, est donc d’empêcher que les élèves les plus vulnérables ne décrochent de l’école. Certains spécialistes[4] sont donc pragmatiques et plaident de ce fait pour mettre l’accent sur l’apprentissage des matières essentielles, celles qui sont incontournables et précisées par la circulaire.

 

Faire (l’) école autrement

Pour les connaissances et compétences fondamentales à acquérir, voilà qui est dit. Quid par ailleurs des valeurs que l’école devrait idéalement transmettre aux jeunes générations ? Même si les différents examens de passage nous le font parfois oublier, LA mission principale de l’école est de former des citoyens qui seront capables dans un futur proche de « poser des choix politiques en connaissance de cause et de promouvoir les valeurs démocratiques de respect de l’autre et de solidarité »[5] . Bien qu’ancienne, cette mission de l’école fait l’objet d’un large consensus, ainsi que du décret « Mission ». Eveiller les jeunes à la citoyenneté prend, de nos jours, des formes très différentes. « Conseils d’écoles », joutes verbales[6], projets d’éducation au développement durable, dispositifs de médiation par les pairs, visites de lieux de mémoire etc. sont autant de moyens d’impliquer les jeunes dans des processus de réflexion, de participation et de décision. Plébiscité par Bruno Derbaix[7], le concept d’école citoyenne – en tant qu’il fait de l’école un lieu d’exercice de la démocratie – apparaît comme une réponse adéquate aux maux actuels de l’école (souffrance des élèves et professeurs, violence institutionnelle, inégalités en tout genre…). Afin d’en présenter ici les grandes lignes, nous avons choisi de nous baser en partie sur le contenu du site ecolecitoyenne.org où l’on retrouve également une série d’outils concrets à destination des enseignants. Ancien enseignant, Bruno Derbaix se nourrit d’expériences menées par le Mouvement des Institutions et des Ecoles Citoyennes (MIEC). Le principe d’école citoyenne n’est pas neuf. Il remonte aux années 1960-70, époque où ont également été développées les écoles à pédagogies actives[8]. « Les écoles citoyennes sont héritières de cette idée selon laquelle les écoles sont toujours en même temps des communautés de vie et sur l’importance octroyée à la gestion de cette communauté de vie en bonne harmonie. Plutôt que de considérer chaque élève comme le réceptacle identique des apprentissages proposés, les « nouvelles pédagogies » ont dès lors proposé de multiples stratégies pour gérer de manière citoyenne et éducative les relations dans la classe tout comme dans les établissements. »[9] Au-delà d’une mission fondamentale de l’école, éduquer à la citoyenneté est aussi une manière de fonctionner, de vivre et de résoudre efficacement les problèmes (harcèlement scolaire, conflits interpersonnels…).

Vivre la citoyenneté

Même distillés au sein de l’école avec la meilleure volonté du monde, la démocratie et la citoyenneté restent des outils qu’on peut bien ou mal utiliser. « Ce qui la garantit (la démocratie, NDLR) en principe, c’est qu’il y ait débat et qu’on recommence le processus régulièrement. Il suffit de regarder le fonctionnement des délégués de classe. Pour les jeunes qui décident de s’y impliquer, bien souvent les résultats sont maigres. Ils s’attendent à pouvoir changer les choses à l’école et faire en sorte d’avoir un monde meilleur mais la direction de l’école ne se présente même pas aux conseils d’école. Si on veut que les jeunes s’impliquent, il est urgent d’apprendre concrètement les comportements d’engagement citoyen que ce soit à l’échelle de l’école ou vers la société, et de donner des moyens pour que ces engagements-là soient efficaces. C’est le levier fondamental pour changer les choses. »[10]

Ce que Bruno Derbaix reproche à l’école actuelle ? De théoriser sur la citoyenneté, d’en parler de manière abstraite aux jeunes, mais de ne pas l’incarner au quotidien, dans les classes. Là, les élèves n’y ont que peu de libertés (de mouvements, d’expression), l’égalité n’y est pas la norme[11] et les projets stimulants sont rares. « Ce qui est important, c’est de prévoir des moments où on peut parler. Si une fois par semaine, voire à certains endroits dans l’école tous les jours, je peux dire à un élève «  là tu peux parler, là on va s’exprimer, on va le voir ensemble et ce n’est pas du vent, on va le faire et ensuite on va s’écouter et ensuite on va mettre des projets en place pour réagir aux situations  », ce sera d’autant plus facile d’avoir le calme au moment du cours, alors que dans la situation actuelle, quand il y a trop peu d’espaces d’expression, les élèves restent avec des tensions entre eux, ces tensions ne pouvant pas sortir, et ça entraîne des cycles négatifs.»[12] Il existe d’autres pistes – à la fois réflexives et pratiques – pour tendre vers une école (plus) citoyenne. Quelques exemples parmi tant d’autres : construire des règles ensemble (ROI), travailler la prise de parole, développer l’accès à la pensée critique, valoriser les comportements positifs, favoriser une justice permettant l’écoute et la réparation ou encore mettre sur pied des projets collectifs incitant au « vivre ensemble ».

La citoyenneté ne se vit pas que sur les bancs de l’école… mais aussi dans la salle des profs. Depuis 2019, une nouvelle mesure oblige notamment les enseignants (du fondamental et du secondaire) et les proviseurs à consacrer 60 heures par année (soit à peu près 2h/semaine) de leur horaire à de la concertation. Établir le diagnostic des forces et des faiblesses de l’école dans le cadre du plan de pilotage et du contrat d’objectifs, construire un projet, réfléchir à des pratiques de remédiation, faciliter la transition des élèves du primaire vers le secondaire sont autant de moments de travail collaboratif de ce nouveau décret[13]. Même si les circonstances nécessaires pour déployer cette concertation ne sont pas toujours optimal, cette décision prise dans le cadre du Pacte pour un Enseignement d’Excellence a le mérite de vouloir remettre la citoyenneté à l’honneur. Les expériences déployées au sein d’écoles maladroitement appelées « ghettos » sont unanimes : instaurer une vie citoyenne est possible ; une telle citoyenneté favorise le climat scolaire et est propice aux apprentissages ; un changement de ce type ne peut s’opérer qu’après une réflexion générale sur le fonctionnement de l’école.

Esprit critique et d’analyse

Depuis de nombreuses années, LBW – et a fortiori l’ensemble des Régionales du CAL – s’évertue(nt) à distiller de l’esprit critique dans ses/leurs activités. Le but : donner des clés de compréhension de notre société aux citoyens afin de les rendre libres et autonomes dans leurs décisions et les aider à poser des choix éclairés. Pour notre association, apprendre ce qu’est l’esprit critique et la manière de s’en servir doit se faire dès le plus jeune âge, tout au long de la vie. C’est pour cette raison que nous proposons des activités et ateliers qui mettent le questionnement au cœur de leur mode de fonctionnement, et ce de la maternelle (Philo Z’œuf) à l’âge de la retraite (ateliers philo pour adultes), en passant par l’enfance et l’adolescence (revue Philéas & Autobule). Nos événements grand public (pièces de théâtre, conférences, ateliers…) ont ce même objectif : susciter la curiosité et amener tout un chacun à sortir de sa grille de lecture personnelle. Pour Bruno Derbaix, apprendre l’esprit critique et d’analyse passe aussi par l’éducation aux médias à laquelle il faudrait, selon lui, consacrer une place particulière. « Le monde virtuel représente aujourd’hui une partie importante de l’espace de vie des jeunes. Au niveau du travail de l’école, il est aussi devenu un concurrent redoutable en tant que source de connaissance. […] D’une certaine manière, chaque vague de confinement accroît encore la nécessité d’apprendre aux jeunes à chercher, à être critique, à comparer et à compiler les informations qu’ils trouvent sur Internet. En même temps, on l’oublie souvent mais les médias sont un enjeu démocratique fondamental. Si on ne cultive pas notre « agora », le débat public mène à de mauvaises questions et de mauvaises décisions. Et, comme aujourd’hui la première source d’information est constituée par les réseaux sociaux, d’une certaine manière nous sommes tous devenus potentiellement des journalistes qui publient et influencent. C’est une raison essentielle pour prendre au sérieux l’enjeu qu’il y a à éduquer les jeunes aux outils du journalisme et de la pensée critique. Cette mission est au moins aussi essentielle que de leur apprendre à s’engager et être de bons représentants […]. »[14]

Conclusion

Si le système scolaire traditionnel possède encore son lot de failles, force est de constater que, depuis quelques années, les lignes bougent. Les exemples d’établissements s’inspirant officiellement ou plus officieusement des pédagogies actives se multiplient (voir les quelques exemples repris ci-dessous) et, on peut s’en réjouir, les besoins des enfants «  ne rentrant pas dans le moule » sont de plus en plus considérés. Du côté de la « salle des profs » et des directions, un changement salutaire semble également s’opérer – du moins dans certains établissements – car la souplesse et la concertation paraissent désormais être dans l’air du temps, grâce en partie à un certain élan donné par la FWB.

Annabelle Duaut

Bibliographie

[1] « Refaire école pour refaire société », site de la Ligue de l’Enseignement, Maud Baccichet, 9 novembre 2020.

[2] Journal du 13 novembre 2020.

[3] Idem.

[4] Par exemple Natacha Duroisin (UMons) dans Le Soir du 12 novembre.

[5] « La citoyenneté à l’Athénée Royal de Nivelles », site de la Ligue de l’Enseignement, Guy Donnay, 27 février 2018.

[6] Les joutes oratoires sont des confrontations d’arguments entre protagonistes qui n’ont pas le choix de leur position. Selon le contexte et les objectifs, les joutes peuvent prendre des formes variées : individuelles ou par équipes, avec ou sans préparation, sur des sujets politiques, de société ou humoristiques…

[7] Notamment auteur du livre « Pour une école citoyenne : vivre l’école pleinement », La Boîte à Pandore, 2018.

[8] Les pédagogies actives de Montessori, Decroly, Freinet et Steiner appréhendent l’élève dans sa globalité et tiennent compte au maximum de ses besoins et de son développement, à la fois sur les plans physique, social et psychique.

[9] www.ecolecitoyenne.org

[10] Eduquer n°142, « Reconnaître les identités : priorité de l’école », Maud Baccichet, décembre 2018.

[11] Cf nos CALepin n° 93, 94 et 95 sur les inégalités scolaires tous azimuts.

[12] « Bruno Derbaix : il y a un vrai décalage entre le discours de l’école et ses méthodes », site de la RTBF, 2 mai 2018.

[13] Infos tirées du site : www.enseignement.be

[14] « Refaire école pour refaire société », site de la Ligue de l’Enseignement, Maud Baccichet 9 novembre 2020.

Cet article a été rédigé dans le cadre du CALepin #100. Vous pouvez vous abonner gratuitement à la version papier.

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