Ordinateurs, tablettes, smartphones… force est de constater qu’ils font tous partie de notre quotidien et que nous n’arrivons plus à nous en passer. Aujourd’hui, même si comme moi vous êtes nés et avez (sur)vécu pendant des décennies sans gsm ou PC, nous nous demandons comment nous avons fait pour vivre sans. Ce sont des outils « merveilleux » qui nous informent instantanément (tout en nous aliénant !). Il est loin le temps où nous passions des heures à la bibliothèque pour trouver quelques infos. Malheureusement, chaque médaille a son revers et le développement du numérique ne fait pas exception.
Un des problèmes du numérique est que nous avons la fausse impression qu’il n’a pas d’impact sur l’environnement. Nous entendons parler de cloud, de réseau, de réalité virtuelle, nous donnant ainsi une perception de volatilité, de légèreté, de non conséquence. Nous pensons que la seule énergie nécessaire à son fonctionnement est celle permettant de recharger nos gsm ou nos portables. Nous n’avons aucune vision de ce qui se cache derrière tous nos objets connectés. Et pourtant !
Quelques chiffres
Nombre d’internautes dans le monde et habitudes
Selon le Digital Report 2019 publié par l’agence internationale « We are social » et la plateforme de gestion des réseaux sociaux « Hootsuite » sorti en janvier 2019 :
- il y aurait près de 4,4 milliards d’internautes dans le monde, soit 367 millions de plus qu’en janvier 2018 ;
- 3,5 milliards actifs sur les réseaux sociaux (Facebook en tête avec plus de 2 milliards de personnes) ;
- 3 sites porno font partie des sites les plus visités au monde ;
- 92% des internautes regardent des vidéos en ligne (extrêmement énergivore) ;
- 1800 milliards de dollars sont générés par le e-commerce, représentant une hausse de 14% en un an. La réservation de voyages (750 milliards de $), la mode et la beauté (525 milliards de $), représentent plus de 70% de l’e-commerce ;
- Temps passé sur les réseaux sociaux (Moyenne quotidienne mondiale) : 2 heures 16 minutes.
Smartphone :
Le parc de smartphones est conséquent. Selon le Digital Report nous sommes à plus de 5 milliards d’utilisateurs en janvier 2019 (contre 4 milliards en 2017), soit 67% de la population mondiale .
Connected living (ou l’internet des objets (IoT))
En 2019, les bracelets pour mesurer l’activité physique, les enceintes bluetooth, les équipements communicants (comme certaines TV, réfrigérateurs,…), les systèmes d’alarme (caméra, capteur,… ) connectés à internet, les TV et les ″box” représentent à eux tous, 1,4 milliard d’équipements. Nous nous attendons avec l’arrivée de la 5G à une augmentation exponentielle de tous ces objets connectés.
L’internet industriel des objets
(cf. les CALepins sur l’intelligence artificielle et sur la 5G)
L’Internet Industriel des Objets consiste à identifier et faire communiquer entre eux tous les maillons de la chaîne industrielle : machines, produits en cours de fabrication, collaborateurs, fournisseurs, clients, infrastructures… pour optimiser -entre autres- les coûts de production. Les investissements réalisés produiraient un bond du nombre total d’équipements connectés de 8,4 milliards en 2017 à 20 milliards en 2020.
Le trafic des données et data centers
Le nombre d’utilisateurs, le nombre de matériels connectés, l’utilisation de la vidéo, les réseaux sociaux, les jeux en réseau,… font exploser les données, leurs trafics et surtout leurs stockages. Il existe plus de 4000 centres de stockage ou data centers (lieux où sont stockés les serveurs) dans le monde. Selon le rapport de The shift project l’essentiel de la croissance des flux de données est lié à la consommation des services fournis par les GAFAM (1) et leurs homologues chinois (cf. CALepin IA).
Nous ne pouvons arriver qu’à une conclusion : tous ces chiffres donnent le tournis ! En quelques années, l’augmentation est exponentielle et rien ne semble pouvoir freiner cette course. Mais concrètement qu’est ce que cela implique ?
Quelques conséquences :
Une consommation d’énergie accrue :
Depuis 2012, si le secteur des technologies numériques était un pays en terme de consommation d’électricité, il serait en 3ème position derrière la Chine et les Etats-Unis. Selon le CNRS Journal, « Ordinateurs, data centers, réseaux… engloutissent près de 10% de la consommation mondiale d’électricité. Et ce chiffre ne cesse d’augmenter. Environ 30 % de cette consommation électrique est imputable aux équipements terminaux – ordinateurs, téléphones, objets connectés –, 30 % aux data centers qui hébergent nos données et, plus surprenant, 40 % de la consommation est liée aux réseaux, les fameuses ″autoroutes de l‘information”. Tous ces équipements sont très gourmands en énergie : un simple routeur consomme 10 000 watts (10 kW), un très gros data center frise carrément les 100 millions de watts (100 MW), soit un dixième de la production d’une centrale thermique ! Un processeur, c’est comme une résistance. Presque toute l’électricité qu’il consomme est dissipée en chaleur, détaille Anne-Cécile Orgerie, chercheuse en informatique à l’Irisa (Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires). C’est pourquoi, en plus de consommer de l’énergie pour faire tourner ses serveurs, un data center doit être climatisé afin de préserver l’intégrité des circuits électroniques ».
Quelques data centers sont installés dans les pays du nord pour utiliser l’air froid extérieur comme climatiseur. Google en a installé en Finlande, Facebook en Suède et Microsoft envisage les fonds marins. Pour d’autres pays, comme la France, la chaleur produite est récupérée et valorisée mais de manière très limitée.
De plus, les données stockées dans les data centers devraient représenter 5 Zettaoctets (1 Zetta = mille milliards de milliards). Les estimations pour 2020 prédisent à 67 Zettaoctets le volume de données « utiles » produites par l’internet des objets (IoT) et l’internet des objets industriels (IIoT), soit 35 fois plus que la capacité de stockage des data centers.
Selon The shift project « au vu de cette croissance la question se pose quant à la capacité d’assurer une production industrielle suffisante en terme d’équipements des stockages à l’échéance 2020 ».
Mais il n’y a pas que les data centers, « Si l’on considère la totalité de son cycle de vie, le simple envoi d’un mail d’1 mégaoctet (1 Mo) (avec une photo HD) équivaut à l’utilisation d’une ampoule de 60 watts pendant 25 minutes, soit l’équivalent de 20 grammes de CO2 émis », rappelle Françoise Berthoud, informaticienne au Gricad.
Toujours selon Anne-Cécile Orgerie « La plupart des gens ne savent pas qu’en moyenne, 35 applis tournent en permanence sur leur téléphone, qu’ils les utilisent ou pas. Résultat, les batteries se vident en moins d’une journée, quand il suffirait de les éteindre en activant le mode économie d’énergie pour gagner jusqu’à plusieurs jours d’autonomie ».
Selon le CNRS Journal « les chercheurs gardent à l’esprit que dans le numérique, toute amélioration peut avoir des effets inattendus. C’est le redoutable
″effet rebond”, appelé aussi « paradoxe de Jevons », du nom de l’économiste britannique qui l’a théorisé à la fin du XIXe siècle : quand on augmente l’efficacité avec laquelle une ressource est employée (le charbon, à l’époque de Jevons), la consommation totale de cette ressource a toutes les chances d’augmenter au lieu de la diminution escomptée. Pour Anne-Cécile Orgerie, ″réduire la consommation des voitures n’a pas permis d’utiliser moins d’essence, elle a juste permis aux automobilistes de faire plus de kilomètres. On constate la même chose depuis des années dans le secteur des nouvelles technologies : plus on optimise les systèmes – la mémoire, le stockage, etc. –, plus on favorise de nouveaux usages”. Une véritable fuite en avant. Du moins tant que l’électricité sera bon marché ». Nous avons parlé de l’énergie nécessaire lors de l’utilisation des terminaux, réseaux et data centers, mais n’oublions pas l’énergie nécessaire à leur fabrication qui représente quasi la moitié de l’énergie nécessaire à l’ensemble du numérique.
Les matières premières :
Un autre impact très important pour l’environnement et la consommation d’énergie est l’utilisation des métaux et terres rares. Plus les composants électroniques se miniaturisent et deviennent performants, plus le nombre et la quantité de ces matériaux augmentent dans ces composants. Leurs réserves « accessibles » au coût et avec les technologies actuels sont limitées à tel point que, selon le rapport de The shift project : « cette situation est susceptible non seulement de fragiliser le développement des usages, mais également de porter atteinte à la résilience (2) de nos sociétés numériques ».
Selon Françoise Berthoud, « Nos smartphones contiennent une quarantaine de métaux et de terres rares, contre une vingtaine à peine il y a dix ans ».
Ces métaux et terres rares sont utilisés du milligramme à la dizaine de gramme dans nos appareils. Au vu de l’explosion de nos usages, l’extraction de ces matières premières fonctionnent à plein régime. La Chine en possède une réserve importante en quantité et en variété. Ce pays n’hésite pas à détruire son sous-sol en employant des techniques destructives et en polluant le sol, et donc les nappes phréatiques, par l’usage d’acide sulfurique, mercure, cyanure pour extraire et isoler les composants tant convoités. D’autres pays sont également concernés, comme la République démocratique du Congo (65% du cobalt mondial), le Rwanda, l’Afrique du sud. 90% de la production de terres rares est sous le contrôle de la Chine.
Cette surexploitation engendre pollution des sols et émission de gaz à effet de serre. Ne parlons pas de la fin de vie du matériel. Il retourne quasi systématiquement dans les pays en voie de développement où il est traité dans des conditions indignes. Et le recyclage, me direz-vous. Malheureusement, les métaux et terres rares utilisés en très faibles quantités rendent le recyclage extrêmement compliqué (le recyclage pour les terres rares est inférieur à 1%).
Toutes ces matières premières sont valables pour la fabrication de l’ensemble du processus numérique, comme les PC, les TV, les smartphones mais aussi les routeurs, les modems, les data centers.
Il ne faut pas oublier non plus qu’il existe des milliers de kilomètres de câbles, n’ayant rien de virtuels, qui traversent tous nos océans et mers. Ces câbles sont extrêmement vulnérables pour différentes raisons (ancre de bateaux, pêche, séismes…) et sont également (3) les points privilégiés de surveillance par l’installation de programmes d’espionnage permettant de collecter massivement des données.
Il ne faut pas être devin pour comprendre que cette course aux matières premières est extrêmement dangereuse. Si certains estiment qu’elles ne vont pas manquer rapidement, tout le monde s’accorde à dire que leur extraction est un désastre écologique. De plus, même si toutes les réserves n’ont pas encore été exploitées, elles restent le monopole de quelques pays dont un seul peut quasiment faire la pluie et le beau temps.
Il faut savoir que ces composés servent pour la technologie numérique mais également pour la production des équipements nécessaires aux énergies renouvelables (Eoliennes, batteries, voitures électriques, photovoltaïque…).
En conclusion
Nous lisons régulièrement des articles sur l’avenir du numérique, de la réalité virtuelle, de l’intelligence artificielle, des robots… mais rarement est abordée la partie immergée de l’iceberg, à savoir la complexité de sa production et sa consommation énergétique, comme si ceci n’était que quantité négligeable. Il n’en est rien puisque ce secteur consomme autant que le trafic aérien civil. L’ADEME (4) estime que « si rien n’est fait, en 2025, le numérique polluera autant que le trafic automobile mondial ». Tôt ou tard, il nous faudra redéfinir nos priorités, car avant de trouver (ou pas) d’autres solutions alternatives pour répondre à toutes nos attentes (numérique, écologique…), il faudra ralentir le rythme et le maîtriser, plutôt que de se le voir imposer de gré ou de force.
Raisonnablement, une action est à mettre en pratique : la sobriété numérique.
Béatrice Touaux
Notes
- GAFAM = Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft ;
- La résilience écologique est la capacité d’un système vivant (écosystème, biome, population, biosphère) à retrouver les structures et les fonctions de son état de référence après une perturbation. (Wikipédia) ;
- Submarinecablemap.com pour découvrir la carte mondiale de leurs emplacements ;
- Agence de l’Environnement et de la Maitrise de l’Énergie
Sources
Digital report, les chiffres du web en 2019
Le journal CNRS, « Numérique le grand gâchis énergétique », par Laure Cailloce
Rapport de The Shift project « Lean ICT : Pour une sobriété numérique »
Rapport de The Shift project « Climat : l’insoutenable usage de la vidéo en ligne »
Nouvel obs, « les e-mails sont-ils vraiment mauvais pour l’environnement ? », par Boris Manenti
Renouvelle.be, « L’énergie durable se développera sans « terres rares » », par Christophe Haveaux et Johanna D’Hernoncourt