Entre et Noue : quand créer ensemble devient un acte de résistance douce

Mehdi Toukabri

À Nivelles, du 27 au 30 mars derniers, durant quatre jours et dans un décor aux accents naturels appuyés, le public a pu traverser les méandres de l’exposition Entre et Noue qui s’apparente à un territoire d’individualité conjugué au collectif. Un espace où l’on crée pour panser, pour reconstruire. Un lieu habité par la liberté, l’égalité, mais surtout par la solidarité.

Porté par le pôle Assistance Morale de LBW et les ateliers Entre Nous, cette exposition est l’aboutissement de quatre années de création partagée. Quatre années pendant lesquelles les participantes des sept ateliers Entre Nous ont pu mettre à profit leur créativité et ce, partout en Brabant wallon. À chaque fois, la même intention : offrir un espace à ces femmes trop souvent rendues invisibles ou isolées. Un espace où le faire-ensemble devient un geste politique et la création un levier d’émancipation.

Il ne s’agissait pas de produire des oeuvres pour les exposer lors de cette exposition. Il s’agissait de dire, de déposer, de lier. Il s’agissait de prendre le temps, de se retrouver. Dans ces ateliers, ce sont des vécus différents qui se sont noués les uns aux autres. Des histoires souvent enfouies, que l’expérimentation de l’art, sous différentes formes, permet de rendre tangibles, sensibles, visibles.

«Quand on vient aux ateliers, on vient avec soi», débute Catherine Vanaise, l’une des animatrices des ateliers Entre Nous. «On ne vient ni avec sa position dans la société, ni avec sa situation plus ou moins positive en termes de culture, de finance, etc. Non, lorsqu’on vient à l’atelier, on est toutes égales. On a toutes la même importance et tout le monde a le droit de trouver sa place et d’être valorisé en tant qu’être qui mérite d’être là et qui mérite d’avoir sa place.» Chaque atelier devient un cocon, une sorte de refuge. Une alternative douce au vacarme de l’injonction sociétale de la performance.

Quand l’art devient un espace de solidarité

Dans ces ateliers, la place de l’art est à part. Il s’agit d’art pour vivre. Pour respirer à nouveau. Pour sortir de la solitude. L’acte de création devient un lieu de résistance à l’individualisme et à l’isolement, une manière de se réapproprier son histoire et de la partager avec le monde. L’art, loin de se limiter à un simple exercice esthétique, est devenu un véritable moyen de soin collectif.

À travers chaque pièce présentée, c’est une trajectoire de vie qui se devine. Des objets métaphoriques, des illustrations, des cadavres exquis qui ne cherchent pas à être parfaits mais qui parlent, qui hurlent même, ce désir d’envol et de liberté. Liberté d’être soi-même. Dans les méandres de ce parcours artistiques aux accents naturels, les sons d’oiseaux et d’extérieurs, paisibles, racontent une histoire. Celle, par exemple, de Bernadette, participante de l’atelier Entre Nous de Tubize et créatrice de pièces artistiques pour l’occasion. «Je suis arrivée seule dans un groupe où je ne connaissais personne. C’était en 2020 en plein Covid et j’étais vraiment isolée. J’ai dû faire connaissance, sortir de ma zone de confort. Aujourd’hui, cela fait 4 ans que je vais à cet atelier qui est aujourd’hui le mien. Je me suis vraiment fait des amies. Il y a beaucoup de solidarité entre nous.»

Pour Véronique, participante de l’atelier d’Ottignies, c’est la création de lien qui est le plus important. «Au sein des ateliers Entre Nous, la créativité n’est qu’un soutien pour que nous puissions créer du lien entre nous, toutes les participantes, mais aussi pour recréer des moments privilégiés, colorés et dynamiques.»

Une exposition comme un miroir

L’exposition Entre et Noue n’a pas figé ces expériences : elle les a prolongées. Elle a offert au public un autre rythme, une autre manière d’être au monde. Le murmure des pas sur le sol, accompagné des chants d’oiseaux, apportait une sérénité particulière à l’espace. Il fallait feuilleter des carnets, s’arrêter sur les visages, s’abandonner à la contemplation. Chaque oeuvre était une invitation à l’introspection, un appel à la lenteur, à la réflexion. L’exposition était un espace où le temps semblait suspendu, où la contemplation prenait le pas sur la consommation rapide de l’art. C’était un appel à revenir à l’essentiel : à l’écoute, à la tendresse, à l’attention portée à l’autre.

Les œuvres étaient individuelles, mais leur agencement parlait d’un collectif. D’un nous fragile, mais déterminé. Chaque pièce faisait écho à une autre. Chaque silence rencontrait une parole. C’est cette circularité-là, cette résonance entre les vécus qui conférait à l’ensemble une force politique. Parce qu’en racontant l’intime, on finit toujours par dire quelque chose de la société. Chaque histoire partagée dans ce cadre intime porte en elle un message de solidarité, de résistance, et de refus de l’effacement. Ces créations sont l’expression d’un nous fragile mais inébranlable, d’un nous qui se tient dans la force tranquille de l’acceptation et de la réparation.

Une réponse au monde tel qu’il vacille

À l’heure où l’isolement est devenu structurel, où l’écoute est fragmentée, où les liens sociaux s’érodent sous le poids des urgences économiques, climatiques, identitaires, l’existence même de ces ateliers et de cette exposition est une réponse. Une résistance par la douceur. Une proposition pour un autre vivre-ensemble, basé sur la confiance, la lenteur, la reconnaissance de la vulnérabilité comme richesse. Ce projet a rappelé que la fragilité, loin d’être une faiblesse, est une force. Que la douceur peut être révolutionnaire. Que créer ensemble, dans la lenteur et la contemplation, c’est remettre au centre l’essentiel : l’humain dans sa globalité, dans sa beauté et sa complexité.

L’exposition, tout en étant une forme de partage intime, est aussi une réponse à un monde qui vacille. Elle nous invite à réfléchir à ce que signifie réellement “vivre ensemble”, dans un monde où les relations humaines sont souvent réduites à une question de performance et de productivité. Créer ensemble, ce n’est pas seulement faire de l’art. C’est faire société. Et c’est peut-être, l’un des plus beaux gestes qui soit.

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