Quelle place et fin de vie pour nos aînés ? (1ère partie)

La crise sanitaire liée au coronavirus que nous traversons depuis plusieurs mois aura au moins eu un mérite : celui de mettre en lumière quelques-unes des failles de notre société. Le système de placement des personnes âgées et leur traitement de manière générale en font notamment partie. Quelle fin de vie leur est possible de nos jours, et à quels prix ? Vieillir dans des conditions de vie dignes est-il accessible au plus grand nombre ? Eléments de réponse.

C’est indéniable : les Belges vivent de plus en plus vieux et gagnent en qualité de vie d’année en année (voir graphique ci-contre). En 2018, à l’âge de 65 ans les hommes pouvaient encore espérer vivre 12,5 ans sans incapacité et les femmes 12,4 ans (espérance de vie sans incapacité à 65 ans, « EVSI »[1]). Entre 2004 et 2018, l’EVSI a augmenté de 2,7 ans pour les hommes et 1,4 an pour les femmes. Actuellement, 20% des Belges de 80 ans et plus vivent en maison de repos (MR [2]) ou en maison de repos et de soins (MRS [3]). Là où la situation se corse, c’est que Femarbel, la Fédération des maisons de repos, a mené une vaste enquête dans le but de déterminer les besoins de la Belgique dans ce secteur pour les prochaines années. L’étude se base sur les prévisions démographiques suivantes : en 2050, la Belgique comptera 3,1 millions de seniors. Si ce scénario a bien lieu, le taux de dépendance en maisons de repos et de soins (MRS) devrait avoisiner les 90%. Les 150.000 lits actuellement disponibles en Belgique seront dès lors insuffisants car Femarbel estime qu’il en faudrait 178.500 en 2030 et plus de 287.000 en 2050 !

Bref, en 30 ans, le nombre de places disponibles devra presque doubler. Pour faire face à cette perspective, chaque année, il faudrait de ce fait créer 4.500 lits et créer 4.000 emplois supplémentaires [4]. Dans l’optique de pouvoir répondre à cette demande conséquente, la ministre en charge de la santé en Région wallonne (Christie Morreale, PS) a annoncé un budget de 22 millions d’euros pour transformer 2.266 lits de maisons de repos en lits de maisons de soins et améliorer 141 maisons de repos. La présence d’un praticien infirmier et d’un médecin coordinateur de jour comme de nuit sera quant à elle obligatoire. Enfin, des locaux destinés à la kinésithérapie et à l’ergothérapie seront mis à disposition. Un projet qui permettra d’améliorer les conditions de vie des résidents ainsi que les conditions de travail du personnel soignant.

Des hausses de prix conséquentes

Autre point épineux : le prix d’une place en maison de repos. En moyenne, elle coûte 1.500 euros par mois. Quand la pension légale, elle, ne dépasse pas les 1.300 euros mensuels ! Et encore, il s’agit ici d’une moyenne (suppléments non compris) car les tarifs affichés pour certains établissements du secteur privé dépassent parfois les 4.000 euros par mois. A la clé, des services dignes d’un hôtel de luxe (salon de coiffure privé, golf…) avec, entre autres, des repas concoctés sur place par des « chefs ». En novembre 2019, une étude réalisée par la Fédération des CPAS [5] souligne l’augmentation des prix en maison de repos en Wallonie de 1998 à 2018. « Au cours des cinq dernières années, la hausse nominale du prix de ces établissements a été de 26,4% en moyenne et atteint même 32,1% dans le secteur privé » [6], soit bien plus que l’inflation sur la même période (8%). L’étude relève également le montant payé par jour par un résident belge selon les secteurs, toutes provinces confondues. Dans le public (les maisons sont gérées par le CPAS ou une intercommunale), le prix moyen est de 43,80€ par jour. Dans le privé (les homes sont gérés par des grands groupes internationaux tels Orpea ou Senior Assist), il faut débourser en moyenne 51,70€ par jour. Enfin, dans l’associatif (les établissements sont notamment gérés par des ASBL ou des plus grosses structures), comptez en moyenne 51,50€ par jour [7]. Des forfaits journaliers qui ne prennent pas en compte les suppléments (lessives personnelles, pédicure, manucure…) ainsi que les dépenses médicales (consultations, médicaments). La hausse des prix en maison de repos s’explique notamment par la montée en puissance des grands groupes, comme l’explique Jean-Marc Rombeaux, conseiller expert au sein de la Fédération des CPAS. « Ils ont des attentes en termes de rentabilité. En pratique, ça se retrouve dans le niveau des prix qu’ils fixent eux-mêmes. C’est d’autant plus vrai que dans certains cas on se trouve dans des montages avec plusieurs acteurs. Par exemple, une maison de repos appartient à un groupe immobilier qui la loue à un autre groupe international qui en assure la gestion courante » [8], soit deux intermédiaires qui sont en attente d’une certaine rentabilité.

Autres éléments expliquant cette flambée des tarifs : l’augmentation des prix de l’immobilier et du foncier, l’ajout d’équipements modernes (TV, frigo, wifi…) et l’adoption de nouvelles normes (chambres plus grandes, W.C privatif, protection incendie…). De tels montants nous invitent à nous demander si intégrer une maison de repos est en train de devenir (ou est déjà ?) un luxe pour celles et ceux dont les retraites se situent dans la
norme.

Retarder l’entrée en maison de repos

Une des clés pour assurer l’accessibilité des maisons de repos au plus grand nombre de Belges, c’est de retarder au maximum l’entrée en maison de repos. Actuellement, chez nous, celle-ci se fait en moyenne à 83 ans [9]. « Très certainement, la majorité des aînés souhaitent rester à domicile et si on peut le faire, c’est une excellente chose. En même temps, il ne faut pas se leurrer, quand une personne a une forte perte d’autonomie, et s’il n’y a pas un aidant proche, le maintien à domicile devient impossible ou alors à des prix très élevés »10, poursuit JeanMarc Rombeaux. Le plan idéal est donc de permettre aux seniors de vivre chez eux le plus longtemps possible, dans un environnement adapté, et d’accéder, pour leurs dernières années de vie, à une maison de repos.

Le modèle Tubbe prend de l’ampleur

Bien que la Wallonie ne compte encore que peu de solutions intermédiaires entre le domicile et la maison de repos, la Région n’a pas attendu la crise du Covid-19 pour prendre le taureau par les cornes et revoir, en partie, son offre de logements destinés aux aînés. Depuis une vingtaine d’années, force est de constater que les maisons de repos sont devenues des lieux où les soins prédominent (blouses blanches du personnel, architecture digne d’un hôpital…). Afin de renverser la vapeur et d’en faire des lieux de vie où des soins se donnent ponctuellement, la Fondation Roi Baudouin (FRB) a lancé en 2016 un projet pilote pour accompagner 6 institutions belges dans leur passage au modèle Tubbe.

Tubbe comme… « Tubberödshus », du nom de la maison de repos suédoise où les résidents et le personnel sont impliqués dans les décisions qui concernent tant le quotidien (heures de lever, de la toilette, des soins, des activités, contenu des repas…) que le lieu de vie en tant que tel (décoration, travaux…). Directeur du Centre SainteBarbe situé à Seilles (Province de Namur), Antoine Thiry a signé des deux mains il y a quelques années pour que sa maison de repos s’inspire du modèle scandinave. Rencontre.

LBW : Avez-vous rencontré des difficultés dans votre conversion au modèle « Tubbe » ?
A.T. : Tout ne s’est pas fait en un jour ! Le changement fait peur. Je pense que nous avons commencé à voir les premiers fruits de cette transformation après un an, que ce soit du côté du personnel comme de celui des résidents. Nous avons essuyé quelques ratés : les groupes de travail parmi nos résidents n’ont pas été fructueux ; certains employés étaient neutres par rapport au projet, d’autres avaient des réticences. Nous avons tâtonné et fini par trouver notre propre recette. L’accompagnement par un coach pendant 1 an et demi nous a évidemment beaucoup aidés.

LBW : En quoi cette recette consiste-t-elle ?
A.T. : Nous discutons avec les résidents des futurs projets lors de moments informels, en petits groupes. Les membres du personnel sont quant à eux impliqués dans des groupes de travail – dans lesquels je ne suis pas partie prenante – qui portent sur l’accueil, la restructuration des lieux de vie… Les idées des résidents sont récoltées, reformulées puis concrétisées par le personnel. Chez nous, ce qui fonctionne, c’est que les décisions prises sont mises en application rapidement. Nos résidents veulent du concret et des mesures phares.

LBW : Qu’avez-vous par exemple mis en place ?
A.T. : Notre personnel essaie d’écouter et de prendre en compte au maximum l’avis des résidents au jour le jour. La première décision mise à exécution concernait un grand apéritif organisé chaque vendredi midi. Tous les résidents y viennent ; les femmes se pomponnent pour l’occasion. Le personnel prend aussi des photos pendant cette activité. Nous les diffusons ensuite sur les postes de télévision en interne. Ça fonctionne très bien. Notre dernier projet concerne la construction d’une terrasse. Une idée d’une denos techniciennes de surface.

LBW : Aujourd’hui, êtes-vous pleinement satisfait de ce changement de cap ?
A.T. : Oui, et l’on ne pourrait clairement pas revenir en arrière. Le projet a aussi permis de renforcer le sentiment d’appartenance du personnel, ce qui est une excellente chose. Ce que nous faisons n’est pas exceptionnel mais permet de clarifier notre philosophie en tant qu’institution.

Bibliographie

[1] Le nombre d’années d’espérance de vie sans incapacité à un âge donné (EVSI), aussi appelé « années de vie en bonne santé », mesure le nombre d’années qu’une personne de cet âge vivra, en moyenne, sans incapacité (définie comme limitation dans les activités de la vie quotidienne). Il traduit le nombre d’années que l’on peut espérer vivre en bonne santé ou en étant bien soigné.

[2]Une maison de repos est un lieu où les personnes âgéesde plus de 65 ans résident en permanence parce qu’ellesne peuvent plus vivre seules à la maison. Les personnesâgées y sont aidées dans leurs tâches quotidiennes.

[3] Une maison de repos et de soins accueille quant à elle les personnes de plus de 65 ans qui sont fortement dé-
pendantes et nécessitent des soins plus lourds. La plupart des maisons de repos sont reconnues comme MRS.

[4]  “Maisons de repos : des besoins doublés d’ici 30 ans !”, Wallonie Santé, 23 janvier 2020.

[5] « Evolution des prix en maison de repos en Wallonie – Essai d’analyse 1998 -2008 », Jean-Marc Rombeaux, octobre 2019

[6] « Maisons de repos : pourquoi vieillir coûte si cher ? », Moustique, Audrey Vanbrabant et Noémie Jadoulle, 15 janvier 2020.

[7] Chiffres issus de l’article de Moustique, « Maisons de repos : pourquoi vieillir coûte si cher ? », Audrey Vanbrabant et Noémie Jadoulle, 15 janvier 2020.

[8] Idem.

[9] Analyse « Seniors et lieux de vie – Les habitats de demain », Âgo, page 5, 5 octobre 2020.

Scroll to top