60 ans d’indépendance : la laïcité au Congo

30 juin 1960 : le Congo, État colonial belge, gagne son indépendance. A l’occasion de cet anniversaire, nous avons décidé de nous pencher sur la manière dont la laïcité s’y exprime. En tant que principe, on remarque qu’elle fait peur, qu’on s’en méfie. En tant que mouvement, que son influence est limitée mais que les enjeux qu’il défend sont primordiaux. A travers ce bref article, nous tenterons de cerner les enjeux de l’action laïque dans ce pays qui garde inéluctablement des séquelles de son passé colonial.

Une date à célébrer

C’était il y a 60 ans. Une délégation belge fait le déplacement vers Léopoldville (future Kinshasa) afin de célébrer l’indépendance de l’État colonial et de proclamer la naissance de la République du Congo. On y déclame de nombreux discours, on y chante, on y danse. On y ment aussi : à l’image de celui de son Roi, le Roi Baudouin, les discours de la délégation belge regardent tous l’histoire de manière consensuelle et présentent le passé en se targuant de ce qu’ils appellent « l’oeuvre belge au Congo ». Le discours du tant apprécié Roi Baudouin commence comme ceci : « L’indépendance du Congo constitue l’aboutissement de l’oeuvre conçue par le Roi Léopold II, entreprise par lui avec un courage tenace et continuée avec persévérance par la Belgique. Elle marque une heure décisive dans les destinées non seulement du Congo lui-même, mais je n’hésite pas à l’affirmer, de l’Afrique tout entière (1). » Quelques lignes qui nous permettent directement de nous rendre compte du malaise qui régnait déjà à l’époque (et encore parfois aujourd’hui) sur le lien entre l’État colonisateur et le pays colonisé.

Peu après, dans un autre discours, le nouveau Premier Ministre congolais est beaucoup moins tendre sur le récit à propos de la conquête de l’indépendance. Patrice Lumumba s’exprime en effet dans ces termes : « Cette indépendance du Congo, nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier que c’est par la lutte qu’elle a été conquise, une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle, nous n’avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang. Cette lutte, qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu’au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable, pour mettre fin à l’humiliant esclavage qui nous était imposé par la force (2). » Patrice Lumumba n’hésite donc pas à rappeler que cette indépendance est le fruit de luttes menées par le peuple congolais et non une longue suite de « concessions » que la Belgique aurait pu faire. On remarque donc qu’on nous présente d’un côté l’histoire comme si c’était un récit commun entre deux pays et, d’un autre côté, comme un conflit.

Un pilier central

Dès le départ, Léopold II est obligé de se trouver des alliés dans la conquête de ce nouveau pays. Si les deux premiers piliers sont l’État belge ainsi qu’un grand consortium de sociétés qui souhaitent investir dans la colonie personnelle du souverain, le 3ème pilier aura un rôle tout aussi important dans la société coloniale : il s ‘agit en effet de l’Église catholique (3). Si dans les premiers films de propagande coloniale, les autochtones sont présentés comme ayant des croyances et coutumes païennes, les prêtres et l’Église sont quant à eux présentés comme des pacificateurs. Ils gèrent les lieux de cultes et les hôpitaux mais, surtout, la quasi-totalité de l’enseignement est confiée à l’Église jusqu’en 1954. Si, sur papier, l’idée que les populations autochtones aient eu accès à un enseignement primaire gratuit peut avoir des aspects séduisants, le monopole détenu par l’Église a surtout contribué à un large lavage de cerveaux, au formatage et au déni culturel de ces populations. En effet, l’Église catholique a vu dans le Congo une bulle où pouvait s’asseoir son influence, ses idées et se construire un bastion où augmenter son nombre d’adeptes.

C’est en 1954 qu’un dénommé Auguste Buisseret, Ministre des colonies libéral et ouvertement laïque organise l’ouverture d’écoles laïques mixtes. Et le terme « mixte » prend tout son sens dans cette phrase : ces écoles accueilleront non seulement des garçons et des filles mais, surtout, des blancs et des noirs. A partir de 1955, plusieurs athénées ainsi que l’Université Officielle du Congo, à Élisabethville (actuelle Lubumbashi) sont inaugurés (4).

« L’essentiel de notre effort consiste à réaliser une association des intérêts, des esprits et des coeurs appelée à évoluer librement vers la structure politique qui répondra le mieux aux besoins et aux aspirations d’hommes égaux en droit et animés de sentiments fraternels. »
Auguste Buisseret à la Chambre des représentants

Soulignons quand même que, durant la période qui a suivi l’indépendance, malgré une protection des minorités religieuses et l’affirmation de plusieurs principes de non-discrimination, Mobutu et consorts n’ont malheureusement plus investi dans l’enseignement laïque, ce qui a permis à l’Église catholique d’asseoir son autorité (5).

Une influence bien assise

Même si l’on remarque certains changements dans les pratiques ces dernières années avec la naissance d’une multitude d’églises dites « du réveil », les chrétiens sont encore une énorme majorité, en Afrique centrale en général, et au Congo en particulier. Au niveau des chiffres, selon l’Observatoire de la liberté religieuse, la clé de répartition entre les différents courants de croyance serait la suivante (6) :

  • Chrétiens : 95,1 %
  • Animistes (7) : 2,4 %
  • Musulmans : 1,4 %
  • Autres : 1,1 %

Même si nous ne connaissons pas les modalités qui ont permis de réaliser ce recensement, soulignons toutefois que ces chiffres sont assez édifiants.

Et le registre juridique ?

Si la Laïcité n’est pas explicitement citée dans la constitution, le caractère laïque y a quand même été affirmé comme on peut le constater dans les extraits suivants : En ce qui concerne les droits civils et politiques, la constitution congolaise de 2006 stipule :

Article 13 : « Aucun Congolais ne peut, en matière d’éducation et d’accès aux fonctions publiques ni en aucune autre matière, faire l’objet d’une mesure discriminatoire, qu’elle résulte de la loi ou d’un acte de l’exécutif, en raison de sa religion, de son origine familiale, de sa condition sociale, de sa résidence, de ses opinions ou de ses convictions politiques, de son appartenance à une race, à une ethnie, à une tribu, à une minorité
culturelle ou linguistique. »

Article 22 : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Toute personne a le droit de manifester sa religion ou ses convictions, seule ou en groupe, tant en public qu’en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques, l’accomplissement des rites et l’état de vie religieuse, sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public, des bonnes mœurs et des droits d’autrui. » (8)

Les libertés religieuses et de conscience y sont donc clairement affirmées mais la constitution dit tout de même dans son préambule que les Congolais sont « Conscients de [leurs] responsabilités devant Dieu, la Nation, l’Afrique et le Monde […] ». (9)

Le mouvement laïque aujourd’hui

Au Congo, le mouvement laïque est structuré autour de la Maison de la Laïcité de Kinshasa (MLK). Celle-ci fédère toute une série d’associations congolaises non confessionnelles, actives notamment dans les milieux de la santé et de l’éducation.

« Certains nous qualifient carrément d’anti-Dieu car nous prônons la séparation de l’église et de l’Etat. »
Danny Singoma, président de la MLK

Comme grand nombre d’associations laïques, celle-ci assure la promotion et la défense des valeurs laïques et démocratiques. Au niveau de son organisation, la MLK
est soutenue par deux associations qui ont un rôle majeur dans sa création et son développement :

  • Laïcité et Humanisme en Afrique centrale (LHAC) : association fondée au sein du Centre d’Action Laïque qui coordonne toutes les associations belges qui soutiennent soit symboliquement soit financièrement la Maison de la Laïcité.
  • Humanisme et solidarité : ONG congolaise créée par des Congolais issus de l’Université libre de Bruxelles. C’est cette association qui est à l’initiative sur place.

La MLK permet à de nombreuses associations de bénéficier de ses locaux, a développé toute une série de formations et d’ateliers à propos de thématiques humanistes (santé, éducation, citoyenneté, droits de l’homme et de la femme…). Elle fait également partie de plusieurs réseaux congolais et internationaux.

Si nous sommes enthousiastes quant à l’évolution et au développement de la MLK, nous sommes aussi en partie conscients des différents enjeux qui lui sont inhérents :

  • Comme le signale Danny Singoma, actuel président de la MLK, à nos confrères de Solidarité Laïque (France), « La laïcité est parfois mal comprise en RDC […]. Nous faisons parfois face à l’incompréhension, à la confusion et à la mauvaise interprétation de notre identité et de notre action : plusieurs personnes confondent les laïcs et les laïques, les premiers étant des hommes et des femmes au service de l’église, les seconds au service d’un principe de neutralité par rapport aux religions. Certains nous qualifient carrément d’anti-Dieu car nous prônons la séparation de l’église et de l’Etat. Dans un pays comme le nôtre, dominé par la présence multiple des églises et une tradition religieuse forte, prôner liberté de conscience et liberté religieuse se vit difficilement et devient vite synonyme de lutte contre la chrétienté et donc de Dieu. » (10)
  • Autre inquiétude, étant donné les manquements de l’État congolais envers son tissu associatif local, une grosse partie des financements dont bénéficie la Maison de la Laïcité sont issus de la Belgique, par l’intermédiaire de LHAC. Qu’arrivera-t-il si ces associations belges se retrouvent un jour en difficulté ? La MLK se présenterait alors comme un colosse aux pieds d’argile.

Malgré ces questionnements, la MLK a l’air de faire un travail incroyable au niveau local. Espérons que son évolution soit pérenne et que le bâtiment en construction dont elle sera bientôt propriétaire lui permettra d’asseoir ses activités dans un pays plein d’avenir et de vie où les enjeux en termes de droits humains sont, encore aujourd’hui, très importants.

Alexis Etienne

Notes et bibliographie

  1. Discours du Roi Baudouin à l’occasion de l’indépendance du Congo, 30 juin 1960.
  2. Discours de Patrice Lumumba à l’occasion de l’indépendance du Congo, 30 juin 1960.
  3. Il y avait également des missions protestantes mais nous n’en parlerons pas explicitement ici. Nous considérons cependant que les différentes missions d’évangélisation ont participé au même problème (NDLR).
  4. « Laïcité en République Démocratique du Congo », par Nicaise Chikuru et Thierry Jaquet.
  5. Idem.
  6. « Chiffres clés en République démocratique du Congo », Observatoire des libertés religieuses.
  7. Animisme : attitude consistant à attribuer aux choses une âme analogue à l’âme humaine. (Wikipédia)
  8. Constitution de la République Démocratique du Congo (2006).
  9. Idem.
  10. Interview de Danny Singoma pour « Les rendez-vous de la Laïcité », Solidarité Laïque.

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