Annabelle Duaut
Du 30 mars au 6 avril 2025, le Brabant wallon a connu une semaine de mobilisations inédite autour du logement. À Nivelles, Louvain-la-Neuve et Wavre, des marches du vide se sont déroulées à destination du grand public, mais aussi d’élus et élues, tandis qu’une rencontre était organisée à Tourinnes pour explorer des alternatives à la propriété privée. Ces évènements ont fourni l’occasion de débattre ensemble du droit au logement et des nombreux obstacles qui se dressent face à lui, tout comme des solutions existantes. L’objectif immédiat était d’obtenir des pouvoirs publics la mise à l’agenda de la question brûlante du droit au logement, notamment du vide1.
Un article écrit par le collectif de la semaine d’Action Logement en Brabant wallon2.
Historiquement, le Housing Action Day, est une journée d’action et de mobilisation internationale consacrée à la lutte pour le droit au logement. Elle a lieu chaque année début avril à travers toute l’Europe et est organisée par des collectifs, associations, syndicats et militants. Leur revendication ? Le logement est un droit fondamental. Au fil du temps, le Housing Action Day s’est mué en une semaine d’actions pour revendiquer, entre autres, un logement abordable, sûr et décent pour toutes et tous, en particulier pour les personnes les plus précaires. En Belgique, c’est sous la bannière d’Action Logement3 que se sont déroulés les différents évènements organisés.
À l’initiative du collectif citoyen «Nivellois hospitaliers», une première marche a pris place à Nivelles le dimanche 30 mars. Une trentaine de personnes de tous horizons ont arpenté les rues de Nivelles aux côtés de «Nivellois hospitaliers», du Centre Régional d’Intégration du Brabant wallon
(CRIBW), du Rassemblement wallon pour le Droit à l’Habitat (RWDH), de Laïcité Brabant wallon, de Vie Féminine Brabant wallon, du Centre Culturel du Brabant wallon, du Relais Social intercommunal du Brabant wallon et du Centre d’Information et d’Éducation Populaire du Brabant wallon (CIEPBW).
La promenade dans les rues nivelloises a permis de constater un nombre important de logements inoccupés et de bâtiments vides en plein centre-ville. Si certains semblaient être en voie de rénovation, d’autres sont apparus délabrés suite à un abandon de plusieurs années. Face à la crise du logement actuelle, cet état de fait n’a pas manqué de soulever questionnements et indignations.
Les organisateurs ont profité de lieux dégagés pour faire halte à deux reprises afin de débattre plus largement du sujet du logement, à la faveur de deux animations interrogeant les limites du droit à la propriété comme les diverses discriminations qui peuvent faire obstacle à l’accès à un logement décent. Un débat mouvant animé par le CRIBW a invité les marcheurs à se positionner sur des questions en lien avec le droit au logement.
Le CIEPBW a quant à lui proposé un jeu de rôle mettant en lumière les inégalités d’accès à un logement décent. Enfin, le RWDH a pris une part active dans le débat qui a clôturé cette journée en exposant et discutant les différents moyens d’actions disponibles pour lutter contre le vide.
Une balade vers la Baraque
Le vendredi 4 avril, une trentaine de personnes quittaient le centre de Louvain-la-Neuve, passaient à travers l’Esplanade et le quartier Courbevoie avant d’entrer dans le quartier alternatif de la Baraque. Ce petit groupe a pu ressentir la différence entre les mondes dès le moment qu’ils et elles passaient l’orée du bosquet qui dessine un poumon vert à l’Est de la ville neuve. Cinquante ans d’expérience, d’auto-construction, d’autogestion, de vie collective solidaire sur 2,4ha de terrain appartenant à l’UCLouvain. Près de 150 habitants, 75 habitations, un vieux hameau, des chemins gérés par les habitants, un espace vert social et écologique à deux pas d’un centre urbain. Vincent Wattiez (habitant et cheville ouvrière du RBDL) et Josse Derbaix (habitant historique de l’alternatif d’abord et du vieux hameau ensuite NDLR) ont expliqué les éléments majeurs qui font le quartier. Les promeneurs sont sortis de cette promenade des étoiles plein les yeux et avec des tonnes d’informations sur le fonctionnement. Un élément majeur, pour donner le ton, est l’outil de gestion du prix des habitations et la volonté politique des habitants de ne pas permettre la spéculation sur celles-ci. Beaucoup d’autres expérimentations ont été présentées et d’autres promenades sont espérées.
Femmes et logement : défis et solutions
À Wavre, le dimanche 6 avril, la promenade au centre-ville était très féminine… voire résolument féministe. Une petite trentaine de participants aux profils très divers ont suivi les animatrices de Vie féminine et de Laïcité Brabant wallon dans une promenade ensoleillée et très instructive.
La première halte, place des Carmes, aux pieds de la Galerie éponyme, rebaptisée « Galeries des Larmes » par un élu ayant arpenté un parcours presque similaire le mardi précédent, était animée par Géraldine Pignon. L’animatrice de Vie féminine a proposé une première activité aussi ludique qu’éclairante, sous la forme du jeu de la ficelle. Les participants ont reçu une carte par groupe de trois. Ensemble, ils et elles ont tissé les liens qui relient la thématique du logement à la question des inégalités de genre. Le groupe a ainsi remonté le temps jusqu’à 1958 et la fin de la notion de puissance maritale puisque, jusqu’aux années 80, les violences conjugales étaient considérées comme relevant uniquement de la sphère privée. Encore aujourd’hui, les inégalités de salaire, de répartition des tâches domestiques et familiales, les temps partiels, la maternité… Tout cela impacte la possibilité pour les femmes d’économiser et d’emprunter des sommes nécessaires à l’achat d’un logement. Ce qui amène parfois à la situation ubuesque d’être dans l’impossibilité d’emprunter auprès d’une banque tout en devant consacrer 60% de son salaire à son loyer. Au moment des séparations, des héritages et ce, malgré une législation égalitaire, les femmes peuvent subir des inégalités de traitements allant jusqu’à la perte de propriété d’un logement. La forte proportion de femmes à la tête d’une famille monoparentale, l’espérance de vie plus longue, tous ces facteurs sont autant de raisons de regarder le logement avec des lunettes féministes.
Droit au logement versus droit à la propriété
Lors de la deuxième halte dans la cour d’une grande et belle maison inoccupée, Annabelle Duaut, coordinatrice du SLAC (Service Laïque d’Action Citoyenne) à Laïcité Brabant wallon a invité les personnes présentes à prendre part à un débat mouvant, de part et d’autre d’une ligne tracée à la craie sur le sol. L’idée de l’animation : inviter les participants de la marche à se positionner physiquement par rapport au droit au logement… mais aussi au droit (ou pas !) à la propriété privée. Parmi les questions de chauffe, nous avons eu droit à : Est-ce que tout le monde a droit à un logement ? Est-ce normal que certains propriétaires aient 10 logements quand certaines personnes n’en ont pas ? Est-ce juste que les propriétaires puissent déterminer librement les loyers qu’ils demandent ? À tout moment, les participants avaient l’occasion de franchir la ligne, de changer d’avis et d’échanger leurs points de vue. Après l’échauffement, place au cas concret (même si fictif) de Marie-Claude, 70 ans, maman de deux enfants et propriétaire de deux logements, dont un qui est vide depuis 10 ans. Marie- Claude aimerait pouvoir léguer une maison à chacun de ses enfants, mais elle n’a pas l’argent pour rénover sa maison vide délabrée. Faut-il l’aider à réhabiliter sa maison (notamment via une aide financière) ou la sanctionner via une amende parce qu’elle laisse une maison vide ? Faut-il exproprier Marie- Claude et permettre à des personnes sans logement d’occuper sa seconde résidence ? Autant de questions et de cas de figure qui ont suscité le débat parmi l’assemblée.
La dernière halte extérieure a permis de découvrir un ancien squat. Durant les premiers kilomètres de la marche du vide, le mot « squat »
avait déjà suscité des réactions diverses quand on évoquait le droit de se loger ou, à l’autre extrême, le droit de posséder… Chez certaines personnes, le mot « squat » éveille des images de dégradations et parfois même d’incendies volontaires. La Maison de l’Ermitage, dont portes et fenêtres ont été strictement barricadées par la Ville de Wavre qui en est la propriétaire, a été occupée entre 2020 et 2022. Le dimanche 6 avril, une des anciens occupants était présente pour témoigner de son occupation des lieux en pleine pandémie de covid-19. Alors qu’initialement les habitants du site ne connaissaient pas leur propriétaire, ils ont constitué un petit dossier bien argumenté pour obtenir une convention d’occupation et récolter une première mise en demeure les contraignant à quitter la maison. «La bourgmestre de l’époque nous a néanmoins rencontrés pour nous proposer de rentrer une demande de logement social, avant de nous envoyer une seconde mise en demeure», a expliqué la jeune femme4.
La rencontre avec des personnes ayant opté pour cette forme de logement a permis de battre des clichés en brèche. Dans de nombreux cas, les personnes qui occupent des bâtiments vides cherchent à se loger dans des conditions décentes. Pour les propriétaires des bâtiments dans lesquels ces personnes s’installent, avec ou sans convention d’occupation temporaire, cette occupation offre l’avantage que le bâtiment ne se dégrade pas aussi vite que s’il était laissé vide. Après l’aventure de l’Ermitage, les trois jeunes femmes présentes à Wavre pour témoigner de leur expérience ont obtenu une convention avec le propriétaire public d’une autre maison au sein de la commune.
Des pistes pour l’avenir
À Nivelles comme à Wavre, les marches du vide se sont terminées dans un endroit calme où les discussions parfois passionnées ont pu se poursuivre autour d’un café. À Nivelles, David Praile du Rassemblement wallon pour le Droit à l’Habitat (RWDH) a présenté brièvement les actions et recours possibles face au vide. L’esprit revendicatif et la volonté d’action des personnes présentes cet après-midi là n’auront pas quitté le groupe jusqu’à la dernière minute. Les marches du vide sont des moments rassembleurs qui permettent la rencontre des personnes
intéressées et concernées par ce sujet de société. Elles invitent à se questionner sur le droit au logement et, plus particulièrement, sur l’inoccupation des logements, une problématique qui constitue souvent un angle mort dans les villes (et les politiques).
En effet, chaque commune a les moyens de lister précisément les logements vides. Ensuite, des outils existent pour aider les propriétaires à sortir de ladite situation (prise en gestion, aide financière du fonds du logement) et finalement des contraintes aussi existent (action en cessation, amende administrative, taxes communales, prise en gestion forcée, réquisition).
Un modèle allemand pour la Ferme de Tourinnes ?
Action Logement en Brabant wallon, ce n’était pas que des marches du vide ! En effet, le mardi 1er avril, à l’initiative du GrapH – le groupe de réflexion et d’actions sur la propriété et l’habitat -, la Ferme de Tourinnes a accueilli une soirée de discussion sur son avenir à partir de l’inspirant exemple allemand
d’alternative à la propriété privée, le Mietshäuser Syndikat5 (MHS). Depuis 25 ans environ, au gré du temps, entre quatre et six personnes vivent dans la Ferme de Tourinnes. C’est à la fois un logement, un lieu culturel alternatif où s’organisent concerts, résidences d’artistes, friperies… et un espace artisanal comportant un atelier de menuiserie, mais aussi une cuisine où se préparent des produits culinaires, d’entretien et de soins.
Du BW à l’Europe
Cette semaine était organisée au travers du Réseau Brabançon pour le Droit au Logement. L’idée ? S’inscrire dans un maillage allant du local à l’international pour agir sur un meilleur accès au logement. En Wallonie, le Housing Action Day est chapeauté par le Rassemblement wallon pour le Droit à l’Habitat (RWDH). Au niveau européen, le HAD est coordonné par la Coalition européenne d’action pour le droit au logement et à la ville.
Sources :
1 Cet article initialement mis en ligne sur le site du RBDL a été légèrement adapté.
2 Le Centre Culturel du Brabant wallon (CCBW), le Centre Régional d’Intégration du Brabant wallon, le CIEPBW, Habitat & Participation asbl, le collectif HaLé !, Laïcité Brabant wallon, le collectif Nivellois citoyens hospitaliers, le Relais social du BW et Vie Féminine.
3 https://www.housing-action-day.be/fr
4 Pour des raisons de confidentialité compréhensibles, notre intervenante a préféré rester anonyme.
5 «Le Mietshäuser Syndikat est une coentreprise coopérative et non commerciale en Allemagne qui aide les communautés à acquérir un espace de vie abordable à long terme via un accord de propriété collective légale.»