Le mouvement laïque face au réarmement européen : entre pacifisme et réalisme

Mehdi Toukabri

Dans un contexte géopolitique tendu marqué par le retour de la guerre sur le continent européen, la question du réarmement de la Belgique et de l’Union européenne divise. Si les gouvernements avancent à marche forcée vers une augmentation significative des budgets militaires, le monde associatif et en particulier le mouvement laïque, s’interroge. François Finck, chargé des questions européennes et internationales au sein de la cellule et stratégie du Centre d’Action Laïque, livre un éclairage nuancé face à une actualité profondément marquée par le retour de la guerre à différents endroits du globe.

Entre héritage pacifiste et position actuelle floue

Le mouvement laïque s’inscrit historiquement dans une tradition profondément pacifiste. «Nous sommes par essence un mouvement contre la guerre, attaché à la primauté du droit international et à la résolution pacifique des conflits», rappelle François Finck. En référence à Henri Lafontaine, prix Nobel de la paix en 1913 et figure emblématique de la laïcité belge, il souligne l’importance du désarmement et du rejet de la guerre comme instrument de politique extérieure. Mais à l’heure où des États agressifs bafouent le droit international, la posture pacifiste est mise à l’épreuve. «Henri Lafontaine lui-même reconnaissait que le désarmement ne pouvait être envisagé que dans un monde où les États respectent le droit. Ce n’est pas encore notre réalité», note François Finck. Interrogé sur une éventuelle prise de position officielle du CAL à propos de la remilitarisation de la Belgique, François Finck est clair : «Il n’existe pas, à ma connaissance, de déclaration officielle ou de communiqué spécifique sur ce point.» Le mouvement semble encore en phase de réflexion, partagé entre son attachement aux idéaux pacifistes et la nécessité de répondre à des menaces réelles. Cette absence de ligne directrice s’illustre notamment dans la réaction discrète du CAL à l’annonce de l’augmentation du budget de la défense belge à 2 % du PIB, comme prévu dans l’accord gouvernemental. «C’est un sujet complexe, avec des enjeux budgétaires lourds. Cependant, la défense ne peut se faire au détriment des droits sociaux», ajoute-t-il.

Liberté, égalité, solidarité… et défense

François Finck reconnaît toutefois que les valeurs fondamentales du mouvement laïque – liberté, égalité, solidarité – peuvent légitimer certaines formes d’engagement, y compris armé. «Le droit d’un peuple à se défendre, comme c’est le cas de l’Ukraine, relève de la liberté fondamentale de décider de son avenir. Et la solidarité impose d’aider ceux qui sont menacés», explique-t-il. Dans cette optique, la légitime défense, individuelle comme collective, devient un impératif moral. L’Union européenne et donc la Belgique, auraient, selon lui, le devoir de se montrer solidaires des États membres les plus exposés, notamment les pays baltes et la Pologne. À l’échelle européenne et mondiale, les mouvements laïques sont loin d’afficher une position unifiée. «Les Français sont plus favorables à une défense active. Les Espagnols, eux, restent dans une tradition pacifiste intégrale. Les Polonais sont beaucoup plus conscients de l’urgence de se défendre», observe François, illustrant la diversité des positions au sein du réseau laïque européen. Le mouvement humaniste international, quant à lui, a clairement condamné l’agression russe contre l’Ukraine. Mais, il reste flou sur les moyens d’action à employer, reflétant là encore un équilibre délicat entre principes pacifistes et réalités géopolitiques. Malgré un contexte international préoccupant – une Russie belliqueuse, des États-Unis imprévisibles, une Europe vulnérable – François Finck conserve une forme d’optimisme : «La prise de conscience européenne qu’il faut compter sur nous-mêmes pour notre propre sécurité est un progrès. Cela peut renforcer l’intégration et la solidarité européennes.» Reste à voir si cette conscience nouvelle aboutira à une position cohérente du mouvement laïque sur la question cruciale de la défense, sans renier ses principes fondateurs.

Scroll to top