Forum « Femmes migrantes et marché du travail »

Patrick Monjoie (CRIBW) & Annabelle Duaut

Le vendredi 18 octobre 2024, le Centre d’action Laïque du Brabant wallon et le Centre Régional d’intégration du Brabant wallon ont organisé un forum intitulé « Femmes migrantes et marché du travail – brisons les clichés, façonnons l’avenir. »

Cette rencontre autour de la thématique de l’insertion socioprofessionnelle, en particulier des femmes étrangères, a eu lieu au Centre Culturel du Brabant wallon, à Court-Saint-Etienne. Nous avons eu la chance de pouvoir nous installer au coeur-même de l’exposition « Kif kif ou pas ! » de l’Accueil en Milieu Ouvert (AMO), La Chaloupe qui clôturait à cette occasion leur projet d’un an avec des jeunes d’origine marocaine partis à la découverte de leurs racines au travers d’un voyage entre la Belgique et le Maroc.

Ce forum a pris naissance dans la rencontre de plusieurs éléments portés par nos deux associations, LBW et le CRIBW, ainsi que dans un contexte particulier. En effet, cette année 2024 marque le 60ème anniversaire de la convention belgo-marocaine. Cet accord signé le 17 février 1964 entre la Belgique et le Maroc a permis de faire venir des travailleurs marocains en Belgique afin de pallier la pénurie de main d’oeuvre dans les secteurs industriels ainsi que le vieillissement de la population belge. Il a également marqué le début d’une immigration marocaine significative en Belgique, contribuant à façonner la diversité culturelle du pays.

Du côté du Maroc, cette immigration a notamment contribué au développement économique et à la stabilité à l’échelle nationale.

Dès l’année suivante, en 1965, notre royaume organisait l’arrivée des épouses et des enfants de ces travailleurs masculins employés, entre autres, dans le secteur de la métallurgie telles que les usines Emile Henricot, basées à Court-St-Etienne. Usines dans lesquelles est aujourd’hui installé le Centre Culturel du Brabant wallon et dans lequel notre forum s’est déroulé. La boucle était ainsi bouclée.

Ce forum a vu le jour aussi, et sans doute surtout, au travers de trois thématiques sur lesquelles nos deux associations travaillent particulièrement, à savoir : la précarité, les droits des femmes et la migration. Nous constatons qu’une foule de femmes immigrées sont inscrites, voire limitées, dans des métiers liés aux soins aux personnes et/ou au nettoyage via, notamment, des contrats titres-services… et cela n’est pas prêt de cesser. Ces jobs sont autant dénigrés, qu’ils sont essentiels, preuve en est que nous en sommes tous bénéficiaires tous les jours, un peu partout. Ce dénigrement revient à nier les compétences, les talents et l’utilité de ces travailleuses (et travailleurs également, dans une moindre mesure, puisque ces métiers sont a priori mixtes). Nous constatons en travaillant avec ces secteurs du marché de l’emploi ô combien ces métiers sont en réalité techniques et exigeants, nécessitant une robustesse et de nombreux savoir-faire techniques, physiques et humains, ainsi qu’une vivacité d’esprit. D’ailleurs, ces emplois requièrent de plus en plus de formations et d’encadrements. Par ailleurs, et c’est une évolution positive, que les responsables des ressources humaines où exercent les femmes issues de l’immigration n’économisent pas leurs efforts pour maintenir motivées les travailleuses.

Au travers de ce forum nous avions pour objectif de réfléchir ensemble sur la valorisation des compétences et ainsi d’interpeller pour que ces emplois soient respectés, valorisés et que leurs preneuses soient épanouies en tant que travailleuses et citoyennes. Notre préoccupation n’est pas de refroidir les immigrées de prendre ces emplois si elles le désirent, mais de les former et de les informer de façon à ce qu’elles les prennent en connaissance de cause, en tant qu’adultes posant des choix éclairés et réfléchis. Notre objectif est aussi de valoriser ces travailleuses dans leurs compétences et dignité d’ouvrières totalement nécessaires au fonctionnement de notre société. Notre arme, en plus de l’information, est la formation continue sur leur site de travail qui soit supportée par les entreprises pour permettre à ces femmes les carrières les plus intéressantes possibles. Sachant que leurs emplois sont pénibles, il nous semblerait opportun que leurs carrières soient adaptées à l’approche de l’âge de la pension.

Notre forum « Femmes migrantes et marché du travail » s’est déroulé en deux temps différents et complémentaires. Tout d’abord, la matinée nous a permis d’entendre et d’échanger avec quatre intervenants issus du terrain et du monde académique. Nous avons ouvert le forum avec l’intervention d’Aïcha Adhman, fondatrice et directrice de l’asbl Génération Espoir à Ottignies. Elle nous a expliqué la convention belgo-marocaine, entre histoire officielle et vécu personnel.

Si la Belgique avait bien prévu l’arrivée des ouvriers marocains dans nos usines métallurgiques et leurs familles par la suite, elle n’avait rien mis en place pour la prise en compte des aspects sociaux-culturels, scolaire des enfants, ainsi que la formation au français des adultes … en somme, aucune véritable politique d’accueil n’avait été établie. Si les filles des premières générations dépassaient rarement le niveau secondaire, il est à noter qu’aujourd’hui ces femmes, issues de l’immigration, sont présentes dans divers secteurs d’activités après des études supérieures et universitaires. Certaines ont finalement décidé, dans les années 1990, de mettre en place des initiatives associatives avec pour objectif la participation citoyenne, le soutien scolaire, des activités culturelles, le tout sur fonds propres, c’est-à-dire sans financement public. C’est dans cette dynamique qu’Aïcha Adhman a mis en place Génération Espoir asbl qui est aujourd’hui une initiative locale d’intégration reconnue et subventionnée.

En conclusion, malgré l’absence de politiques d’intégration, les femmes issues de l’immigration ont pu se dépasser pour trouver leur place dans la société. Les femmes migrantes qui arrivent aujourd’hui sont mieux accompagnées et leurs chances d’intégration et d’accès à l’emploi sont plus favorables. Des initiatives comme Génération Espoir jouent un rôle important pour l’accompagnement de ces femmes.

Nous avons poursuivi avec l’intervention de Kevin Pineda – Hernandez, économiste et postdoctorant – chercheur à l’Université de Mons. Il a participé à l’étude collective « Les personnes issues de l’immigration sur le marché du travail en Belgique : une analyse selon le genre » portée par l’UMons, l’ULB et la VUB, à la demande de la Fondation Roi Baudouin. Kevin Pineda nous a expliqué qu’un Belge sur trois est issu de l’immigration. Si le taux d’emploi des personnes issues de l’immigration a significativement augmenté en Belgique au cours des deux dernières décennies, l’écart persistant avec le taux d’emploi des personnes d’origine belge demeure un défi majeur pour notre pays. Les chiffres révèlent d’ailleurs que la Belgique se classe parmi les pays de l’Union européenne affichant des taux d’emploi plus bas, en particulier pour les femmes et les personnes non-originaires de l’UE.

Comme le souligne l’étude, les femmes issues de l’immigration – et en particulier, les femmes non originaires de l’UE – sont doublement désavantagées sur le marché du travail. Dans un contexte de pénurie, le faible taux d’emploi des femmes issues de l’immigration est synonyme de perte de talents et de compétences. Par ailleurs, l’accès à l’emploi est crucial dans la lutte contre la pauvreté et pour la pérennité de notre système de sécurité sociale. Pour les personnes concernées, accéder à un emploi a également un impact direct sur leur capacité à subvenir à leurs besoins, améliorer leurs conditions de vie mais aussi s’intégrer socialement.

Les deux derniers intervenants, d’une part Altay Manco directeur scientifique de l’Institut de Recherche et de Formation et d’Action sur les migrations – IRFAM asbl et d’autre part Fatima El Bouzakhi, fondatrice de la SRL « Kid’s Ride », nous ont présenté des projets concrets qui permettent aux personnes migrantes et plus particulièrement les femmes de valoriser leurs compétences et de trouver une place digne de leurs savoirs et savoir-faire sur le marché du travail. D’un côté, le projet « Hospi Job » initié par l’IRFAM vise à faciliter l’insertion socioprofessionnelle des personnes issues de l’immigration dans le secteur des soins de santé. Ce projet se concentre sur les besoins spécifiques des hôpitaux et institutions de soins en matière de main-d’oeuvre, tout en valorisant les compétences des participants. Hospi-Job propose des formations, un accompagnement individualisé et des stages pour créer des passerelles entre les candidats et les employeurs, tout en sensibilisant au multiculturalisme dans le domaine des soins. A l’analyse de ce projet porteur, Altay Manco et l’équipe du Monde des Possibles à Liège déclare que « ce qui fait la gloire de l’immigré c’est le besoin ». « Bien plus que les discours politique, ce sont les faits économiques qui construisent une place pour les étrangers et incite une politique volontariste de mise à l’emploi. Si elle est très présente en Flandre, il est de constater qu’elle est encore trop absente en Wallonie. »

D’un autre côté, le projet « Kid’s Ride », lancé par Fatima El Bouzakhi à Bruxelles, est une initiative sociale, construite en SRL, visant à offrir des solutions de transport d’enfants dont les parents n’ont aucune autre alternative. L’objectif est de leur permettre d’accéder à leurs activités scolaires, sportives et culturelles, souvent limitées par des contraintes de mobilité. En favorisant l’égalité des chances, ce projet renforce l’inclusion sociale et soutient les familles en difficulté, tout en sensibilisant à l’importance de l’éducation et du développement personnel des jeunes.

Ensuite, l’après-midi, nous avons assisté à la pièce de théâtre-action « Il était trop de fois ! », interprétée par la compagnie « Le Théâtre du Copion », suivie d’un échange avec le public.

Nous avons choisi d’inviter cette pièce de théâtre-action afin d’aborder les mêmes questions qu’en matinée mais à travers un prisme différent, plus ludique, plus interpellant car touchant à nos émotions. Ce projet innovant a été initié par la Marche des Migrants de La Louvière et le Réseau louviérois de Lecture publique au travers d’ateliers d’écriture, d’interviews, qui ont permis la récolte de témoignages de personnes sans emploi, sans-papiers, sans-abri, de travailleurs sociaux, de militants qui agissent contre toutes les formes d’exclusion sociale. Des personnes à qui la parole est rarement donnée et qui ont pu exprimer leurs réalités, leur quotidien, leur colère, leur incompréhension mais aussi leurs rêves, leurs aspirations pour des lendemains meilleurs.

Ces textes ont été la base d’une création collective « Il était trop de fois ! » mais aussi d’un livre rassemblant tous les écrits « Avec tous les sans » ainsi qu’une exposition de dessins et de photos. Le Théâtre du Copion depuis de nombreuses années dénonce les injustices sociales et crée des spectacles dont la base de l’écriture appartient à celles et ceux qui traversent des réalités de vies difficiles. Autant d’histoires que de vies bouleversées, bouleversantes, où les personnes précaires sont victimes du même système et doivent plus que jamais s’unir et lutter ensemble pour une égalité des droits entre toutes et tous, pour une justice sociale et migratoire.

Il était une fois des histoires de contes de fées, de princesses aux pays des merveilles… pas tout à fait comme dans les histoires pour enfants. Car les histoires d’adultes, ce n’est pas tout rose et violette. La vie n’est pas toujours tendre avec eux, surtout quand on connaît la misère, la précarité, la migration, la débrouille. Des hommes et des femmes, venus d’ici ou d’ailleurs nous dévoilent leur histoire : Il était une fois Latifa qui espère rejoindre son mari parti en Belgique pour une vie meilleure, il était une fois des assistantes sociales qui s’interrogent sur leur travail de plus en plus invasif, il était une fois Olga travailleuse précaire qui survit tant bien que mal, il était une fois Brigitte qui vit galères sur galères, il était une fois Jalili qui se bat tous les jours pour obtenir ses papiers, il était une fois… trop de fois.

Le débat qui s’en est suivi a été riche en contenu et en émotion.

La pièce est touchante car au-delà des mots exprimés par les acteurs nous découvrons et ressentons surtout la détresse réelle de ces personnes qui ont témoigné de leurs vécus face à un système où l’humain glisse de plus en plus au second plan derrière la rentabilité économique.

En conclusion, notre forum, qui a rencontré son public puisque la jauge de 50 personnes a été remplie, a largement atteint ses objectifs de faire réfléchir à la place des femmes au sein du marché de l’emploi, à travers des témoignages, des données chiffrées objectives et des projets concrets. Il est remarquable de constater que finalement, ces femmes migrantes si elles veulent trouver une place valorisée et valorisante sur le marché de l’emploi n’ont bien souvent comme seule option que de créer leur propre projet professionnel.

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