Annabelle Duaut
Laïcité Brabant wallon, en collaboration avec plusieurs partenaires1, organise les toutes premières Journées du Matrimoine de la province. Ces dernières auront lieu du 23 au 26 septembre à Wavre. Ce rendez-vous inédit s’inscrit dans une dynamique nationale et européenne visant à rendre visible l’héritage culturel, artistique et social des femmes, longtemps occulté par la mémoire collective. Mais que recouvre ce terme de « matrimoine » et pourquoi consacrer trois journées à cette thématique ? Éclairage.
Matrimoine : késako ?
Le matrimoine désigne l’ensemble des biens, oeuvres, savoirs et traditions transmis par les femmes au fil des générations. Étymologiquement, matrimoine est un dérivé du latin « mater », qui signifie « la mère ». Historiquement, en 1155, le « matremoigne » (en ancien français) apparaît pour désigner les biens matériels qu’une personne a hérité de sa mère2.
En plein Moyen Âge, le mot matrimoine apparaît donc en miroir du patrimoine, qui désigne les biens légués par le père. Au XVIIe siècle, avec la création de l’Académie française et des institutions culturelles, le terme « matrimoine » a été progressivement mis à l’écart, au profit du « patrimoine ». Au fil des siècles, la notion de matrimoine s’est donc effacée du langage comme de l’espace public puisque, avec la primauté du masculin au sein de la langue3, les femmes ont été cantonnées à la sphère privée et domestique.
« Les violences symboliques tiennent un rôle majeur dans les mécanismes de domination masculine et la délégitimation des femmes, dès leur plus jeune âge »4, explique Aurore Evain, qui est notamment à l’initiative des Journées du Matrimoine en France. Si la question du langage était anodine, certains n’auraient pas mis autant d’énergie, depuis plus de quatre siècles, à masculiniser la langue et à faire disparaître des mots comme « matrimoine » ou « autrice ». Christine de Pizan, au XVe siècle – alors que la polémique sur la place des femmes dans la société faisait rage – se fit la défenseuse du « matremoigne ». À l’époque, lorsqu’un couple se mariait, les conjoints déclaraient leur patrimoine (transmis par le père) et leur matrimoine (transmis par la mère)… Aujourd’hui, il nous reste les prestigieuses « Journées européennes du patrimoine » et les « agences matrimoniales »5.
Parce que vu – à juste titre – comme obsolète, le terme patrimoine a suscité la remise à l’honneur du mot matrimoine, perçu comme étant moins sexiste et également plus inclusif6. Créées en 2015 par l’association féministe HF Île-de-France, les Journées du Matrimoine ont pour objectif de mettre en valeur « l’héritage des mères »7. Qu’elles soient artistes, intellectuelles, militantes, anonymes ou plus célèbres, leurs contributions ont façonné nos sociétés mais demeurent encore trop souvent invisibilisées dans l’histoire officielle. Les Journées du Matrimoine entendent de ce fait leur redonner une place juste ainsi qu’une certaine visibilité, à la fois dans l’imaginaire collectif, les médias et l’espace public.
À l’image des initiatives menées à Bruxelles, Mons, Charleroi ainsi que partout en Europe, les Journées du Matrimoine poursuivent plusieurs objectifs :
- Rendre visible l’invisible, c’est-àdire mettre en lumière les femmes qui ont contribué à la richesse culturelle, sociale et politique de la région, souvent reléguées à l’ombre des récits dominants.
- Questionner l’espace public : interroger la place des femmes dans la ville, les noms de rues, les monuments, les oeuvres d’art, et réfléchir à une mémoire plus égalitaire.
- Transmettre et inspirer : Proposer des conférences, ateliers, balades, expositions, animations tous publics, inaugurations de statues… Afin de transmettre ces héritages et d’offrir de nouveaux modèles d’identification aux jeunes générations, en particulier les petites filles. Ces événements rencontrent un public croissant, preuve de l’intérêt pour une histoire plus inclusive et représentative.
- Favoriser la mixité et l’égalité : le matrimoine, associé au patrimoine, compose un héritage commun, mixte et égalitaire, dans lequel chaque citoyen et citoyenne peut se reconnaître.
Un véritable enjeu de société
À travers ces quatre journées d’activités dédiées au matrimoine, Laïcité Brabant wallon et ses partenaires entendent participer à un mouvement de réparation symbolique et de justice mémorielle. Car valoriser le matrimoine, c’est aussi lutter contre les inégalités de genre, promouvoir la diversité et renforcer la démocratie culturelle. C’est également affirmer que la laïcité et les associations reconnues en éducation permanente ne se contentent pas de défendre la neutralité de l’espace public, mais qu’elles vont plus loin : il s’agit d’œuvrer à la reconnaissance de toutes les composantes de notre histoire commune, quel que soit leur genre.
En organisant les premières Journées du Matrimoine à Wavre, la province du Brabant wallon – ou du moins la Ville de Wavre – s’inscrit dans cette dynamique de reconnaissance mixte, à la fois du patrimoine ET du matrimoine, d’éducation et d’émancipation. En espérant que cette première édition wavrienne donne envie à d’autres communes de notre province de se lancer dans l’aventure des Journées du Matrimoine8 ! Car le matrimoine n’est pas seulement une affaire de mémoire : il est une invitation à repenser notre présent et à construire un avenir où chaque voix a son importance.
Sources:
1 CNCD 11.11.11, Financité, Les Equipes populaires, PAC, Soralia et VisitWavre.
2 « Peut-on parler de journées du matrimoine ? », Dorian Grelier, Le Figaro, 18/09/2022.
3 Cf la fameuse convention linguistique « le masculin l’emporte sur le féminin » qui est aujourd’hui plus que jamais remise en question voire abolie, notamment à travers l’utilisation de l’écriture inclusive.
4 « Vous avez dit matrimoine ? », Aurore Evain, blog Mediapart, le 25/11/2017.
5 Idem.
6 Chronique « Vous avez de ces mots », Michel Francard, Le Soir, 17/09/2021.
7 Op. cit.
8 Si vous êtes une association ou un collectif citoyen et que le coeur vous en dit d’initier une telle dynamique au sein de votre commune, n’hésitez pas à me contacter à l’adresse : annabelle.duaut@laicite.net I Nous verrons dans quelle mesure nous pouvons accompagner et/ou soutenir votre initiative.